« Les Français ont fait preuve de patriotisme économique »

Publié le 06/05/2021

Le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables (CSOEC) vient de sortir son baromètre de l’économie 2020, qui, se basant sur les télédéclarations sociales et fiscales de 500 000 entreprises françaises, permet de mesurer précisément l’impact de la crise sanitaire depuis un an sur l’économie française. Le président du CSOEC, Lionel Canesi, l’estime affaiblie mais pas à terre. Il revient sur les secteurs les plus en crise, ceux qui ont réussi le pari de la flexibilité et les options pour relancer la consommation.

Les Petites Affiches : Vous dites être l’institution française à disposer des données les plus précises sur l’état de l’économie française. Sur quoi vous basez-vous ?

Lionel Canesi : Les experts-comptables ont une place privilégiée au cœur de l’économie française. Nous établissons les déclarations des 3 millions de TPE et PME françaises. Ainsi nous sommes en capacité d’analyser ces chiffres et d’en donner un éclairage unique. J’ai décidé, depuis le début de ma mandature, d’accentuer notre place et notre rôle de vigie de l’économie française, afin de donner des chiffres-clés, très précis, secteur par secteur, incluant les différents niveaux de la rentabilité des entreprises (chiffre d’affaires, masse salariale, exédent brut d’exploitation), l’endettement, les capitaux propres, etc.

J’aimerais que les experts-comptables prennent leur part dans la relance, se positionnent sur les possibilités de soutenir au mieux notre économie, et surtout qu’ils puissent accompagner nos TPE et PME si importantes pour la vie de quartier, le lien social et tout spécialement en cette période. Au moment où nous sortirons de la crise, comment créer cette étincelle pour favoriser les conditions de la reprise ? Nous avons besoin de chiffres pour analyser la situation.

LPA : Votre enquête montre que l’indice du chiffre d’affaires cumulé (ICAC), tous secteurs confondus, a baissé de 8,4 % par rapport à 2019, une baisse considérable. Mais au vu de l’année 2020, qui a été extrêmement chaotique, aurait-on pu s’attendre à pire ?

L.C. : Une baisse de 8,4 %, compte tenu de cette année dont les oiseaux de mauvais augure nous disaient qu’elle serait catastrophique, est finalement assez raisonnable. Les 500 000 entreprises sur lesquelles se base notre baromètre (avec des chiffres d’affaires compris entre 20 000 euros et 50 millions d’euros), ont fait preuve de beaucoup d’agilité, elles se sont réinventées et ont trouvé des voies nouvelles pour faire du chiffre d’affaires.

Deux choses méritent d’être soulignées : d’un point de vue gouvernemental, on dit souvent que la France est championne en termes de charges sociales, mais là, les entreprises ont été soutenues de façon extraordinaire par des aides étatiques. De l’autre côté, les chefs d’entreprise ont été agiles. À mon sens, le tissu économique français tient la route.

LPA : Mais peut-on dire que cette économie est encore gonflée, sous perfusion ?

L.C. : Attention, les aides ne comptent pas dans le chiffre d’affaires. Et je ne dirais pas que les bénéfices sont gonflés mais qu’ils sont soutenus. Il faudra débrancher les aides de façon progressive, cela dépend des secteurs. Par exemple, à la réouverture des restaurants, les restaurateurs feront face au problème de leur dette à régler. À quelle échéance ? Nous pensons qu’un remboursement sur quatre ans est trop court. Il faudrait pouvoir identifier les dettes liées au Covid-19 et les pousser sur dix ans. Si on étale le remboursement, on les sauve. Mais si un restaurateur pioche dans son prêt garanti par l’État (PGE) pour payer son loyer, il n’aura pas le temps de rembourser ce qu’il doit et cela le poussera au dépôt de bilan. Dans le cas où un chef d’entreprise n’est pas en faute de gestion, il n’a pas à être pénalisé. Quand une crise exceptionnelle se produit, il faut traiter cet élément comme exceptionnel.

Mais en fonction des secteurs, il faudra diminuer ces aides au fur et à mesure. Pour le secteur du tourisme, de l’événementiel, il faudra continuer plus longtemps les aides, car on n’a aucune idée d’une date de reprise éventuelle.

Ce qui est important, c’est la solidarité. Je suis pour une répartition équitable des aides, en fonction des besoins. Je pense que le fonds de solidarité de 1 500 € a été une erreur. J’aurais préféré donner zéro à certains, et plus à d’autres.

LPA : Que dire de la consommation par vague des Français en 2020, en fonction de la fermeture des magasins ?

L.C. : Les Français ont fait preuve de patriotisme économique. Ils ont privilégié les petits commerces aux grandes surfaces, mais maintenant il faut que cela continue. S’ils optent pour Amazon et les commandes sur internet, l’argent s’évapore. Alors que consommer local permet de sauver des emplois et de faire en sorte que l’argent reste dans un circuit économique local. Il est important de continuer cette trajectoire afin de créer un choc de consommation dont le pays a besoin pour se remettre sur pied.

LPA : À quoi tient le « choc de consommation » dont la France a besoin ?

L.C. : Voilà un an que nous sommes dans la privation. Nous avons tous envie de ressortir, d’aller au restaurant, de bouger. 200 milliards d’euros ont été mis de côté par les Français : il faut que les gens redépensent cet argent. Je suis pour un choc de consommation pour relancer notre économie. Nous proposons pendant deux ans par exemple de libéraliser jusqu’à 50 000 € les donations des grands-parents vers les enfants et les petits-enfants, des parents vers leurs enfants et des oncles et des tantes qui n’ont pas d’enfants vers leurs neveux et nièces. L’objectif est d’amorcer la pompe de la consommation.

L’État serait gagnant, car aujourd’hui, cet argent ne rapporte rien à personne. Si l’argent est dépensé, l’État en recevra 50 % : 20 % de TVA et 30 % en impôts ce qui permettra de rembourser une partie de la dette due au Covid-19, instaurant ainsi un cercle vertueux économique.

Je suis également pour la possibilité de retirer son épargne salariale pendant une durée limitée sans fiscalité, même chose pour l’assurance-vie. Certains disent que cela favorise les riches… mais il faut bien que ceux qui ont de l’argent le dépensent ! Cette consommation bénéficiera à tout le monde.

Si l’on veut une redistribution des richesses dans le pays, il faut que des gens créent de la richesse.

LPA : Votre baromètre montre que l’Île-de-France et la Corse ont été les régions les plus touchées par la crise, avec une baisse respective de 13,1 % et de 14,1 % de leur ICAC. Pourquoi ?

L.C. : Paris, ville de tourisme international, de congrès, a été complètement à l’arrêt. Les grands hôtels sont vides depuis des mois. Il n’y a donc pas eu d’afflux de touristes ni de provinciaux qui viennent pour des réunions de travail. La Corse a été l’un des premiers clusters de Covid, alors qu’elle a une grande sensibilité au tourisme, sans oublier que son insularité n’a pas aidé.

Les régions qui s’en sortent le mieux, par trimestre, sont les régions côtières. Comme les départs en vacances à l’étranger n’étaient plus possibles, les Français sont restés en France et à la mer. Ainsi les régions PACA, Bretagne ou encore la Côte aquitaine, ont été très fréquentées et ont fait le plein de touristes.

LPA : Qu’attendre de la reprise ? Quelles nouvelles habitudes s’inscriront dans la durée ?

L.C. : L’histoire montre que cette crise, pour exceptionnelle qu’elle soit, sera suivie comme d’autres crises, d’un temps où la vie reprendra.

Les restaurants, fermés le midi, se sont adaptés pour proposer des commandes en ligne alors qu’au départ cela n’existait que pour de la restauration bas de gamme. Les réunions Teams ou en visio, au lieu des déplacements de province vers Paris, permettent de gagner en qualité de vie, évitent fatigue et empreinte carbone. Même après la crise, je pense que cela sera bel et bien fini.

L’autre effet, c’est qu’on a été privé. Maintenant, profitons ! Consommons ! C’est aussi à chaque citoyen de prendre conscience de son rôle.

Il faut préconiser de consommer localement : quand j’étais président du Conseil de l’ordre de la région PACA, au moment des commandes de masques l’année dernière, plutôt que d’opter pour des importations de masques chirurgicaux chinois, j’ai trouvé une entreprise locale qui en fabriquait, quitte à payer un peu plus cher. Mais cela entretient l’emploi. Toutes les petites briques comptent pour renforcer la solidité de l’économie française.

LPA : Vous semblez délivrer un message plutôt optimiste…

L.C. : Beaucoup ont dit « septembre 2020 va être un mois terrible pour l’économie française ». Mais pourquoi septembre ? Les aides se sont poursuivies, donc nous n’avons pas assisté, comme je m’en doutais, à des dépôts de bilan en masse. Au contraire, malgré les oiseaux de mauvais augures, nous constatons une baisse sensible des procédures collectives en 2020. Il y a plusieurs raisons, comme les suspensions par certaines administrations des procédures, et bien évidemment les aides massives pour le soutien à l’économie. L’enjeu majeur de la relance, cela va être la capacité de passer d’une logique d’aides à une logique de reprise de l’activité et de l’investissement. C’est sur ce résultat que le « quoi qu’il en coûte » sera jugé, sur la capacité à avoir protégé l’économie et la préparer à la reprise. Pas seulement sur la mise sous perfusion. Il y a trois conditions pour réussir cette relance : un choc de consommation pour relancer l’activité, une sortie progressive des aides pour les secteurs qui en ont besoin et permettre un étalement des dettes Covid sur une durée maximale de dix ans pour soulager la trésorerie des entreprises et leur permettre d’investir. Ainsi, les conditions seront réunies pour, espérons-le, des Trente Glorieuses telles que celles qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

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