Le barreau de Paris fait sa rentrée
Comme chaque année depuis plusieurs siècles, l’Ordre des avocats de Paris organise la rentrée du barreau. Une semaine qui a trouvé son point d’orgue le 25 novembre avec une cérémonie solennelle de rentrée du barreau tenue dans le cadre prestigieux de la Conciergerie du Palais de la Cité.
Avec une première apparition sous le règne de Louis XIV, l’Ordre des avocats est l’une des plus anciennes organisations qui regroupent la profession ; la rentrée du barreau qui s’est organisée du 21 au 25 novembre s’inscrit ainsi dans une longue tradition. Après une semaine de conférences, colloques et rencontres, c’est dans la médiévale « salle des gens d’armes » de la Conciergerie que s’est conclue cette semaine particulière pour les avocats parisiens. L’événement était également un moment d’échanges privilégiés entre acteurs internationaux du droit avec la présence du garde des Sceaux, de nombreux représentants de barreaux étrangers et de Vĕra Jourová, commissaire européenne à la Justice.
Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris, a inauguré la cérémonie en dévoilant le buste en bronze dédié à René Bondoux. Décédé en 2001, René Bondoux fut résistant lors de la Seconde Guerre mondiale, puis devint premier secrétaire de la Conférence avant d’être élu bâtonnier de Paris. Comme le veut la tradition, les deux premiers secrétaires de la Conférence ont prononcé, à tour de rôle, l’éloge d’un avocat défunt et l’histoire d’un grand procès. Marie Pugliese, 1re secrétaire de la Conférence, a choisi le célèbre pénaliste Philippe Lemaire, abolitionniste reconnu qui s’est illustré lors des procès de Roger Bontems en 1972 ou de Philippe Maurice en 1980. Pour Martin Desrues, 2e secrétaire de la Conférence, le choix s’est porté sur l’exercice difficile de prendre le point de vue de Guy Georges, le tueur de l’Est parisien.
Vers un barreau de Paris encore plus international
Dans sa prise de parole, la vice-bâtonnière Dominique Attias a souligné l’inquiétude de la profession face à un état d’urgence à nouveau prorogé au cours de l’été et désormais en vigueur depuis plus de treize mois. Elle a également rappelé son engagement contre la peine de mort à travers le monde et a souligné l’importance de la résolution présentée lors du 6e Congrès mondial contre la peine de mort en juin dernier à Oslo. Le barreau de Paris est en effet l’un des membres fondateurs de la Coalition mondiale contre la peine de mort et Dominique Attias a alerté sur les réactions de certains États face à la menace terroriste qui adoptent ou amendent des lois sur la peine capitale. Enfin, la vice-bâtonnière a appelé à continuer le combat pour la parité et les droits des femmes en faisant remarquer qu’elles composaient désormais 54 % du barreau parisien.
De son côté, Frédéric Sicard a mis l’accent sur l’ambition européenne du barreau de Paris. En rappelant les nombreuses initiatives pour transformer Paris en première place du droit en Europe, il a offert une vision de « l’Europe de la justice et du droit, comme ferment d’une nouvelle espérance des peuples dans l’unité de notre continent ». Le bâtonnier de Paris a également tenu à remercier le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, pour son activisme sur les réformes de la justice, et sa position qui a permis « une augmentation budgétaire sans précédent (…) que nous n’avions pas connue depuis trente ans » ! Enfin, la rentrée du barreau de Paris s’est clôturée par la remise des prix aux secrétaires de la Conférence. La médaille de la conférence a été attribuée à Selçuk Kozağaçlı ainsi qu’à Ayşe Acinikli et Ramazan Demir, les deux avocats turcs libérés en septembre dernier après avoir passé cinq mois en prison. Interdits de sortie de territoire par le gouvernement turc, Ayşe et Ramazan ont transmis un discours de remerciements où ils rendent hommage à « tous nos confrères qui luttent chaque jour avec nous (…), pour la promotion des droits de l’Homme en Turquie », en accordant une pensée particulière à ceux qui sont poursuivis ou en détention en Turquie et dans le reste du monde.
Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris, présente aux Petites Affiches son programme pour les mois à venir.
Les Petites Affiches – À l’aune d’une campagne présidentielle qui s’annonce particulièrement violente, quels seront les enjeux pour la profession en 2017 ?
Frédéric Sicard – Nous avons trois défis à relever : celui de la place du juge, celui de la place du droit et enfin de la place de l’avocat. En premier lieu, il va donc falloir intéresser les candidats à la magistrature suprême à la justice, à ce que représente le droit dans la société, et à notre profession. Vous aurez remarqué qu’au cours du débat des primaires de la droite et du centre, à l’exception d’une vingtaine de secondes où Alain Juppé a évoqué la catastrophe judiciaire en France, personne n’a fait allusion à la justice ou proposé de solutions. Nous sommes dans une situation où il y a quatre fois moins de juges au parquet que dans une démocratie comparable. Il faut que l’on arrive à alerter les candidats sur cette situation fondamentale : nous n’avons plus de juges, il y en a deux fois moins qu’il n’en faudrait pour que le système fonctionne.
L’autre problématique c’est celle du droit, et dans cette optique, le Brexit est un événement qui ne peut être ignoré. Paris, qui a peu de chances d’être une place financière, pourrait jouer sa carte de place du droit. C’est capital, car celui qui maîtrise la norme maîtrise les flux. Mais pour ça il faudrait bien sûr que les pouvoirs publics aient quelque intérêt pour la question, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Enfin, dernier point, une question fondamentale : celles des droits de la défense. Nous sommes entrés dans une politique du tout sécuritaire. La commission des lois a unanimement jugé qu’il était temps de mettre la place de l’avocat au niveau constitutionnel, mais ce projet a été instantanément rejeté par les députés. C’est un sujet important, d’autant plus à un moment où l’on voit le pays hésiter entre les extrêmes, savoir si le droit à l’avocat est constitutionnel ou non, c’est toute la différence entre savoir s’il faut une majorité qualifiée ou une majorité simple pour retirer les libertés.
LPA – Vous avez évoqué dans votre discours une défiance envers les institutions, quel rôle les avocats peuvent-ils jouer dans un tel contexte ?
F. S. – D’abord, il faut rappeler que les avocats ont la confiance du public. Un sondage en septembre dernier a démontré que 67 % des clients qui ont connu un avocat en France ont confiance en lui. Un chiffre qui est encore plus important lorsqu’on ne s’intéresse qu’au barreau parisien (77 % des Français). Plus de trois Français sur quatre ont confiance dans leur avocat, cela veut dire que nous pouvons être vecteurs de confiance. Les Français veulent quoi ? Une justice qui fonctionne, et que les politiques arrêtent de penser que les Français ne divorcent jamais, ne sont jamais licenciés, n’ont jamais de froissement de tôles et ne s’engueulent jamais avec leurs voisins. Partant de là, vous pouvez comprendre que l’on a besoin d’être protégé par un juge. Il faut avoir confiance dans l’idée que l’on ne va pas tout sortir du contentieux, il faut se donner les moyens d’avoir un régulateur social, c’est ça le droit. Actuellement, la seule politique que l’on connaisse c’est « l’intérêt de l’État prime sur tout ». Les lois sont sécuritaires parce que l’État a raison quoi qu’il arrive, ce qui n’est pas admissible. Ce qu’il faut faire c’est passer de la pensée de l’État de droit à celle d’une société de droit. Ce qui donne la liberté à nos concitoyens c’est la certitude de pouvoir avoir recours au droit et à la justice.
LPA – L’état d’urgence prolongé jusqu’aux élections présidentielles, est-ce que cela vous inquiète ?
F. S. – Prolongé aussi longtemps, l’état d’urgence n’a plus de sens. Cela sert à quoi ? Essentiellement à fouiller les voitures sans avoir d’élément objectif, en dehors de ça toutes les mesures de l’état d’urgence telles qu’on les a conçues en 2015 sont maintenant dans la loi de droit commun. La difficulté, c’est que c’est devenu un élément de communication et là on joue avec le feu. On nous explique que « suspendre les libertés et donner tous les pouvoirs à l’autorité » est nécessaire pour lutter contre le terrorisme, ce qui est fondamentalement faux ! Ce qui est important c’est de donner les moyens aux juges et à la police de faire des enquêtes et d’arrêter les coupables. Cela n’a jamais été de suspendre les libertés et de vivre en dictature. J’ose le dire : nous sommes aujourd’hui dans un état de dictature, à l’exception que le dictateur n’en est pas un et respecte les décisions des juges qui se contentent d’essayer de faire de la répression à partir de faits objectifs. Mais il est singulier que nous en soyons arrivés à une communication de dictature pour quelqu’un qui ne veut pas être dictateur. J’en reviens donc à l’idée première : nous avons une perte de sens.
LPA – Lors de son discours, le ministre de la Justice a critiqué le manque d’unité dans la représentation des avocats, avez-vous un commentaire à ce sujet ?
F. S. – C’est surtout un manque de réalisme politique, il y a une unité dans la profession d’avocat. La difficulté c’est de définir à quoi servent les ordres et l’institution nationale. S’il faut renforcer l’unité dans la représentation, on le fera, mais pour moi ce n’est pas la question essentielle. Ce dont on parle, c’est est-ce qu’il faut supprimer les ordres au profit d’une institution nationale, et je pense que c’est aller à rebours de la démocratie de faire cela. Que l’on me dise qu’il faut une seule représentation auprès des pouvoirs publics, je suis bien d’accord. Mais sur une question comme celle de la discipline, celle de la relation entre magistrats et avocats, est-ce que vous voulez supprimer le pouvoir des ordres ? C’est une folie, car c’est la dernière protection des avocats. Je ne conteste évidemment pas la primauté de l’institution nationale, je ne l’ai jamais fait. Mais je maintiens qu’à partir du moment où le Conseil national des barreaux assure la primauté dans la représentation auprès des pouvoirs publics, il ne peut pas se mêler de ce qui ne le regarde pas : c’est-à-dire l’application effective. J’appelle au respect strict des fonctions prévues par la loi.
LPA – Les élections du prochain bâtonnier ont été organisées début décembre, vous êtes à la moitié de votre mandat. Êtes-vous satisfait de l’action que vous avez pu mener en tant que bâtonnier ?
F. S. – Je le pointe régulièrement : nous avons effectué plus de 80 % de notre programme au cours de cette année, il reste 20 % à accomplir avec un an devant nous. Nous sommes en avance et cela permettra d’en faire plus au service de nos consœurs et confrères. Le projet qui me tient à cœur est celui d’aider les avocats du barreau à trouver plus facilement des locaux, que cela soit tant pour travailler que pour se loger. Nous allons faire une proposition forte à ce sujet en janvier, je l’espère. Je suis plutôt heureux du rythme d’exécution dans lequel nous nous sommes engagés et pour reprendre la chanson, « Je ne regrette rien ».
LPA – Allez-vous poursuivre les actions menées au niveau international ?
F. S. – De fait, les événements nous ont mis dans cette position. Je fais la part de l’action et de la conjoncture. Le fait même d’avoir eu une action européenne au moment du Brexit nous place dans une pole position. Je souhaite que le barreau de Paris participe au train des choses et donne une direction à l’Europe. J’aimerais beaucoup que les pouvoirs publics nous y aident, mais cela ne sera manifestement pas le cas. Cet objectif reste cependant tout à fait réalisable, car il se trouve que l’héritage de l’Histoire fait que nous avons à la fois une image de défenseur du droit, que nos juristes ont été formés à l’adaptabilité et que philosophiquement nous considérons que les valeurs du droit sont supérieures. Nous avons une chance extraordinaire de pouvoir bouger autour du monde, d’autant que nous sommes le barreau avec le plus de membres exerçant déjà à l’étranger. Nous avons toutes les possibilités pour agir entre nos mains, et ensemble nous porterons l’indépendance de la profession.