Interdire des signes distinctifs sur la robe d’avocat poursuit un but légitime et proportionné

Publié le 05/03/2025 à 10h20

Comme l’annonçait Actu-Juridique lundi soir, le Conseil d’état a validé l’interdiction posée par le Conseil national des barreaux de tout signe distinctif avec la robe d’avocat. On fait le point sur le sens et la portée de l’arrêt du 3 mars avec Me Patrick Lingibé. 

Interdire des signes distinctifs sur la robe d’avocat poursuit un but légitime et proportionné
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Le Juge du Palais-Royal vient de rendre une décision le 3 mars 2025 fort intéressante concernant l’interdiction de signes distinctifs sur la robe d’avocat dans une affaire opposant le Conseil national des barreaux à un syndicat d’avocats.

Le Syndicat des avocats de France a saisi le Conseil d’Etat, aux fins de demander d’une part, l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 septembre 2023 du Conseil national des barreaux introduisant un nouvel article 1.3 bis dans le règlement intérieur national de la profession d’avocat et d’autre part, la mise à la charge du Conseil national des barreaux la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Pour être précis l’article 1.3 bis intitulé « Port du costume » contesté dispose :

 « Ainsi qu’il est prévu à l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les avocats “revêtent dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession. »

 « L’avocat ne porte aucun signe distinctif avec sa robe. »

 Il interdit ainsi à tout avocat de porter de signe distinctif sur sa robe.

Le Juge du Palais-Royal a rejeté la requête du Syndicat des avocats de France.

Il a en effet considéré que le Conseil national des barreaux, en interdisant le port de signes distinctifs avec la robe, s’est borné en réalité à préciser les modalités d’application de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971, qui impose aux avocats le port d’un costume uniforme dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires.

Nous nous proposons d’analyser cette décision sous deux angles. Nous aborderons sous le premier angle la compétence normative du Conseil national des barreaux (I). Sous le deuxième, nous analyserons cette décision d’interdiction face aux libertés fondamentales (II).

I – LE POUVOIR NORMATIF DU CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

 Le syndicat des avocats de France contestait la compétence normative du Conseil national des barreaux à intervenir dans un domaine relevant de libertés individuelles.

Il considérait que le pouvoir réglementaire dont le législateur avait investi le Conseil national des barreaux aux fins d’unifier les règles et usages des barreaux trouvait sa limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l’exercice de la profession.

En clair, le port de signes distinctifs relevait de la conscience et de la liberté de chaque avocat que le Conseil national des barreaux ne pouvait réglementer.

Avant d’aborder la question sur les libertés fondamentales, il convient de rappeler le pouvoir dont dispose le Conseil national des barreaux pour imposer une règle normative à l’ensemble des avocats.

Aux termes du premier alinéa de l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, il convient de rappeler le Conseil national des barreaux est un établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale et est chargé de représenter la profession d’avocat notamment auprès des pouvoirs publics.

C’est ce même alinéa, dans sa rédaction issue de la modification apportée par l’article 25 de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques, qui lui confie une compétence normative en précisant :

 « (…) Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat. (…). »

En effet, il faut rappeler qu’avant cette réforme législative, le législateur limitait la compétence du Conseil national des barreaux à « veiller à l’harmonisation des règles et usages de la profession d’avocat. ». C’est d’ailleurs pour cette raison que le Juge du Palais va juger à cette époque que le Conseil national des barreaux ne disposait pas d’un pouvoir de « fixation de règles de déontologie revêtant un caractère impératif pour l’ensemble de la profession d’avocat » mais seulement d’un pouvoir limité à formuler « par voie de recommandations, de promouvoir l’harmonisation des règles et usages de la profession d’avocat, sans pour autant disposer à cette fin d’un pouvoir réglementaire » (Conseil d’État, 27 juillet 2001, Ordre des avocats du barreau de Tours, n° 191706). Cette position du juge de la légalité a été partagée par la Première chambre civile de la Cour de cassation (Civile 1ère, 21 janvier 2003, SELAFA Landwell et associés c/ Ordre des avocats du barreau de Paris), n° 01-01.805. Le législateur est par conséquent intervenu pour remédier à cette situation, d’autant qu’il devenait impératif d’unifier certaines règles et pratiques issues des 184 ordres d’avocats français.

Exercée depuis le 12 février 2004, cette compétence déléguée par le Gouvernement d’unification par voie réglementaire les règles et usages professionnels de l’avocat a fait l’objet depuis d’une confirmation par différentes décisions rendues par le Juge du Palais-Royal qui en a délimité également les limites.

Il convient de souligner que le Règlement Intérieur National constitue un acte administratif normatif qui peut être contesté devant le juge administratif soit par la voie de l’action dans le délai de recours de deux mois, soit par la suite par la voie de l’exception d’illégalité.

C’est par un arrêt rendu le 17 novembre 2004, que le Juge du Palais-Royal va reconnaître au Conseil national des barreaux l’existence d’un pouvoir réglementaire tout en délimitant sa portée :

« Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que le Conseil national des barreaux dispose d’un pouvoir réglementaire ; que ce pouvoir s’exerce, en vue d’unifier les règles et usages des barreaux, dans le cadre des lois et règlements qui régissent la profession ; que, toutefois, il trouve sa limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l’exercice de la profession ; que, dès lors, si le Conseil national des barreaux peut, le cas échéant, imposer à l’ensemble des barreaux une règle qui n’est appliquée que par certains d’entre eux, voire, dans les mêmes matières, élaborer une règle différente, il ne peut légalement fixer des prescriptions qui mettent en cause la liberté d’exercice de la profession d’avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n’auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d’État prévus par l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971, ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession ; que c’est dans ce cadre que doit être appréciée la légalité des dispositions contestées ; » (Conseil d’État, 17 novembre 2004, Société d’exercice libéral Landwell et associés et Société d’avocats EY Law, n° 268075 et 268501).

Que dans une décision rendue en 2006, le Conseil d’État va rappeler que ce pouvoir règlementaire délégué par l’article 21-1 de la loi de 1971 modifiée s’exerce toujours « dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur » et que cet article « qui a reconnu au Conseil national des barreaux un pouvoir réglementaire pour unifier les règles et usages de la profession, n’a pas eu davantage pour objet ou pour effet de réduire la compétence du Premier ministre » (Conseil d’État, 15 novembre 2006,  M. Philippe B c/ Ordre des avocats du barreau de Paris, n° 283475). Il convient de rappeler sur ce point que c’est le Premier ministre qui est titulaire en France du pouvoir réglementaire général en application du premier alinéa de l’article 21 de la Constitution.

Ce pouvoir réglementaire délégué d’unification s’exerce toujours dans la « limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l’exercice de la profession ; que le Conseil national des barreaux ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d’exercice de la profession d’avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n’auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d’État prévus par l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971, ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession ; » (Conseil d’État, 28 avril 2017, SELARL A.C.A.C.C.I.A. c/ CNB, 400832, cons. 2).

Dans cet arrêt rendu en 2017, le Conseil d’État a ainsi jugé légal le fait que le Conseil national des barreaux ait fait application de son pouvoir réglementaire pour préciser les règles de dénomination des cabinets :

 « (…) que les dispositions critiquées du règlement intérieur national se bornent, ainsi qu’il a été dit au point 6 ci-dessus, à préciser les conditions et limites dans lesquelles peuvent être choisies les dénominations par lesquelles les avocats ou les structures d’exercice sont identifiés ou reconnus, afin d’assurer le respect des exigences déontologiques qui s’imposent aux avocats ; qu’il en résulte, eu égard à l’objet et à la portée des dispositions critiquées et aux impératifs d’ordre public sur lesquelles elles reposent, qu’en n’exceptant pas de leur application les structures existantes, le Conseil national des barreaux n’a pas illégalement porté atteinte, contrairement à ce que soutient la société requérante, à des situations contractuelles existantes ; » (Arrêt précité, cons. 7).

Dans l’arrêt commenté, le Juge du Palais-Royal rappelle l’exégèse de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et donc la pensée du législateur. En l’espèce dans son considérant 5, il indique qu’en adoptant le troisième alinéa de cet article disposant « Ils (les avocats) revêtent dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession. », en réalité « le législateur, en imposant le port d’un même habit uniforme, défini par l’arrêté des consuls du 2 nivôse an XI, par tous les avocats dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, a entendu exclure le port de signes distinctifs s’ajoutant à ce costume. » 

 Cette position interprétative du législateur a toute son importance puisque qu’il tire une conséquence évidente et pratique dans les circonstances de la présente contestation : le Conseil national des barreaux n’a fait que « préciser les modalités d’application des dispositions précitées de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971, sans édicter de prescriptions nouvelles. » (Cons. 5).

 En effet, l’organe représentatif de la profession d’avocat s’est limité uniquement à uniformiser une règle interdisant le port de signes distinctifs sur la robe portée par tout avocat. La position du Conseil d’État aurait été différente si le Conseil national des barreaux avait édulcoré le troisième alinéa de l’article 3 de la loi de 1971 modifiée précité en supprimant par exemple le port de la robe d’avocat.

En tout état de cause, le moyen tiré de ce que le Conseil national des barreaux était incompétent pour adopter la disposition normative posant l’interdiction de tout port distinctif sur la robe ne pouvait pas prospérer et c’est à bon droit que le Juge du Palais-Royal a rejeté cet argument.

Le Juge du Palais-Royal a écarté également deux moyens d’illégalité soulevés par le Syndicat des avocats de France portant sur les conséquences de l’application des dispositions de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 en prohibant le port de signes distinctifs avec la robe d’avocat. Ils portaient sur le respect de cet article 3 avec les articles 9 (présomption d’innocence) et 10 (liberté d’opinion) de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Il a considéré que ces moyens se rapportaient en réalité à la conformité à une disposition législative à la Constitution et qu’ils auraient dû être soulevés, en tout état de cause, dans le strict cadre de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité prévue à l’article 61-1 de la Constitution (Cons. 6).

Nous nous proposons d’analyser à présent cette décision au regard du prisme des droits fondamentaux.

II – LA DÉCISION NORMATIVE CRITIQUEE FACE AUX LIBERTES FONDAMENTALES

Le Syndicat des avocats de France invoquait dans sa requête la méconnaissance, de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales amendée du 4 novembre 1950, des articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Nous reproduisons ci-dessous le contenu de ces trois articles pour une meilleure compréhension.

Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales amendée du 4 novembre 1950 :

 « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 entré en vigueur le 23 mars 1976 :

 « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.

 2.Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.

 3.La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

 4.Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions. »

 Article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 entré en vigueur le 23 mars 1976 :

« 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

 2.Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

 3.L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :

 a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;

 b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. » 

 Il convient de rappeler que contrairement au contentieux se rapportant à la conformité constitutionnelle d’une norme qui reste de la seule compétence du Conseil constitutionnel saisie par voie d’action ou d’exception, il revient au seul juge national d’effectuer un contrôle de la norme française déférée avec les normes conventionnelles. Il convient de rappeler sur ce dernier point les termes de l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. » 

 Le Conseil d’État a écarté ces arguments en indiquant que la décision normative critiquée était juridiquement justifiée parce qu’elle préserve un principe d’identification, d’égalité et qu’elle poursuit un but légitime et que cette interdiction est proportionnée à ce but.

En premier lieu, il a jugé que l’obligation pour les avocats de porter la robe a pour objectif d’identifier ces derniers et d’éviter qu’ils n’affichent des préférences personnelles sans rapport avec la défense des intérêts de leur client qui est et doit toujours demeurer leur préoccupation essentielle : « L’obligation légale pour les avocats, qui ont la qualité d’auxiliaires de justice et apportent un concours régulier et indispensable au service public de la justice, de porter la robe dans leurs fonctions judiciaires a pour objectif d’identifier ces derniers par un costume qui leur est propre et d’éviter, par l’uniformité de ce costume commun à l’ensemble de la profession, qu’ils n’affichent par leur apparence de préférences personnelles sans rapport avec la défense des intérêts de leur client. »  (Cons. 7).

 Ce principe d’identification est très important comme le souligne le Juge du Palais-Royal, car il permet aux justiciables, peu formés au décorum de la Justice, de reconnaître les avocats dans un costume uniforme ne comportant aucun signe distinctif marquant une préférence personnelle de son porteur à quelque forme idéologique, religieuse ou autre, au demeurant totalement inutile par rapport à la mission de défense du client qui s’est adressé à lui.

 En deuxième lieu, il a également souligné que le port d’un costume uniforme contribue à assurer l’égalité des avocats et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables, qui est une condition nécessaire du droit à un procès équitable : « En outre, le port d’un costume uniforme contribue à assurer l’égalité des avocats et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables, qui est une condition nécessaire du droit à un procès équitable. »

Le Juge du Palais-Royal rappelle la réalité du principe d’égalité qui doit être visible dans un procès tant du point de vue de l’avocat mais surtout du justiciable : le port d’un costume uniforme par tout avocat exempt de tout port de signé distinctif assure cette égalité visuelle.

Il convient de rappeler que le Conseil national des barreaux est venu normer parce que la problématique posée par le port des signes distinctifs sur la robe et les réflexions enflammées qu’elles pouvaient donner lieu a amené plusieurs conseils de l’ordre d’adopter des dispositions dans leurs règlements intérieurs.

Pour rappel, le 7 juillet 2015, le conseil de l’ordre des avocats du barreau de Paris a inséré à l’article P 33 de son règlement intérieur le second alinéa rédigé dans les termes suivants : « L’avocat ne peut porter avec la robe de signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, communautaire ou politique. »

De même, le 7 juillet 2020, le conseil de l’ordre des avocats du barreau de Bordeaux a procédé à la modification de l’article 21 de son règlement intérieur en insérant le paragraphe suivant : « L’avocat doit revêtir le costume d’audience devant toutes les juridictions et les instances administratives ou disciplinaires. Le costume d’audience est constitué de la robe à l’exclusion de tout signe distinctif en dehors des décorations de la République française. »

Dans la même dynamique, le 1er juillet 2021, le conseil de l’ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine insérait dans son règlement intérieur un article 145 intitulé Port de la robe ainsi rédigé : « L’avocat doit se présenter en robe devant toutes les juridictions et organismes à caractère juridictionnel et ne peut porter de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, communautaire ou politique. ».

Enfin, en 2023, le conseil de l’ordre des avocats du barreau de Lyon insérait à l’article intitulé « Plaidoirie » un nouvel alinéa rédigé dans les termes suivants : « L’avocat doit revêtir le costume d’audience devant toutes les juridictions et instances administratives ou disciplinaires. L’avocat ne peut porter avec la robe aucun signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique ou politique. ».

Il faut rappeler que deux dispositions réglementaires adoptées par deux conseils de l’ordre ont donné lieu à un contentieux.

Le premier contentieux concerne le conseil de l’ordre de Toulouse qui, par une délibération du 5 décembre 2016, avait adopté une modification de l’article 2 de son règlement intérieur intitulé « attitude aux audiences », prohibant le port des décorations sur la robe des avocats. Par arrêt un rendu le 13 juillet 2017, la cour d’appel de Toulouse avait annulé cette délibération ordinale. Ce contentieux a donné lieu à la saisine de la Cour de cassation, laquelle a rendu par sa première chambre civile un arrêt le 24 octobre 2018 rejetant le pourvoi du conseil de l’ordre et validant ainsi l’annulation prononcée par la cour d’appel toulousaine en ces termes :

« Mais attendu que, d’abord, la cour d’appel s’est fondée sur les articles R. 66 et R. 69 du Code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire, auxquels renvoie l’article 27 du décret n° 63-1196 du 31 décembre 1963 portant création d’un ordre national du Mérite, textes dont elle a justement déduit le droit pour le décoré de porter les insignes que confère l’attribution d’une décoration française ; qu’ensuite, après avoir énoncé, à bon droit, que le principe d’égalité ne s’oppose pas à l’existence de décorations décernées en récompense des mérites éminents ou distingués au service de la Nation, elle a pu retenir que, lorsqu’un avocat porte sur sa robe professionnelle les insignes des distinctions qu’il a reçues, aucune rupture d’égalité entre les avocats n’est constituée, non plus qu’aucune violation des principes essentiels de la profession ; qu’enfin, le grief tiré d’une rupture d’égalité entre les justiciables n’a pas été invoqué devant la cour d’appel ; que le moyen, irrecevable en sa troisième branche qui est nouvelle et mélangée de fait, n’est pas fondé pour le surplus ; » (Cour de cassation, Civile 1ère, 24 octobre 2018, 17-26.166).

Le deuxième contentieux concernait une délibération du 24 juin 2019 du conseil de l’ordre des avocats au barreau de Lille qui avait modifié l’article 9.6 de son règlement intérieur, relatif aux rapports avec les institutions, par l’ajout d’un cinquième alinéa disposant : « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique. ». Cette délibération a été contestée par une élève avocate devant la cour d’appel de Douai qui par arrêt du 9 juillet 2020 a rejeté son recours. Saisi d’un pourvoi, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 2 mars 2022 qui a statué sur la recevabilité du recours formé par la requérante qui n’est pas avocate sans trancher le fond du litige :

 « 5. En deuxième lieu, il résulte des articles 31 du Code de procédure civile, 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 14, 15 et 62 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que, d’une part, seul le procureur général ou un avocat s’estimant lésé dans ses intérêts professionnels peut déférer à la cour d’appel les délibérations ou décisions du conseil de l’ordre, d’autre part, l’élève d’un [5] d’avocats dépend juridiquement de ce centre, de sorte que, s’agissant d’une action attitrée, celui-ci n’a pas qualité pour agir en contestation d’une délibération du conseil de l’ordre d’un barreau.

 6.Après avoir relevé que Mme [J] n’était pas avocate, mais élève avocate en formation à l'[7], non encore titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat, la cour d’appel en a exactement déduit que celle-ci ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 15 du décret précité, en l’absence de justification d’un intérêt professionnel lésé, et que le serment prêté par les élèves-avocats au début de leur formation n’était pas de nature à les assimiler à des avocats ni leur conférer la qualité exigée par ce texte.

 7.En troisième lieu, ayant retenu que Mme [J], qui n’était pas soumise au port de la robe en sa qualité d’élève-avocate, ne pouvait se prévaloir d’une violation actuelle de ses droits et libertés reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante. » (Cour de cassation, civile, Civile 1ère, 2 mars 2022, 20-20.185).

Les termes de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai présentent des éléments importants car ils mentionnent le but légitime et la proportionnalité de la norme imposée, notions soulignées par le Conseil d’État dans la décision commentée :

« Afin de protéger les droits et libertés d’autrui et en l’espèce ceux du justiciable que l’avocat représente ou assiste, chaque avocat dans l’exercice de ses fonctions de défense et de représentation se doit d’effacer ce qui lui est personnel au profit de la défense de son client et du droit, le port de la robe sans aucun signe distinctif étant nécessaire afin de témoigner de cette disponibilité à tout justiciable.

 Dès lors l’interdiction édictée par la délibération litigieuse du 24 juin 2019 ne peut pas empêcher une femme portant le foulard de prêter serment et de devenir avocate, mais seulement restreindre la possibilité de garder le foulard quand cette avocate intervient devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable, la liberté qui lui est reconnue de manifester sa religion devant céder, lorsqu’elle intervient comme auxiliaire de justice, concourant au service public de la justice, devant la protection des droits et la liberté du justiciable.

 L’objectif recherché est ainsi bien légitime et l’exigence proportionnée, cette interdiction ne valant que lors des seules missions de l’avocat de représentation ou d’assistance d’un justiciable devant une juridiction. » (cour d’appel de Douai, audience solennelle, 9 juillet 2020)

Il s’en suit pour le Conseil d’État que la norme posée par le Conseil national des barreaux emportant interdiction pour tout avocat de porter de signes distinctifs avec sa robe, poursuit dès lors un but légitime et est proportionnée à ce but. Il s’ensuit ainsi que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 18 du pacte international des droits civils et politiques ne peut qu’être écarté.

Il convient de préciser que cette norme a été posée après un travail de réflexion très conséquent mené par la Conférence des bâtonniers de France, par la commission règles et usages du Conseil national des barreaux ainsi que d’une consultation juridique donnée par deux experts sollicités par le président de l’instance représentative Jérôme Gavaudan (Voir pour des informations plus détaillées notre article « Robe d’avocat et signes distinctifs : le CNB pose la règle de l’interdiction »).

Le Conseil d’Etat clôt donc le débat : aucun signe distinctif n’est autorisé avec la décision normative prise par le Conseil national des barreaux le 7 septembre 2023.

Attention cependant, aucun signe distinctif, à l’exception toutefois des décorations républicaines puisque le port de celles-ci est codifié et protégé par des dispositions du code de la Légion d’honneur. Même en voulant satisfaire les tenants d’une interdiction absolue et générale de tout signe distinctif sur la robe d’avocat, il eut été impossible au Conseil national des barreaux d’interdire le port de ce type de décorations sans porter atteinte à une norme de nature décrétale.

Ainsi, dans un arrêt rendu le 24 octobre 2018, la Première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi sanctionné la décision d’un conseil de l’ordre en ce qu’il ne pouvait interdire à un avocat de porter des insignes et décorations républicains : « Mais attendu que, d’abord, la cour d’appel s’est fondée sur les articles R. 66 et R. 69 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire, auxquels renvoie l’article 27 du décret n° 63-1196 du 31 décembre 1963 portant création d’un ordre national du Mérite, textes dont elle a justement déduit le droit pour le décoré de porter les insignes que confère l’attribution d’une décoration française ; qu’ensuite, après avoir énoncé, à bon droit, que le principe d’égalité ne s’oppose pas à l’existence de décorations décernées en récompense des mérites éminents ou distingués au service de la Nation, elle a pu retenir que, lorsqu’un avocat porte sur sa robe professionnelle les insignes des distinctions qu’il a reçues, aucune rupture d’égalité entre les avocats n’est constituée, non plus qu’aucune violation des principes essentiels de la profession ; qu’enfin, le grief tiré d’une rupture d’égalité entre les justiciables n’a pas été invoqué devant la cour d’appel ; (…) » (Civile 1ère, 24 octobre 2018, n° 17-26.166). Cela peut s’expliquer par le fait que ces décorations ne sont pas fondamentalement religieuses, philosophiques ou politiques, mais relèvent plutôt de normes protocolaires, d’esthétique et de symboles républicains. Nous croyons pour notre part que les valeurs de la République se trouvent principalement dans le cœur et l’âme de la personne honorée, au-delà d’une simple distinction.

L’arrêt rendu le 3 mars 2025 par le Conseil d’État a été synthétisé de manière pertinente par la présidente du Conseil national des barreaux Julie Couturier, qui a souligné l’objectif principal de cette règle établie dans le règlement intérieur national. « En garantissant une même apparence pour tous, cette règle vise à gommer l’individualité de l’avocat au profit de la représentation du justiciable. Elle assure l’égalité entre les avocats et, par extension, celle des justiciables, condition essentielle du droit à un procès équitable. »

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