Barreau de Paris : rentrée insolite à la Maison de la Radio

Publié le 27/12/2017

C’est à une rentrée inédite à plus d’un titre que le bâtonnier, Frédéric Sicard, a convié ses confrères pour la dernière cérémonie de son mandat le 1er décembre dernier. Nouvel espace, remise de prix à un magistrat, mise en garde contre les propos d’un secrétaire, la rentrée a fait parler d’elle…

Longtemps organisée dans l’enceinte du Palais, notamment à la première chambre de la cour d’appel de Paris, la rentrée solennelle du barreau s’est ensuite déplacée au Théâtre du Châtelet durant plusieurs années. Le 1er décembre dernier, elle avait de nouveau déménagé, mais cette fois beaucoup plus loin du palais, au studio 104 de la Maison de la radio. Le barreau avait affrété pour l’occasion plusieurs bateaux pour y emmener les avocats qui le souhaitaient par la Seine.

Sur place, le déroulé de la cérémonie a suivi son cours, avec un peu moins de solennité que lors des années précédentes mais quelques événements inédits en prime. Ainsi, le premier secrétaire de la Conférence, Jean-François Morand, venait à peine de terminer un éloge très bien tourné du publiciste Louis-Édouard Julien Laferrière (1841-1901), vice-président du Conseil d’État de 1886 à 1898, lorsque le délégué du bâtonnier a pris la parole avant l’intervention du deuxième secrétaire, Jérémie Nataf — ce qui n’arrive jamais —, pour délivrer cette mise en garde : « La Conférence vous le savez est le symbole de l’éloquence de notre jeunesse, mais elle est également et surtout un espace de liberté. Si d’aventure un discours était susceptible de heurter certains d’entre vous, le barreau de Paris, tout en demeurant soucieux de préserver la liberté d’expression, entend préciser que les propos tenus le sont sous la responsabilité de celui qui les tient et surtout tiennent aux particularités de cet exercice difficile ».

De mémoire d’avocat, c’était la première fois que le barreau jugeait nécessaire de se désolidariser publiquement et par anticipation des propos d’un de ses secrétaires. La démarche a d’autant plus surpris que le discours du deuxième secrétaire était rien moins que sulfureux. Certes, celui-ci était consacré à Hélie Denoix de Saint Marc (1922-2013), ancien résistant, ancien déporté, mais aussi condamné en 1961 à 10 ans de prison en raison de sa participation au putsch des généraux. Toutefois, le discours du deuxième secrétaire ne consistait pas à faire son éloge mais à raconter son procès. Au demeurant, il avait choisi de raconter comment sa propre histoire familiale s’était entremêlée à la grande histoire, son père étant né en Algérie. Sur le moment, l’assistance a pensé que le barreau avait craint d’offenser les avocats algériens présents dans la salle, mais lorsque le bâtonnier de Paris s’est expliqué quelques jours plus tard sur Twitter, il a évoqué une autre inquiétude : « Parce que ce discours n’a pas été censuré et que vous aurez remarqué qu’il n’épargne pas l’ancien président de la République qu’est le Général de Gaulle. Le « disclaimer » a permis à tout le monde de l’applaudir, en ce compris les officiels présents. C’était bien mérité ».

Pierre Moscovici ressuscite la déclaration de soupçon

Ce ne fut pas le seul événement insolite. En lieu et place du garde des Sceaux, invité politique traditionnel de la rentrée, c’est la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui s’est déplacée ainsi que le commissaire européen, Pierre Moscovici. La première a tenu des propos consensuels sur les nouveaux défis soulevés par le climat et les migrants, de même qu’elle a salué la collaboration avec les chefs de cour parisien et le nouveau palais de justice.

À l’inverse, l’intervention de Pierre Moscovici a été nettement plus polémique. Le commissaire européen était en effet venu présenter les dernières avancées européennes en matière de lutte contre la fraude fiscale, sujet sensible s’il en est pour les avocats que l’on accuse d’être souvent les complices de l’évasion fiscale, quand on ne leur demande pas de dénoncer leurs clients ! Pierre Moscovici a expliqué que l’Europe luttait à la fois contre les auteurs de la fraude, contre les complices que sont les paradis fiscaux et contre les intermédiaires qui prêtent leur concours qu’il s’agisse des banques, des conseils ou… des avocats.

Une proposition de réforme européenne, présentée le 21 juin dernier, décide que les montages de planification fiscale excessive répondant à un certain nombre de critères fixés dans le texte devront être soumis à l’administration, soit par les bénéficiaires soit par leurs conseil. « Si ces dispositifs sont illégaux, alors l’administration pourra engager des poursuites, s’ils sont légaux mais contreviennent aux standards internationaux, alors les administrations pourront repérer la faille et la réparer », a expliqué le commissaire européen. La proposition ne vise pas à stigmatiser ni à lancer l’anathème sur une profession, a pris soin de préciser Pierre Moscovici.

De la même manière, il a indiqué que comme les avocats il était conscient de la distinction entre légalité et moralité, mais il a souligné que l’opinion publique ne raisonnait pas de cette façon : « La fraude, l’évasion, l’optimisation font l’objet d’un rejet que nous devons mesurer et cela se fait sans distinction des notions. (…) Il faut prendre conscience de ce changement de mentalité car il n’y aura pas de retour en arrière ».

Dans ce contexte, il a invité la profession d’avocat à accompagner ces changements, estimant même que c’était pour elle un devoir que d’anticiper la réforme applicable au 1er janvier 2019. Des propos qui ont déclenché des murmures dans la salle car si les avocats ne peuvent qu’acquiescer à la nécessaire lutte contre la fraude fiscale, il est plus difficile de les convaincre de dénoncer leurs clients a fortiori quand il s’agit d’entrer sur le terrain très flou de la « planification fiscale excessive » !

Odieuse calomnie

« Définissez des règles en accord avec notre profession alors que l’Europe doit donner l’exemple en mettant un terme à la concurrence fiscale des États de l’Union. Que cette Europe, alors unie, impose des principes forts aux États du monde dans une relation de conviction puissante », a rétorqué Frédéric Sicard à Pierre Moscovici qui avait déjà quitté la salle en raison d’un agenda chargé.

Le bâtonnier a estimé qu’il était temps pour le politique de ne plus masquer « la paralysie qui est sienne, derrière une odieuse calomnie, injuste transfert de responsabilités ; celle qui voudrait toujours qu’on confonde l’avocat et son client, pour le décompte des vilenies ». Et le bâtonnier de s’interroger : « Comment peut-on, dans un état de droit, condamner un client parce qu’il bénéficie d’une loi acceptée tant au niveau national qu’européen ? (…) Comment peut-on, dans un état de droit, condamner un avocat parce qu’il informe son client du bénéfice d’une loi ? ». Ce faisant, le bâtonnier a mis en exergue le glissement de la lutte contre la fraude fiscale à la lutte contre l’optimisation fiscale, autrement dit de la traque des comportements illégaux à la chasse à l’immoralité. La solution, à son sens, pourrait consister par exemple à fixer une limite de déduction possible, même s’il admet que c’est un exercice difficile. Il a été très applaudi par la salle.

Fin de bâtonnat oblige, la vice-bâtonnière Dominique Attias a concentré, quant à elle, son intervention sur le bilan des deux années de mandat en matière de libertés publiques. Elle a ainsi souligné que le pôle « Accès au Droit et à la Justice » de l’ordre avait enregistré une importante augmentation de ses activités qu’il s’agisse de la garde à vue, des permanences de défense d’urgence en droit pénal, de l’aide juridictionnelle ou encore de l’antenne des mineurs. Justement, très investie en faveur des mineurs, Dominique Attias a rappelé que le barreau avait mis en place des permanences « dédiées à ces enfants qui, au péril de leur vie, arrivent seuls sur notre territoire à la recherche d’un avenir meilleur ». Elle a également réalisé un de ses rêves, créer un réseau d’avocats d’enfants en Europe et a confié son ambition de faire la même chose en Afrique.

La rentrée solennelle est aussi l’occasion de remettre des prix. Et là encore Frédéric Sicard s’est illustré par une démarche inédite en faisant monter sur scène la représentante de la première présidente de la cour d’appel de Paris, Chantal Arens, la procureur générale, Catherine Champrenault, le président du TGI de Paris, Jean-Michel Hayat, et le procureur, François Molins. Le bâtonnier a voulu ainsi saluer la qualité du dialogue qu’il avait entretenu durant son mandat avec les chefs de cour et de juridiction. Il n’y avait qu’une médaille pour quatre magistrats. Celle-ci a été remise à François Molins.

 

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