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Black Robe Brigade : des avocats vent debout pour défendre les libertés

Publié le 25/05/2021

Black Robe Brigade : des avocats vent debout pour défendre les libertés

Depuis le mouvement contre la réforme des retraites des avocats, fin 2019, le collectif informel Black Robe Brigade a bouleversé la manière de se mobiliser et de faire le buzz pour parler de sujets très sérieux, libertés individuelles et dérive sécuritaire en tête. Truculents, ironiques et inquiets, les avocats de la BRB – clin d’œil à l’acronyme de la Brigade de répression du banditisme – n’entendent pas se taire. Alors que l’Assemblée nationale et le Sénat viennent de parvenir à un accord sur la loi relative à la sécurité globale, ils nous expliquent leur démarche.

On les a vus place Vendôme, sous les fenêtres du ministère de la Justice, ou encore place de la République ou de la Bastille, toujours équipés de leur logo de pirate et de fumigènes, loin du calme habituel des cabinets. Depuis près d’un an et demi, les membres du collectif Black Robe Brigade (BRB) cassent les codes et organisent la riposte face aux attaques subies par leur profession, comme de façon plus large, par la démocratie. Leur image, celle de trublions devenu porte-parole des doléances liées à la justice, ils la tiennent peut-être de leur émergence spontanée, que relate Me Talïa Coquis, l’une des cofondatrices du collectif. « Tout a commencé par une soirée, un coup de tête ». Quelques avocats, amis et partageant les mêmes valeurs, se retrouvent et discutent. À ce moment-là, fin 2019, la révolte gronde dans leur camp. Le projet de réforme de leur retraite les mobilise, ils font grève massivement, bloquent des tribunaux, allant jusqu’à balancer leurs robes à terre. L’idée émerge alors de se rassembler. Un combat corporatiste ? Pas du tout ! « Avec la mort annoncée de certains cabinets [qu’aurait impliquée la réforme des retraites], notamment des plus petits, nous nous sommes dit que c’était l’accès à la justice qui allait être rendu encore plus difficile pour certains », explique Me Coquis, également inquiète des atteintes potentielles aux droits de la défense.

Certes, les combats des acteurs de la justice ne sont pas nouveaux : le collectif Liberté Égalité Justice ou les États généraux de la justice ont précédé la BRB, mais « ce qui était inédit avec la BRB, c’est que c’est un mouvement composé uniquement d’avocats ».

Des combats menés dans les prétoires comme dans la rue

Justement, qui sont-ils ? Ils n’ont pas de visage, dans le sens où il n’y a pas de leader. « Pas non plus de couleur politique, pas d’âge, et pas de limite territoriale », renchérit Me Talïa Coquis. Jeunes ou vieux, pénalistes ou spécialistes du droit des baux commerciaux, femmes ou hommes, de Paris ou de région, de gauche ou de droite, jamais encore le besoin de lien n’était apparu comme aussi nécessaire à une profession libérale, aux membres parfois isolés. Ils seraient aujourd’hui 250 sur l’ensemble du territoire, avec un noyau dur d’une vingtaine. Me Stéphane Maugendre, 33 ans de barreau, a été séduit immédiatement par l’audace des initiateurs du mouvement, « dès leur première action, place Vendôme, où ils avaient brûlé des codes. Le philosophe Michel Onfray [aux propos souvent polémiques, NDLR] avait même twitté qu’il s’agissait d’un autodafé ! », s’offusque-t-il. « Je devais les rejoindre, c’était une évidence ».

Lui qui connaît bien les instances fonctionnelles et officielles – il a été membre du bureau du Syndicat des avocats français (SAF) et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) – a regardé avec enthousiasme le caractère « informel » du mouvement. Fougue, autodérision, organisation horizontale, le pénaliste y a vu un renouvellement des formes de mobilisation. « Il y a beaucoup d’individualités, les idées fusent, les groupes Whats’app se font et se défont », raconte Me Maugendre. Il aime le fond, la forme et les valeurs communes de ses membres. « Liberté, égalité, fraternité », résume Me Alexis Baudelin. « Notre drapeau pirate rappelle l’importance que nous accordons à la liberté, et le fait que nous contestons des contraintes imposées par les normes étatiques. L’entraide et la fraternité aussi sont importantes. On adopte les codes libertaires. Nous sommes tous égaux et n’avons pas besoin de quelqu’un qui dirige. Nous avons tous le droit d’incarner ce collectif ».

Tous deux aiment d’ailleurs cette réactivité, cette agilité due aux nouvelles formes d’engagement que rend possible le recours aux réseaux sociaux. « Le fait de ne pas être structuré verticalement, c’est justement ce qui nous permet d’être réactif, de réagir par vague, en fonction des disponibilités des uns et des autres », explique Me Talïa Coquis. Dernièrement, les avocats de la BRB se sont ainsi mobilisés pour soutenir leur confrère Me Paul Sollacaro, expulsé manu militari du tribunal d’Aix-en-Provence en mars dernier. « Une fois informé de l’événement, nous avons diffusé l’information sur nos réseaux. En 48h, nous avons twitté, écrit une tribune dans Libération, rendu possible le déplacement pour ceux qui le pouvaient. Résultat : entre autres choses, cela a poussé le barreau de Paris, important puisqu’il représente la moitié des avocats de France, à réagir. Aujourd’hui, on doit être 1 000 signataires », relate Me Stéphane Maugendre.

Le but de la BRB ? Faire du bruit, sans pour autant se substituer aux formes plus traditionnelles de représentation, comme les syndicats (SAF, UJA ou encore le CNB). Mais puisque ces derniers ont « du mal à se faire entendre, à l’image des Gilets jaunes qui ont opté pour d’autres moyens d’actions, nous avons décidé de nous battre de façon horizontale, de façon spectaculaire », explique Me Alexis Baudelin, avocat dans un cabinet d’affaires et bientôt à son compte.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un rassemblement devant l’Assemblée nationale pour contester le passage en 49-3 de la réforme des retraites que le collectif lui a proposé de rejoindre ses rangs. « Notre manière de faire a pu un peu brusquer les partisans de la courtoisie et des principes de dignité. Mais nous ne salissons pas la robe lorsque nous la revêtons dans la rue, même équipé de fumigènes et de slogans. Nous sommes atypiques et dans l’air du temps », estime-t-il. Les « premières crispations » se sont vite atténuées, car tout le monde a tiré profit de la visibilité des combats menés par ces « disrupteurs ». « En tant qu’avocats, les combats doivent être menés dans les prétoires des tribunaux mais aussi dans la rue. L’avocat doit sortir de son cabinet et se retrouver avec l’ensemble des citoyens », assène Me Alexis Baudelin.

Face à la tentation sécuritaire

Alors que l’Assemblée nationale et le Sénat se sont mis d’accord sur un texte relatif à la sécurité globale qui a suscité de nombreuses manifestions et inquiétudes de la part des vigies démocratiques, la BRB s’inquiète. « L‘avocat se doit d’être un défenseur des libertés. Cette vision sécuritaire du monde, avec toujours plus de caméras et de répression, n’est pas la bonne », clame Me Alexis Baudelin. D’une certaine manière, « on se pose aussi comme des lanceurs d’alerte. Ce n’est pas parce qu’il y aura plus de sécurité que nous serons plus libres ». Il le rappelle : les lois sécuritaires finissent toujours par être étendues bien au-delà de leur usage d’origine. « Même sans dictateur, ces lois peuvent être dévoyées. On va dans le sens de ces récits dystopiques où les crimes sont prévenus avant même d’être commis ». Même inquiétude de la part de Me Stéphane Maugendre : « Dans ce fameux article 24, ce qui inquiète l’avocat, c’est la sanction du délit d’intention. Ce sont des principes ancestraux du droit. Et ne plus les appliquer, c’est ouvrir une brèche en procédure pénale, ce qui n’est jamais anodin. On le voit avec le droit des étrangers (restrictif), qui finit par s’étendre partout ». Alors, des moyens d’action sont envisagés. « Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi de façon légale – 60 députés, 60 sénateurs – un certain nombre d’associations ne sont pas recevables à le saisir. Elles peuvent néanmoins profiter de la saisie pour déposer un mémoire » et ainsi présenter leurs réflexions. « La question de ce procédé se pose actuellement », confie Me Stéphane Maugendre.

À ses yeux, les temps sont graves : ce dernier pense « qu’on a passé un cap, puisqu’on est passé aux actes législatifs. On est en état d’urgence depuis six ans, et sous couvert de cet état d’urgence, on fait passer un certain nombre de choses. La meilleure preuve, c’est que l’État d’urgence est passé dans la loi pénale ». Et il regrette que les instances comme le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, ou le Conseil d’État mettent des freins, « mais seulement à la marge ». Devant cet affaiblissement des garde-fous démocratiques, le message porté à l’international compte aussi. « La Hongrie et les autres États sécuritaires peuvent se dire “Regardez, si même la France, le pays des droits de l’Homme, a recours à ce genre d’arsenal, alors nous pouvons le faire en toute tranquillité” », décrypte Me Baudelin. Depuis les Gilets jaunes, les manifestations sont réprimées durement, les schémas de maintien de l’ordre dénoncés, les blessés démultipliés. « Oui il existe des tentations de juguler les manifestations », reconnaît Me Talïa Coquis. « On surveille plus, on réprime plus tous ceux qui osent contester même s’ils ne sont pas des délinquants ». La faute entièrement au président ? Non, plutôt la continuité du mandat de Nicolas Sarkozy et de ses successeurs. Me Talia Coquis se rappelle encore du « caractère intolérable » des peines planchers, avec le risque de « supprimer le juge et l’avocat » et le fait qu’une fois le délit commis, « on passe à la caisse », sans vision humaniste de la justice. « Taper un grand coup sur la table, cela rassure », estime-t-elle. « Mais il n’y a aucun intérêt ni pour les victimes ni des auteurs ».

La justice, autre parent pauvre des services publics

« Les réponses des policiers comme des magistrats, font preuve de plus en plus de sévérité. En témoigne la réforme du Code pénal des mineurs, pour nos enfants, aussi », s’inquiète Me Talïa Coquis. « Une part trop importante du budget de la justice est destinée à la prison, alors que la bonne réponse n’est pas là. Il faudrait plus de magistrats, plus de moyens pour le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Dès que de nouvelles places ouvrent, elles sont immédiatement saturées. C’est une situation chronique, d’autant plus en période de pandémie », met-elle en garde. Elle s’inquiète d’une « institution judiciaire fragilisée » par les coupes successives des budgets, parallèle que l’on peut dresser avec l’éducation nationale ou même l’hôpital. « Cela fait des années que l’on alerte sur les budgets pas bien alloués », tempête lui aussi Me Alexis Baudelin. Il est fatigué – et inquiet – des dégradations du fonctionnement de la justice, constatées au quotidien.

« À chaque fois qu’on se lève pour plaider, c’est pour dessiner la société telle qu’on voudrait qu’elle soit », clame Me Talïa Coquis. Chaque manifestation de la BRB entend sonner comme une plaidoirie pour des libertés protégées, des avocats vigilants et des citoyens en pleine conscience de leurs droits.