Conciliateurs de justice : « Nous sommes l’incarnation de la justice de proximité »

Publié le 17/01/2024

Les conciliateurs de justice, collaborateurs essentiels du service public de la justice et premier maillon de l’amiable, se feront sans doute de plus en plus incontournables. Depuis le 1er octobre 2023, il est effet obligatoire de recourir à un mode de résolution amiable avant de saisir le tribunal judiciaire pour un litige portant sur le paiement d’une somme qui ne dépasse pas 5 000 €. Actu-Juridique a rencontré Paul Pourrat, président des conciliateurs d’Auvergne et président de la commission communication de la Fédération nationale des Conciliateurs de France. Entretien.

Actu-Juridique : Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Paul Pourrat : Je suis, de formation, juriste, de profession, banquier et je suis, par goût, enseignant. En partant de ces trois éléments, j’ai estimé pouvoir apporter quelque chose à la société, une fois à la retraite. Concernant ma formation, je suis juriste surtout en matière de droit privé. En 1973, pendant mon année de DESS, j’avais préparé le concours de la magistrature. J’étais auditeur de justice stagiaire. Un accident de parcours – une hépatite – m’a empêché de passer le concours. Pour subvenir à mes besoins, il a fallu que je me trouve un métier. J’ai effectué un stage à la BNP Banque et je suis resté dans le secteur de la banque pendant plus de 40 ans, d’abord sur une partie juridique puis comme responsable des forces de vente pour les entreprises, tout en continuant toutefois l’enseignement, d’abord dans l’accompagnement des étudiants, puis comme maître de conférences associé, davantage sur une partie financière que juridique.

Au moment de la retraite, j’ai postulé pour devenir conciliateur de justice, une façon de revenir à mes premières amours.

AJ : Est-ce que le juridique vous avait manqué ?

Paul Pourrat : Cela ne m’a pas manqué, car pendant les premières années je travaillais dans un secteur juridique, puis j’ai bifurqué sur les parties financières. Et j’ai voulu sortir de la finance, une fois en retraite, et à travers le bénévolat [les conciliateurs de justice sont bénévoles, même si défrayés pour leurs frais, NDLR], rendre service à la société et à la justice, en me disant que mes bases juridiques pouvaient être utiles.

AJ : Comment avez-vous entendu parler des conciliateurs de justice ?

Paul Pourrat : Je connaissais un enseignant de l’École nationale des impôts qui avait été conciliateur. J’ai donc pris contact avec le président régional des conciliateurs et avec le magistrat coordonnateur chargé des conciliateurs (j’habite en Auvergne) puis j’ai été recruté. Au tribunal, c’est le juge des contentieux de la protection qui est le magistrat coordonnateur de la protection et de la conciliation de justice, qui s’occupe des conciliateurs, qui monte leur dossier de candidature et le présente à la cour d’appel. Les conciliatrices et les conciliateurs sont ensuite nommés par le premier président de la cour d’appel. Nous sommes assermentés. Puis, au bout de 3 ans, je suis devenu président des conciliateurs d’Auvergne. Chaque président d’une association régionale appartient à la Fédération des associations de conciliateurs de justice de cour d’appel (ACA), nommée Conciliateurs de France.

AJ : Vous souvenez-vous de vos premiers dossiers ? Cela correspondait-il à vos attentes ?

Paul Pourrat : Au préalable, j’ai été en stage de découverte avec trois conciliateurs pour observer leur quotidien et voir les différents types de missions qu’ils réalisaient. Cette expérience m’a conforté dans ma motivation. Finalement, en tant que conciliateurs, certes, nous avons besoin de bases juridiques, mais surtout d’être à l’écoute des personnes. Ce qui m’a plu c’est que c’est très diversifié. Nous nous occupons des litiges du quotidien des personnes, c’est très riche d’enseignements, qu’il s’agisse de problèmes de baux d’habitation, de consommation ou de voisinage. On se rend compte que des litiges de moindre importance peuvent néanmoins avoir une répercussion importante pour les personnes, jusqu’à les empêcher de dormir, les gêner dans leur quotidien. Avoir un tiers, qui les écoute, les rassure dans la possibilité de régler un problème. Être des acteurs de la justice de proximité, c’est quand même l’un de nos rôles.

AJ : Justement, la conciliation se veut une première étape dans la justice de proximité. Comment faire émerger une solution ?

Paul Pourrat : La conciliation, c’est la simplicité, la proximité et c’est totalement gratuit. Parfois, sur des choses assez simples, les gens ont du mal à s’exprimer. Notre écoute permet de voir comment les gens parlent de leur problème. Nous écoutons l’une après l’autre les deux parties et, à partir de là, nous essayons de leur faire comprendre quels sont les intérêts en jeu. Évidemment chacun campe sur le fait qu’il a raison, mais il faut trouver le petit point d’entente qui va permettre d’aller vers un accord. J’ai pour habitude de rappeler que nous ne sommes ni des juges, ni des conseils, ni des experts, nous sommes là pour faciliter un accord.

AJ : C’est-à-dire ?

Paul Pourrat : Nous ne sommes pas des juges, car les juges disent le droit et s’intéressent à des points de droit spécifiques. Nous ne sommes pas non plus des conseils : certains nous consultent et voudraient un conseil. Mais le conseil, c’est le rôle des avocats, pas le nôtre. Il faut lever l’ambiguïté dès le départ. Parfois, des situations sont enkystées et c’est difficile. Cela peut être des problèmes de personnes ; résoudre un litige peut prendre du temps et risque de monter dans les tours. En ce qui nous concerne, tout repose sur l’accord des personnes, nous sommes là pour faciliter un accord. Et pour qu’un accord tienne, les deux parties doivent être volontaires. La solution vient des gens ! S’ils n’en ont pas l’impression, cela ne marchera pas. Devant un juge, il y aura un mécontent, voire deux mécontents. De notre côté, l’objectif est que les deux parties repartent en étant satisfaites, en se disant qu’elles adhèrent complètement à cet accord. C’est tout cela, le rôle de la conciliation.

AJ : Quel rapport avez-vous avec les administrés ?

Paul Pourrat : Nous sommes un tiers, il faut se faire respecter, mais nous sommes quand même auxiliaires de justice, assermentés. Le ministère nous qualifie de « collaborateurs essentiels du service public de la justice » : cela prend tout son sens vis-à-vis des personnes. Les demandeurs ou défendeurs ont affaire à quelqu’un qui représente la justice. Généralement, nous invitons le défendeur par courrier, avec un papier à en-tête de la justice. Parfois, rien que de recevoir ce courrier, cela en fait réagir certains, qui décident de se voir, de discuter et, dans quelques cas, de se mettre d’accord, sans même passer par nous. Et quand nous les recevons, c’est en toute confidentialité, au tribunal, dans les points-justice ou dans les mairies.

AJ : Comment avez-vous été formé ?

Paul Pourrat : L’École nationale de la magistrature forme les magistrats comme les conciliateurs. Nous avons huit modules, dont quelques-uns portent sur du comportemental, ce qui est bien normal car nous abordons la question de la gestion de conflit, et des modules beaucoup plus techniques sur le droit, les baux d’habitation, le droit de la consommation, la violence, etc. Il y a des points de droit assez classiques, mais aussi des règles à respecter concernant des questions d’ordre public, car on ne peut pas aller contre une règle d’ordre public. Et puis nous pouvons bénéficier de l’accompagnement rendu possible par les associations qui peuvent proposer des outils de gestion. Le conciliateur de justice peut adhérer à une des 32 associations en France, qui dépendent des mêmes ressorts que les cours d’appel.

Déjà pendant la candidature, avant la prestation de serment, il y a le stage de découverte, qui se fait avec les conciliateurs en exercice : c’est un moment où la personne va se trouver confortée dans son idée ou arrêter. Après la prestation de serment, le conciliateur bénéficie d’un tutorat pendant un an. Enfin, le magistrat coordonnateur est là sur certaines difficultés pour donner son avis. Nous sommes en très bon rapport avec ces magistrats, qui non seulement recrutent mais nous accompagnent aussi par des conseils.

AJ : Vos relations sont-elles bonnes car vous participez notamment au désengorgement de la justice ?

Paul Pourrat : Les conciliateurs ont en effet traité plus de 190 000 affaires en 2022, qui sont réglées à 48 % par des accords. En cas d’échec ou de carence, les gens vont devant le tribunal mais certains abandonnent aussi. On peut estimer qu’au moins 90 000 affaires ne vont pas devant les tribunaux parce qu’il y a un accord. Car, au-delà de désengorger les tribunaux, nous participons de la pacification des relations sociales en réglant de nombreux litiges qui, de toute façon, n’iraient jamais devant les tribunaux. Je pense que la conciliation permet aussi aux magistrats d’aborder davantage l’amiable, et pas seulement le contentieux, comme l’a évoqué le garde des Sceaux. Leur premier rôle, c’est la conciliation, mais ils n’en ont pas le temps. Le conciliateur peut être saisi par délégation du magistrat en cours d’audience (10 % des affaires) et, dans 90 % des cas, directement par les personnes par téléphone, par mail. Il existe une carte consultable sur le site conciliateurs.fr indiquant tous les conciliateurs de justice existant sur le territoire.

AJ : Il est important que les démarches soient simples ?

Paul Pourrat : Oui ! Les gens vont à la mairie ou dans une des 4 000 permanences, on leur donne un numéro de téléphone ou une adresse email et c’est très rapide. Il existe une grande diversité dans la manière de nous contacter. Nous fonctionnons également par visioconférence, notamment pendant le Covid et encore aujourd’hui. Par exemple, en droit de la consommation : quelqu’un qui passe un contrat par internet et qui est livré à 300 km de chez lui, vous pouvez discuter à distance avec le patron de la société. Là on rejoint l’article 750-1 du Code de procédure civile (CPC) sur la disponibilité, la rapidité de nos missions. En effet, le conciliateur a 3 mois pour commencer à traiter son affaire. En général, cela prend moins d’un mois pour prendre en charge, puis 2 ou 3 mois pour traiter l’affaire. Ainsi le dossier est traité rapidement, simplement, et ça ne coûte absolument rien, ce qui est un point important. Le tout avec une grande proximité puisqu’il y a 2 700 conciliateurs, 4 000 points de rencontre. C’est énorme. Nous sommes présents même là où il n’y a pas de tribunaux.

AJ : Quelles affaires traitez-vous majoritairement ?

Paul Pourrat : Les points de droit ne sont pas toujours si complexes, mais les relations humaines le sont. Il existe cependant quelques règles : dès qu’il y a un dépôt de plainte au pénal, on n’y va pas. Si c’est un souci avec l’administration, une décision du maire, il faut s’adresser au Défenseur des droits, mais si cela relève du domaine privé, quand des communes sont propriétaires et louent un local, par exemple, nous pouvons intervenir.

Dans ce que l’on traite, il y a les baux d’habitation, qui représentent 23 % de nos dossiers au niveau national, côté propriétaire ou côté locataire. Par exemple, c’est un locataire qui a quitté les lieux et veut récupérer son dépôt de garantie. Nous sommes là pour faciliter l’entente entre les deux en bonne équité. Cela peut être aussi le cas classique du propriétaire qui n’est pas payé et qui a recours à un conciliateur pour pousser le locataire à lui verser les sommes dues, éventuellement en convenant de modalités de paiement. En ce qui concerne le droit de la consommation, cela peut être des contrats passés avec un artisan ou commerçant, incluant de la malfaçon, des travaux immobiliers mal effectués ou des voitures mal réparées. Autre exemple : pendant le Covid, beaucoup de personnes n’ont pas pu effectuer un voyage prévu.

Sur le voisinage, un conflit assez traditionnel, les gens font des demandes pour des nuisances olfactives ou sonores. Sur le bruit, une inversion s’est produite pendant le Covid. Avant c’était le chien qui aboyait dehors, parce que ses propriétaires sont hors de leur domicile à leur travail ; pendant le Covid, ils étaient chez eux et le chien restait calme et, à l’inverse, c’étaient les enfants qui jouaient en intérieur !

Il y a aussi une saisonnalité des conflits : le barbecue en été, la haie qui déborde de la propriété du voisin à un autre moment de l’année. Il existe aussi les cas d’une limite de propriété, d’un bornage ou un droit de passage pas respectés. C’est vraiment le quotidien des personnes, un quotidien qui peut devenir un enfer. Nous sommes là pour apaiser, nous sommes des facilitateurs.

AJ : Quelles sont les exigences de votre fonction ?

Paul Pourrat : Nous sommes tenus de fournir des états statistiques en fin d’année à la cour d’appel. Nous sommes obligés de nous former pour être reconduits. Le conciliateur a des devoirs : impartialité, probité, référence à la justice, équité, neutralité, confidentialité, réserve. Et tout cela dans une certaine rapidité, car il n’a pas le droit de faire attendre les gens pendant 2 ans. L’article 750-1 du CPC, retoqué au Conseil d’État en septembre 2022, a été réintroduit en mai 2023, (D. n° 2023-357, 11 mai 2023) et réappliqué dès le 1er octobre, avec l’indisponibilité du conciliateur mieux définie. Cela rend la conciliation obligatoire avant d’aller au tribunal pour les litiges du quotidien et les conflits de voisinage.

AJ : Faut-il s’attendre à de plus en plus de saisines ?

Paul Pourrat : Après un article dans La Montagne, une douzaine de personnes m’ont contacté car elles étaient intéressées pour devenir conciliateurs. Tant mieux, nous avons besoin de recruter à cause de l’augmentation de l’activité et de la multiplication des points de contact en mairies mais aussi dans les maisons France Services. En zone rurale, c’est énorme. Les gens qui veulent un service public de la justice font appel à nous. Ce qui compte, c’est l’expérience professionnelle des conciliatrices et des conciliateurs de justice, une expérience de la vie, en plus d’une activité juridique obligatoire. Ce qui compte aussi, c’est que nous sommes des femmes et des hommes comme nos requérants.

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