Val-de-Marne (94)

Déborah Boukobza-Ittah : « Notre activité de conseil nous a permis de tenir »

Publié le 05/01/2021

Entre la grève des transports, celle des avocats et la crise sanitaire que nous traversons encore actuellement, les derniers mois ont été éprouvants pour les avocats. Certains ont vu leur activité baisser, d’autres ont dû adapter leurs pratiques. Alors que l’activité économique est de nouveau ralentie par le confinement, nous avons choisi de donner la parole à quelques représentants de la profession. Déborah Boukobza-Ittah, avocate associée du cabinet Fidal, a accepté de livrer ses impressions.

Les Petites Affiches : Pouvez-vous nous présenter votre activité ?

Déborah Boukobza-Ittah : Depuis mon premier jour à la faculté de droit, je suis passionnée par cette matière. Il faut dire que j’ai eu la chance d’être l’élève du charismatique professeur Jean Néret, qui ponctuait chaque début de phrase par un mémorable « Parce que », pour nous apprendre l’absolue nécessité de la qualification juridique.

Je fais un métier intense et stressant, et pourtant je n’ai pas l’impression de travailler. Je conseille et je défends des PME, cœur de cible historique du cabinet Fidal. Je travaille principalement sur des problématiques de contentieux contractuels, de droit des obligations classique. Mais je traite également des contentieux plus stratégiques, comme par exemple ceux liés aux ruptures de relations commerciales qui se sont développés ces dernières années avec la crise économique. J’ai également développé une expertise en matière de baux commerciaux, très variée et complexe techniquement. Mon expérience de plusieurs années en tant que conseil en droit des sociétés me permet également d’intervenir dans des litiges en matière de droit des sociétés, post cessions d’entreprises, gouvernance ou encore conflits entre associés.

LPA : Quelle a été votre formation ?

D.B.-I. : Je suis titulaire d’un diplôme de droit privé de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui m’a donné de solides bases en droit des contrats et en droit de la responsabilité. Au départ, j’étais plus intéressée par la profession de magistrat. J’ai réalisé par la suite que celle d’avocat me correspondait mieux. Je suis rentrée chez Fidal comme élève-avocat et n’en suis jamais repartie ! Historiquement, c’est un cabinet d’anciens conseils juridiques, avant la fusion de ces derniers avec la profession d’avocats, dont le socle est le conseil. J’ai un parcours un peu atypique dans le cabinet car j’ai été recrutée dans le département droit des sociétés – fusions acquisitions –, mais après quelques années, et pour répondre à la demande de clients que nous ne pouvions satisfaire faute d’avocat pratiquant le contentieux, j’ai créé le département « règlement des contentieux » que j’ai aujourd’hui très bien développé. Cela dit, même dans mon activité, le conseil reste une activité essentielle. Mes clients m’appellent, bien sûr lorsqu’ils ont un litige, mais également pour une question sur un contrat, sur le paiement de loyers, plus généralement, pour connaître leur droits et la conduite à adopter dans telle ou telle situation.

LPA : Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ce métier ?

D.B.-I. : La relation client est la partie qui est pour moi la plus enrichissante dans le métier d’avocat-conseil de PME. On est en contact direct avec le dirigeant. On se sent utile, on trouve des solutions pour l’entreprise. On est associé à la vie de l’entreprise, on accompagne les réflexions sur les projets, les questions de stratégie. On est un partenaire économique-clé. Ce compagnonnage avec le client est très enrichissant.

LPA : Aimez-vous exercer dans le département du Val-de-Marne ?

D.B.-I. : Le cabinet a un maillage territorial dense, avec une centaine de bureaux dans toute la France. Le modèle économique de Fidal est basé sur une implantation locale, au cœur du tissu économique, au plus près des PME. J’exerce à Créteil et je suis inscrite barreau du Val-de-Marne qui est un barreau traditionnel, composé principalement d’avocats généralistes et de peu d’avocats en droit des affaires. C’est justement ce qui est intéressant, car nous pouvons apporter au barreau une ouverture vers le monde de l’entreprise. Lorsque j’étais membre du Conseil de l’Ordre, j’ai ainsi organisé, avec le bâtonnier en exercice, des rencontres entre mes confrères et des chefs d’entreprise, des formations sur la loi de finances ou sur les structures d’exercice à destination de mes confrères, dispensées par des avocats de mon cabinet. On représente une image de l’avocat moins traditionnelle, vers laquelle la profession dans son ensemble va sans doute évoluer, car l’avocat déjà aujourd’hui et encore plus demain, sera un avocat entrepreneur.

LPA : Qu’entendez-vous par là ?

D.B.-I. : L’avocat doit être aussi un chef d’entreprise, qui sait s’adapter au marché, dans un environnement très concurrentiel. Il faut qu’il ait une démarche entrepreneuriale, qu’il réfléchisse à ses honoraires, à son modèle économique. Nous évoluons dans un environnement très concurrentiel et d’autres professionnels n’hésitent pas à investir les domaines du droit qui ne nous sont plus réservés. Les legaltechs ont émergé parce que les tarifs des avocats pour les petits litiges étaient trop chers pour le justiciable. Les experts-comptables sont aussi très bien positionnés sur le marché du droit. Je pense que les avocats doivent repenser leur rôle dans le marché, et avancer vers plus d’interprofessionnalité. `

LPA : Quel est l’intérêt de l’interprofessionnalité ?

D.B.-I. : Travailler avec d’autres professionnels du droit (notaires, huissiers) pour s’apporter mutuellement en respectant le périmètre d’intervention de chacun. Les échanges avec les experts-comptables ne sont pas à bannir non plus, ce sont d’excellents prescripteurs de dossiers pour les avocats et inversement. Ils ont besoin de notre expertise technique, qu’ils ont rarement en interne même s’ils s’équipent de plus en plus de services juridiques. On a des intérêts communs, il ne faut pas que l’on ait peur les uns des autres.

LPA : Comment avez-vous vécu l’année 2020 ?

D.B.-I. : Je ne suis pas représentative de ma profession car j’ai eu une très bonne année. Je n’avais déjà pas été impactée par la grève des transports ni par la grève des avocats. J’ai essayé, à chaque fois que je le pouvais, d’être solidaire de mes confrères qui, pour beaucoup, ont vécu une année difficile. Pendant la grève des avocats, nous avons eu beaucoup d’audiences renvoyées. Cette suspension des audiences s’est évidemment prolongée au printemps dernier, mais nous avons fait d’autres choses. J’ai même eu la chance d’avoir de nouveaux clients pendant le premier confinement. Le fait d’appartenir à un cabinet d’envergure m’a aidée. Les avocats qui exercent en individuel ont certainement été plus fragilisés. D’autre part, le fait de ne pas avoir qu’une activité plaidante et de privilégier le conseil de proximité auprès de mes clients a été un atout.

LPA : Quels ont été vos dossiers du confinement ?

D.B.-I. : L’intérêt d’un cabinet structuré comme le mien est que nous pouvons nous appuyer sur une direction technique qui nous informe en temps réel des évolutions législatives et transforme les actualités juridiques en opportunité pour nos clients et donc pour les avocats. Elle nous a beaucoup aidés en décryptant toutes les ordonnances du mois de mars dernier. Grâce à ce travail nous avons pu aller au-devant des questions des clients et être à leurs côtés pour les informer très vite des nouveautés. Cette précieuse organisation a eu un rôle essentiel dans la continuation de notre activité car nous avons su nous adapter très vite, alors que nous étions confrontés à des problèmes inédits et des dispositifs tout aussi nouveaux, que nous n’avions jusqu’alors pas connus.

LPA : Quelles étaient les questions de vos clients confinés ?

D.B.-I. : J’ai eu beaucoup de questions sur les loyers commerciaux. Les locataires s’interrogeaient sur la possibilité de suspendre le paiement des loyers. Du côté des bailleurs, dont certains sont des particuliers pour qui le loyer perçu est un complément de retraite, ils se demandaient quels étaient leurs droits et obligations, s’ils avaient l’obligation par exemple d’accorder des délais de paiement ou des remises de loyers. J’ai eu également bien sûr des questions sur la force majeure, l’imprévision : mes clients me demandaient si la pandémie les autorisait à suspendre un contrat, une prestation, une livraison dont ils n’avaient plus besoin. D’autres voulaient renégocier les conditions d’un contrat dont l’économie était bouleversée par l’événement imprévisible auquel ils étaient confrontés. C’est une période pendant laquelle on a beaucoup négocié. Les tribunaux étant fermés, nos clients ont privilégié la démarche amiable. C’est une approche qui me convenait. Confinement ou non, la voie négociée est toujours celle que je privilégie dès qu’elle me paraît adaptée. C’est ma conception du métier d’avocat et mon cabinet nous forme aux modes alternatifs de règlements des conflits. L’aléa judiciaire est réel et créé une insécurité pour les entreprises. Les délais de la justice n’encouragent pas les procédures et l’éloignement des magistrats depuis ces dernières années, renforcé par la crise sanitaire qui a vu s’instaurer des procédures sans audience ou des audiences en visioconférence militent pour un règlement des litiges en dehors des prétoires.

LPA : Cet attrait pour la négociation se poursuit-il ?

D.B.-I. : Malheureusement, depuis la sortie du confinement, on sent un durcissement, une recrudescence des tensions dans les relations contractuelles. Le climat pesant que l’on vit crée certainement des inquiétudes et des raideurs. Nos clients sont dans un état d’esprit inquiet. Pour certains, l’activité est encore à l’arrêt. Grâce aux aides très nombreuses, l’économie est en sursis mais les dégâts risquent d’être importants.

LPA : Le fait d’être une femme fait-il une différence dans votre métier ?

D.B.-I. : 90 % de mes clients sont des hommes. Force est de constater qu’on est loin de la parité dans le monde de l’entreprise ! Pourtant, au niveau de la relation client, il n’y a aucun problème. Je dirais même qu’être une femme avocate, conseil de chefs d’entreprise, est plutôt un atout. Mes clients m’écoutent et me font confiance. Ils ne s’attachent qu’à la compétence ou à d’autres qualités essentielles comme la disponibilité ou l’écoute. En revanche, au sein de la profession, c’est plus compliqué. Il y a encore des réticences conscientes ou inconscientes, encore plus à l’égard des jeunes femmes avocates. Je m’en rends compte, y compris au sein de mon cabinet. Ce n’est pas un secret, notre directoire, a été renouvelé récemment avec la nomination de quatre hommes, mais aucune femme. Nous sommes pourtant dans une profession qui compte désormais plus de femmes que d’hommes. C’est incompréhensible de ne pas avoir associé les talents féminins que compte un cabinet comme le mien. Je peux vous dire que cela a été mal perçu par les associés. De la même manière, sur les 80 bureaux que compte le cabinet, très peu sont dirigés par des femmes. Ces chiffres montrent la marge de progression qui existe sur le sujet de l’égalité.

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