Divorce difficile : « Mon enfant va-t-il me reconnaitre, Maître ? »

Publié le 28/04/2022

Beaucoup d’idées fausses circulent sur le métier d’avocat. Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, raconte la profondeur de l’investissement que suppose la défense à travers l’exemple de ces pères qui tentent d’obtenir le droit de revoir leurs enfants lors d’un divorce difficile. 

Divorce difficile  : "Mon enfant va-t-il me reconnaitre, Maître ?"
Photo : ©AdobeStock/Plus

Lorsque je parle de mon métier, et parfois de mes dossiers, je constate de plus en plus qu’il est méconnu et se résume à opposer ceux qui défendent les accusés des pires horreurs, et ceux qui défendent les victimes de ces pires horreurs. Les premiers, nécessairement sans cœur, sont relégués dans le camp du mal. Les seconds, évidemment humanistes, appartiennent au camp du bien. Et entre ces deux extrêmes de la défense, il n’y aurait rien …

« Nous souffrons pour eux. Nous râlons pour eux, nous crions pour eux »

Je trouve décidément que les préjugés ont la vie dure ! Et c’est fort dommage de ne jamais évoquer ce qu’il peut y avoir derrière la robe d’avocat. Certes, nous sommes tous différents et il existe autant de façon d’exercer qu’il y a d’avocats en France. Mais nous avons un point commun : pendant le temps d’une procédure, nous partageons la vie de nos clients. Ce qui suppose de partager leurs peines, leurs angoisses, leurs attentes. Nous souffrons pour eux. Nous râlons pour eux, nous crions pour eux. Nous sommes parfois tout aussi désespérés qu’eux.

Nous entrons brusquement et passionnément dans leur vie pour les aider à s’extraire d’une situation délicate, puis nous en sortons lorsque leur affaire est terminée. C’est une sorte d’histoire d’amour professionnelle qui s’installe : une histoire qui a un début, un milieu, et une fin. C’est ainsi : il faut faire avec.

Et il est parfois compliqué de dire au revoir à un client.

Je crois sincèrement que l’avocat ne peut défendre qu’une personne qu’il aime. Qu’il aime d’un amour professionnel, bien entendu, mais qu’il aime quand même.

J’ai, pour ma part, la chance d’aimer tous mes clients, avec leurs défauts, leurs tempéraments, leurs failles et surtout, leurs erreurs. Ils peuvent me faire rire, mais aussi me faire pleurer. Ils font intégralement partie de ma vie, y compris lorsque je rentre chez moi le soir, lorsque je suis en week-end ou en vacances.

Pourquoi je les aime ? Car nous parlons, nous échangeons, dans le respect et sans jugement. Nous discutons des éléments qu’il y a dans le dossier, je les écoute et ils écoutent en retour les conseils que je leur donne, car je le fais pour eux, dans leur intérêt et non dans le mien.

« Une relation unique, spéciale et surtout magnifique »

Je ne pourrais pas défendre une personne sur laquelle je porterais un jugement moral ou de valeur, ou avec laquelle ne serait pas survenue une étincelle professionnelle. En un coup d’œil, le client doit savoir que je suis là pour lui, quoiqu’il arrive. Et je dois savoir qu’il va se confier et me dire qui il est, même si cela doit prendre du temps.

Le cabinet est ainsi l’antre de la confidence. Des secrets, des peurs, mais aussi parfois de la honte, de l’anxiété et de la douleur. C’est ce qui fait de la relation entre un avocat et son client une relation unique, spéciale et surtout, magnifique.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je parle peu de mes dossiers.

Si l’on évoque souvent les avocats pénalistes, à juste titre, il faut beaucoup de talent pour exercer ce métier, on parle beaucoup moins  des autres défenseurs : ceux qui interviennent devant les prud’hommes, dans les tribunaux de commerce, qui assistent des mineurs isolés, des majeurs à protéger, des patrons en difficulté…

J’assiste souvent des clients dans des dossiers que je nomme de « l’extrême familiale » : accusations, plaintes, refus de contact entre un parent et son enfant par l’autre parent. Ce sont des affaires particulières car la douleur d’un parent qui ne voit pas son enfant est  infinie.

L’avocat la prend en pleine figure et il doit aussi la gérer.

Chaque dossier est différent, mais lorsque les parents se battent, les enfants souffrent TOUJOURS.

« Tu verras ton enfant quand le juge l’aura décidé »

Ce sont des dossiers pieuvres qui se retrouvent devant le juge aux affaires familiales, mais aussi parfois le juge des enfants (parce que les enfants sont en danger) et le tribunal correctionnel (en cas d’infraction pénale). Il y a ainsi beaucoup de souffrances de part et d’autre.

Ce type de dossier commence souvent de la même façon : « tu verras ton enfant quand le juge l’aura décidé ». Sauf que le juge peut mettre des mois à fixer une audience et rendre sa décision.

Comment vit un parent qui ne voit pas son enfant pendant une longue période ? Comment vit celui qui a le sentiment de perdre sa place de parent ? Qui a la sensation de ne plus exister ? De disparaitre de la vie de son enfant ?  A qui peut-il demander un conseil ? Vers qui se tourner lorsqu’il a envie de craquer et de prendre une décision radicale ? A qui peut-il confier ses angoisses à l’idée de retrouver un enfant qu’il n’a pas vu pendant des mois ? Comment regagner sa place de Papa ?

« Mon enfant va-t-il me reconnaître, maître ? »

C’est à son avocat qu’il parle. Qu’il se confie. Auprès de qui il craque.

Mais surtout à qui il parle de son enfant, à qui il montre des photos. Derrière ces papas, que je défends souvent, il y a effectivement leurs enfants. Je connais leurs goûts alimentaires, le nom de leur doudou, ce qu’ils font comme activités sportives… Je connais les enfants de mes clients comme si je les avais déjà vus. J’ai toujours cela en tête lorsque je les défends. Leurs intérêts sont d’abord ceux de leurs enfants.

L’avocat vit ainsi une partie de ses journées avec chaque client. Il partage ses espoirs, mais aussi ses douleurs.

Alors, lorsque je reçois un jugement, après des mois de guerre judiciaire, je tremble toujours.

Je me jette sur la dernière page pour voir si le père que je défends a obtenu gain de cause. Et je ne lis la totalité de la décision de justice qu’une fois que j’en connais la conclusion.

Il y a quelques jours l’un de mes clients, qui n’avait pas vu sa fille depuis près d’un an, a obtenu le droit de la revoir, le juge ayant estimé, à très juste titre, que les accusations portées par la mère n’étaient pas sérieuses. Des accusations monstrueuses qui ont justifié que, pendant des mois, elle refuse que le papa de la petite la voit, ne serait-ce que quelques heures.

Il a enfin eu le droit d’être avec elle toute la journée de dimanche, pour commencer à renouer les liens rompus par la maman. Ce jour-là, je n’ai pas eu de ses nouvelles. Ni le matin, ni le soir. J’ai pensé à lui, de loin, sans pour autant le déranger. Mes clients savent me téléphoner le week-end pour m’annoncer que l’autre parent refuse d’excuser la décision de justice qui vient d’être rendue. L’avocat est toujours là, il répond et explique, conseille, réconforte. Mais quand tout va bien, ils oublient parfois de nous faire partager leur joie…

Merci…

Lundi matin, ce papa m’a juste envoyé un petit message pour me dire merci.

Un merci, parfois accompagné d’une photo des retrouvailles, vaut tout l’or du monde pour nous.

Nous, les avocats, souhaitons juste que la justice soit rendue et que l’équilibre soit rétabli.

Nous vivons pour cela. Nous nous battons pour cela. Nous vibrons pour cela. C’est dans notre ADN.

Je crois que, lundi, c’est comme cela que nous nous sommes dit au revoir. Je n’étais pas triste, bien au contraire, parce que je sais dorénavant qu’il est à sa place de Papa.

Il aura fait partie de ma vie d’avocate qui continue avec lui dans mon cœur.

J’aurai fait partie de sa vie de papa, qui recommence. Mais je suis dorénavant dans son passé.

C’est aussi cela, être avocat.

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