Emmanuel Raskin : pour l’ACE, « la prospective est une priorité »

Publié le 23/03/2022

Le 8 octobre dernier, lors du 29e Congrès de l’ACE à Marseille, Emmanuel Raskin, avocat en droit des affaires, succédait à Delphine Gallin à la présidence du syndicat. Quelques mois après sa prise de fonctions, il revient sur la ligne de l’ACE, qui veut désormais rassembler l’ensemble de la profession. Il nous fait part également de ses contributions aux États généraux de la justice.

Actu-Juridique : Quand avez-vous rejoint l’ACE ?

Emmanuel Raskin : Avocat depuis 1997, j’exerce en contentieux de droit des affaires avec une activité de conseil et de rédacteur en droit des contrats commerciaux aux côté des mes associés du cabinet SEFJ, ancien cabinet de conseils juridiques situé au cœur du quartier des Halles à Paris. J’ai adhéré à l’ACE lors du Congrès qui s’est tenu à Marseille en 2008. À l’époque, les débats se focalisaient autour de l’interprofessionnalité, soutenue par l’ACE. Ce sujet nous préoccupe beaucoup et nous l’avons poussé au travers de nombreux rapports au sein du Conseil national des barreaux. Impressionné par la richesse et par la technicité des échanges et travaux, sensible à l’accueil qui me fut réservé, je suis resté acéiste. Après en avoir présidé la commission procédure, celle de la commission égalité et après avoir été responsable de l’ensemble des sections et commissions nationales, j’ai eu l’honneur d’être élu à la présidence nationale le 6 octobre 2021. J’ai également des fonctions au CNB. De 2018 à 2020, je fus élu ACE au Conseil national des barreaux (CNB), avec un mandat de vice-président de la commission des Textes, puis d’expert près le Conseil des barreaux européens (CCBE). Depuis la nouvelle mandature au CNB, je suis expert au sein de la commission des textes.

AJ : L’ACE évolue. Pouvez-vous nous présenter la ligne du syndicat aujourd’hui ?

E.R. : L’ACE a été créée en 1992 par d’anciens conseils, après la fusion conseils-avocats. Elle veut fédérer tous les avocats. Son slogan est désormais « Avocats, Ensemble ». Son acronyme reprend les initiales du triptyque « Apprendre, Comprendre et Entreprendre ».  Le syndicat a pour ambition de permettre à tous les avocats de s’épanouir et de construire ensemble l’avenir de la profession. Nous voulons afficher une image prospective et partager une vision résolument progressiste et humaine du métier d’avocat. La dimension entrepreneuriale nous est chère. Nous la voyons comme une façon d’agir, un moteur qui permet dans les moments les plus difficiles d’avancer, de ne pas rester dans le conservatisme et de s’adapter aux évolutions de la société. Nous œuvrons pour que le travail de l’avocat, par son activité de conseil, de représentation et d’assistance, permette de créer une société attractive, entrepreneuriale et juste.

AJU : Que signifie être un syndicat « progressiste » ?

E.R. : Cela signifie que la prospective est une priorité. Cela implique d’utiliser les mécanismes du droit européen,  de savoir travailler avec le développement du numérique et du digital, de protéger les valeurs de notre profession, d’adapter sa déontologie aux exigences de l’évolution de notre société, de protéger le périmètre du droit, de préserver l’humain et ses qualités au cœur de la justice, de nos activités et de celles de nos clients, d’adapter notre organisation professionnelle en ayant une réflexion sur la gouvernance nationale représentative de tous les avocats sur l’ensemble du territoire, avec le renforcement de la cohésion institutionnelle sur le plan national.

AJU : Quelles sont vos ambitions, en tant que président de l’ACE ?

E.R. : Nous mettons tout en œuvre pour que les pouvoirs publics ne voient pas la profession avec défiance, comme cela fut malheureusement illustré par les récentes réformes décriées consistant à amender le secret professionnel ou encore la procédure disciplinaire. Préservons le phare de notre activité, à savoir l’activité de conseil, consubstantielle de la défense, droit fondamental à valeur constitutionnelle. Plus nous resterons unis et responsables, moins nous nous verrons opposer des textes empiétant sur le rôle indispensable de l’avocat dans une société de droit. De telles perspectives et objectifs ne doivent pas nous échapper.

AJU : En cette année présidentielle, que souhaitez-vous pour la justice ?

E.R. : Il faut casser la multiplication des réformes, qui visent pour ceux qui les promeuvent à tirer un bénéfice électoral.  On en connaît le résultat : l’effet inverse se produit. La justice judiciaire bénéficie depuis plusieurs années d’évolutions destinées à améliorer la réponse apportée aux besoins du citoyen justiciable, avec une augmentation de son budget et de nombreuses réformes. Force est pourtant de constater que les délais de traitement des affaires civiles ne se réduisent pas et que le stock des dossiers en attente augmente. Malgré une augmentation de son budget de 22 % entre 2011 et 2021 par le biais de crédits votés en loi de finances initiale, et malgré une série de réformes destinées à alléger le travail du juge, le délai de traitement des affaires civiles s’est accru. Il atteint entre 14 et 18 mois selon les juridictions, et le stock des affaires civiles comptait fin 2019 1,8 million de dossiers ! En octobre 2021, la Cour des comptes remettait au président de la République une note intitulée « Améliorer la gestion du service public de la justice ». Celle-ci faisait suite à un rapport remis au président de la République en juin 2O21, intitulé « Une stratégie des finances publiques pour la sortie de crise ». Le propos de la Cour est très clair : il faut refonder la carte des cours d’appel et supprimer les cours de tailles insuffisantes, mieux répartir les effectifs et rattraper l’énorme retard numérique accumulé par le ministère.

AJU : Comment l’ACE perçoit-elle les États généraux de la justice ?

E.R. : L’ACE regrette que les thèmes abordés dans le cadre des États généraux de la justice ne ressortent pas d’une concertation entre les partenaires de justice et émanent de la seule Chancellerie. Nous pensons que la mise en place sur le plan national de référentiels explicites pour allouer les ressources est une priorité. Nous devons avancer avec les magistrats et personnels judiciaires pour que la justice soit ce qu’elle doit être au sein d’une société de droit. « Faire justice est bien. Rendre justice est mieux », disait Victor Hugo.

AJU : Quelles sont les contributions de l’ACE à ces États généraux ?

E.R. : Nous avons transmis douze propositions aux services de la Chancellerie. Il faut d’après nous mettre en place des outils logiciels nécessaires pour allouer les ressources en fonction de constats raisonnés, augmenter le nombre de juges et de personnel, réduire les délais excessifs entre la fin de l’instruction et la date d’audience et de délibéré, limiter les prorogations des délibérés en première instance et en appel, modifier la procédure d’appel pour mettre fin aux délais couperets et aux textes favorisant la multiplication des incidents de procédure au détriment de l’examen du fond du dossier,  mettre l’instructions des affaires sous le contrôle du juge de la mise en état…

AJU : Une de vos propositions les plus audacieuses porte sur la « responsabilisation » des acteurs judiciaires. Pouvez-vous la détailler ?

E.R. : Pour responsabiliser les acteurs judiciaires, nous pensons qu’il convient de réformer les frais irrépétibles : faute d’avoir tenté un mode alternatif de règlement des conflits (MARD), la partie perdante, à l’exclusion des parties bénéficiant de l’aide juridictionnelle, devra assumer ces frais irrépétibles de l’instance perdue avec un plancher minimum à attribuer selon les différents types de procédures et d’affaires. Ces frais seront majorés dès lors que la décision aura force irrévocable de chose jugée, d’un montant forfaitaire destiné à financer l’aide juridictionnelle et le fonctionnement de la justice. Le reste des honoraires dus, sur justification des factures émises, resterait à charge de la partie considérée, sur le fondement de l’équité, afin d’éviter que ce principe ne revienne à une procédure de fixation d’honoraires « déguisée ».

AJU : Vous souhaitez également revoir la tenue des audiences…

E.R. : Nous proposons en effet d’instaurer après l’ordonnance de clôture une réunion préparatoire de l’audience entre les avocats des parties et le président de la chambre. En ce qui concerne la plaidoirie, nous proposons de la repenser sur la base de trois préceptes : synthétiser la position prise par écrit, clarifier, si nécessaire, certains arguments développés par écrit et enfin répondre aux questions du tribunal et donner la faculté à chacune des parties de poser des questions pertinentes. Les deux premières phases, de synthèse et de clarification, seraient encadrées par une durée maximale. Nous proposons également une réécriture de l’article 804 du Code de procédure civile, de sorte que le juge de la mise en état, au lieu de faire un rapport oral à l’audience avant les plaidoiries, fasse ce rapport par écrit et soit communiqué aux avocats au plus tard 48 h avant l’audience.

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