Hauts-de-Seine (92)

« En contentieux international, Nanterre est l’égale d’autres places juridiques fortes »

Publié le 18/03/2021
« En contentieux international, Nanterre est l’égale d’autres places juridiques fortes »
Tribunal de commerce de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

En janvier 2020, le président du tribunal de commerce de Nanterre, Jacques Fineschi, annonçait la création d’une chambre du contentieux international ayant vocation à connaître des litiges présentant un caractère international et faisant intervenir des parties situées dans différents pays. Malgré la crise sanitaire, celle-ci a commencé à se développer. Aline Montel qui en est la présidente et Laurent Pitet, juge consulaire, présentent son fonctionnement.

Les Petites Affiches : Pourquoi avoir créé cette chambre du contentieux international ?

Laurent Pitet : La juridiction des Hauts-de-Seine est l’une des plus importantes du territoire national. Elle compte dans son ressort 13 entreprises du CAC 40. Les juges du tribunal de commerce de Nanterre, qui sont souvent encore en activité professionnelle, sont témoins au quotidien de l’internationalisation du monde des affaires. Ils voient arriver au tribunal des affaires avec de nombreuses « composantes internationales » et cela peut concerner tant de petits dossiers que de gros dossiers dont l’enjeu représente plusieurs dizaines de millions d’euros. Il y avait un besoin d’une justice commerciale de dimension internationale dans les Hauts-de-Seine. Ce contexte nous a poussé à réfléchir à la création d’une chambre du contentieux international. Nous avons voulu proposer une justice commerciale moderne, tenant compte de cette internationalisation, au service du justiciable.

Aline Montel : Autour de nous comme à l’international, nous avons vu des chambres commerciales internationales se développer. C’est le cas à Singapour, aux Pays-Bas, en Allemagne, sans parler de Dubaï et de la Chine. Le tribunal de commerce de Paris, qui traitait de longue date des contentieux internationaux, a également institué de manière formelle une chambre de contentieux international. Cela nous a interpellés. Cet environnement nous a conduits à mener des réflexions qui ont trouvé leur aboutissement dans la mise en place de cette chambre du contentieux international. Elle est l’œuvre commune du tribunal de commerce de Nanterre et du barreau des Hauts-de-Seine, qui ont, à cet effet, cosigné un protocole en décembre 2019. 8 juges favorables à la chambre du contentieux international et à l’apport qu’elle peut représenter pour le justiciable, siègent aujourd’hui dans cette chambre.

LPA : Quel rôle a joué le Brexit dans votre réflexion ?

L.P. : Le Brexit a accéléré nos réflexions. Londres est une place juridique dont les performances et le professionnalisme sont reconnus unanimement dans le monde des affaires. Dans le contexte du Brexit, nous ne savions pas comment les entreprises allaient se positionner. Des contentieux allaient sûrement quitter la place de Londres, alors pourquoi ne pas les attirer vers d’autres chambres internationales ?

A.M. : Le Brexit est maintenant effectif, et l’on sait que les jugements rendus par le Royaume-Uni en matière civile et commerciale devront passer par une procédure d’exequatur avant d’être appliqués dans les pays de l’Union européenne. Celle-ci a été rétablie en même temps que les frontières, alors qu’au sein de l’Union européenne, les jugements bénéficient de plein droit de la force exécutoire. Londres pourrait de ce fait perdre en attractivité.

LPA : Comment fonctionne la chambre du contentieux international du tribunal de commerce de Nanterre ?

L.P. : L’Ordonnance de Villers-Cotterêts, édictée par François Ier, le 25 août 1539, est encore en vigueur en France. Elle affirme la primauté et l’exclusivité du français dans les documents relatifs à la vie publique du pays. Ainsi, les actes de procédure et le jugement doivent être impérativement établis en langue française. Mais selon la jurisprudence, cette ordonnance ne s’oppose pas à ce que, devant une juridiction française, si toutes les parties sont d’accord, des pièces en langue étrangère soient produites sans traduction, des témoins s’exprimant en langue étrangère soient entendus ou encore à ce que des audiences se tiennent en langue étrangère. Nous nous en tenons pour le moment à l’anglais. Il est prévu que d’autres langues soient ensuite envisagées en fonction des langues pratiquées par les juges.

A.M. : Il faut, pour y siéger, avoir au moins quatre ans de tribunal, être anglophone et avoir une expérience professionnelle confirmée dans des activités internationales. Les juges de cette chambre ont occupé pendant 20 ou 30 ans des fonctions de direction dans un environnement international, juridique, financier, commercial ou opérationnel. Certains sont toujours en poste. Ils sont tous capables de s’exprimer en anglais et d’avoir une compréhension juridique de cette langue.

LPA : Quelles sont les affaires examinées ?

A.M. : Il faut tout d’abord que le tribunal de commerce de Nanterre soit compétent. Ensuite, il faut qu’au moins l’une des parties soit immatriculée dans un pays étranger. Il peut exister, dans le contrat, une clause attributive de juridiction donnant compétence à la chambre du contentieux international du tribunal de commerce de Nanterre. Nous examinons des affaires présentant un caractère international notamment celles dans lesquelles s’appliquent des droits étrangers, le droit de l’Union européenne et/ou des conventions internationales et ce, dans tous les domaines du droit commercial : droit de la construction, des assurances, droit des transports, droit pharmaceutique, droit des sociétés, droit financier et bancaire, droit informatique.

LPA : Quels sont les avantages pour les entreprises ?

L.P. : Les entreprises, dans leurs relations internationales, peuvent être amenées à comparaître devant des juridictions qui leur offrent peu de garanties. À Nanterre, rien de tel. Le droit français offre des garanties procédurales, telles que le double degré de juridiction et l’indépendance des juges. Dans le cadre d’un conflit, qui peut avoir pour enjeu des sommes très conséquentes, c’est très sécurisant. Pour continuer d’apporter au justiciable cette garantie du double degré de juridiction, la cour d’appel de Versailles a mis en place en décembre dernier, un dispositif procédural au sein d’une chambre commerciale ayant pour vocation de connaître des litiges mettant en cause les intérêts du commerce international et notamment en appel de décisions rendues par la chambre du contentieux international du tribunal de commerce de Nanterre. Cette « chambre commerciale miroir » de la cour d’appel de Versailles contribue à l’attractivité de la chambre du contentieux international du tribunal de commerce de Nanterre. Cela fonctionne de la même manière à Paris, où le tribunal de commerce et la cour d’appel ont chacune une chambre internationale.

A.M. : Les entreprises ont la possibilité de fournir des documents en langue anglaise sans les traduire. Elles ont la maîtrise de la durée et du budget de la procédure. Ainsi, alors que les Anglo-Saxons ont une procédure de discovery, qui les amène à instruire l’affaire de manière très large et à effectuer un tri entre les informations dans un second temps, l’article 145 du Code de procédure civile français offre aux parties l’avantage de pouvoir se procurer des preuves ciblées, ce qui permet de contenir les débats et de limiter les coûts et la durée du procès.

D’autre part, lorsqu’une affaire se présente au tribunal, nous établissons avec les parties un calendrier comportant les dates auxquelles seront produits les conclusions, les témoignages, les plaidoiries et le prononcé du jugement. Tout cela est très important pour une entreprise. Il faut ajouter que le coût de la procédure est maîtrisé. La justice française est extrêmement bon marché par rapport à celle rendue dans bien d’autres pays. Les seuls coups incompressibles sont ceux, minimes, de frais et dépens, auquels s’ajoutent le coût des avocats et des experts.

LPA : Quel est le droit appliqué ?

A.M. : Depuis longtemps, il nous arrive des affaires dans lesquelles nous sommes tenus d’appliquer un droit étranger. La chambre du contentieux international connaît des litiges dans lesquels s’appliquent des dispositions de droit de l’Union européenne, ou de droit étranger et/ou des conventions internationales. Globalement, la planète se divise entre les pays de tradition civiliste et les pays de common law. Si nous avons une compréhension plus directe du droit des pays de tradition civiliste, les juges appliqueront, le cas échéant, de la même manière le droit des pays de common law.

LPA : Après 18 mois d’activité, peut-on dresser un bilan de l’activité de cette chambre ?

L.P. : Le tribunal de commerce de Nanterre a assuré une continuité de service public tout au long de l’année 2020. Néanmoins, la crise sanitaire a ralenti le démarrage de la chambre du contentieux international. Le bilan est encore modeste, mais les premières affaires arrivent. C’est encourageant ! Beaucoup d’entreprises se montrent très favorables à cette chambre et il nous a été rapporté que certaines adoptent dans leurs contrats une clause attribuant juridiction à la chambre du contentieux international du tribunal de commerce de Nanterre.

A.M. : En résumé, de par ses atouts que sont la maîtrise des délais, la maîtrise des coûts, les facilités linguistiques et les garanties procédurales du droit français, la chambre du contentieux international du tribunal de commerce de Nanterre offre un service de justice de standard international afin de répondre aux besoins des entreprises dans la conduite de leurs activités internationales.

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