« En France, on a les branches de la médiation, mais il nous manque le tronc »
Du 5 au 7 février 2020 se tiendra le Congrès international de la médiation, « Médiations 2020 », à Angers. Un événement porté notamment par l’Association des médiateurs des collectivités territoriales (AMCT), dont Hervé Carré est président, et coorganisé par le collectif Médiation21 qui avait lancé les états généraux de la médiation en juin 2018. Le programme, riche, portera sur différents domaines concernés par la médiation et fera intervenir des médiateurs français comme internationaux. Dans un monde en pleine mutation, la médiation se présente comme un levier permettant « de renforcer le vivre ensemble et le dialogue interculturel », de « défendre et de construire de nouveaux droits, fluidifier les relations familiales, sociales et commerciales », ainsi qu’améliorer « la qualité des relations entre les citoyens et entre les citoyens et les institutions ». Concernant le devenir de la médiation en France, le Livre blanc issu des états généraux soulève un certain nombre de points et fait des propositions sur la formation, les missions et l’évaluation, la certification de la médiation. Le Congrès abordera donc aussi des thématiques franco-françaises qui intéresseront sans doute l’ensemble de la communauté des médiateurs. À la veille de cet ambitieux rendez-vous qui a vocation à se pérenniser, nous avons pu nous entretenir avec son président, Hervé Carré.
Les Petites Affiches : Comment la ville d’Angers s’est-elle retrouvée au cœur de l’organisation de ce congrès international sur la médiation ?
Hervé Carré : Notre association, l’Association des médiateurs des collectivités territoriales (AMCT) avait assisté à un congrès sur la médiation en 2016 en Catalogne. Les Belges pensaient prendre le relais de l’organisation, mais ils ont échoué et l’agenda de la ville de Paris était déjà trop rempli pour accueillir un congrès. C’est ainsi que s’est positionnée la ville d’Angers, intéressée par cette promesse et par l’aspect novateur du rendez-vous, tout à fait dans l’actualité. Cette démarche s’affiche comme volontairement précurseurse dans un contexte de crise sociale et institutionnelle. La contrepartie était d’élargir la médiation des collectivités territoriales à d’autres secteurs de la médiation et de porter des contenus puissants dont les intérêts dépassent ceux des médiateurs territoriaux. J’ai ainsi compris que chacun labourait son propre sillon, et qu’une une approche globale de la médiation n’avait pas encore été envisagée dans sa dimension multisectorielle extrêmement vaste. Finalement, cette approche multisectorielle, concerne tous types de médiateurs, dont beaucoup peuvent être des avocats, huissiers, notaires, mais aussi ceux qui considèrent qu’il y a une approche possible d’un “métier” nouveau, d’une fonction nouvelle. Cela a suscité de toute part un grand enthousiasme qui ne s’est pas démenti. Le rendez-vous de février me semble opportun car il est temps de capitaliser les grandes avancées de la médiation dans une voix commune, tout secteur confondu, autour du triptyque sur la recherche d’un statut, qui va avec la recherche d’une identification du métier, de la fonction, de la méthode, de l’offre de formation, qui manque aujourd’hui, et l’enjeu d’une institutionnalisation par la création d’un éventuel comité national d’éthique. Le congrès va sans doute nous aider à aller au-delà du Livre blanc, susciter des aspirations à échanger et élucider des questions comme le financement. Les enjeux sont nombreux.
LPA : Quel parcours vous a mené à la médiation ?
H. C. : Avant d’être médiateur pour la ville d’Angers et le département du Maine-et-Loire, j’ai été éducateur de rue, puis j’ai évolué dans le secteur de la protection de l’enfance, j’ai également été journaliste, spécialisé des questions de solidarités, puis élu adjoint au maire, spécialiste des politiques publiques. À partir de là, le maire d’Angers et le président du département, de couleurs politiques différentes, m’ont choisi comme médiateur dans l’idée d’aller chercher davantage un parcours que des compétences. Ce qui m’a frappé quand je suis arrivé dans ce secteur de la médiation, c’est l’importance de la méthode, l’importance de ne pas être seul, car l’indépendance et l’impartialité requises pour être médiateur créent de la solitude. La méthode nous impose d’être dans l’effacement et de ne pas être partie prenante dans la résolution du conflit, mais de favoriser la résolution du conflit. Il fallait que je trouve des pairs. Avec des collègues, j’ai créé un réseau, pour organiser une journée d’études annuelle, et j’ai adhéré à l’AMCT. Je me suis formé, car j’ai compris combien la formation était l’une des garanties de l’indépendance. J’ai pu constater que les médiateurs ne travaillent pas sur les mêmes référentiels, donc l’absence de cadre légal qui délimite les compétences des médiateurs territoriaux fait qu’on a un caractère d’ « auberge espagnole » dans l’association. Parmi nous se trouvent des anciens élus, d’anciens préfets, d’anciens cadres territoriaux, avec des statuts différents, salariés ou non, indemnisés ou non… Je ne sais pas s’il faut créer ce « métier », mais il faut au moins qu’on le rende crédible, on doit un minimum de garanties aux gens qui nous confient leurs problèmes.
LPA : L’absence de cadre légal fragilise-t-elle les missions des médiateurs ?
H. C. : Là-dessus, j’ai un discours paradoxal. D’un côté, la France s’est dotée d’un outillage juridique de façon opportuniste, à la faveur d’une impulsion européenne et de la prise de conscience que les juridictions étaient assaillies et ne réussissaient pas à avoir une rapidité de réponse suffisante. D’où cette question : quelles alternatives pour désengorger les juridictions ? La médiation était l’une des réponses. On a donc fait face à la sortie d’une arborescence de textes, liés à des actualités qui n’avaient rien à voir les unes entre les autres. De telle sorte, qu’on a les branches, mais qu’il nous manque le tronc, qui serait une sorte de loi-cadre, définissant ce qu’est la médiation. Aujourd’hui, on en a un peu dans le Code de justice administrative, un peu dans le Code de la consommation… Mais, finalement, cette absence de loi-cadre a fait éclore une grande diversité d’initiatives, pas seulement issues des professions du droit – dans une optique de prévention plutôt que de résolution du droit – mais aussi du côté de l’UE qui dit que les consommateurs doivent être mieux protégés face à leurs fournisseurs. Deux registres ont émergé : d’un côté les médiateurs rattachés aux institutions, donc souvent accessibles « gratuitement », de l’autre, les médiateurs libéraux qui prolongent leur premier métier, comme des magistrats, des avocats, des notaires, des huissiers… et qui pensent qu’il y a matière à apporter leur concours.
En Belgique et au Québec, ils ont instauré cette loi-cadre qui cerne la médiation depuis si longtemps, qu’ils avancent plus vite. lls ont quitté la « guerre de religion » depuis longtemps. Je mesure combien ce foisonnement français n’est pas forcément un attribut négatif, mais peut être à la source d’une réflexion enrichie sur les trois enjeux : de statut, de formation et de déontologie.
LPA : Les professions du droit pourraient se sentir menacées. Comment l’expliquez-vous ?
H. C. : Je ne veux surtout déclarer aucune guerre, mais au contraire, la clore. Cependant ce que je perçois c’est que les professions juridiques se sentent un peu menacées. En fait pourquoi est-ce si difficile d’invoquer la notion de métier ? Peut-on encore parler de métier avec la formidable révolution numérique qui a lieu dans nos conditions de travail, avec des gens qui gagnent leur vie à travers Youtube ou les réseaux sociaux ? On voit émerger des activités rémunérées qui sont loin d’apparaître comme des métiers. Il y a donc un bouleversement pour le salariat, mais aussi pour les professions libérales. Par exemple, pour les avocats, les notaires ou les huissiers qui ont l’obligation de n’occuper qu’un seul métier, n’auraient-ils peut-être pas intérêt à ce que cette activité secondaire devienne un métier à proprement parler, tout en n’allant pas contre les principes qui régissent leur activité.
LPA : Justement comment instaurer au mieux le dialogue avec les professions du droit ?
H. C. : À travers nos tables rondes, il y a plusieurs lieux où il pourrait y avoir de l’« affrontement », mais notre position est justement de n’avoir pas privilégié une voie plus que l’autre. On prend acte d’une cohabitation nécessaire, il faut trouver un socle commun.
Si l’on aborde la question du modèle économique, on peut regarder quel est le chemin qui reste à parcourir pour ouvrir aux professions du droit ces marchés. Les libéraux disent que la médiation n’est pas gratuite, car les gens paient des impôts, et que c’est sur ces impôts que nous sommes rémunérés. Mais quel est le modèle économique du marché des avocats, qui ont parfois des clients institutionnels, et qui peuvent dépendre du budget des communes quand ils sont sollicités sur un dossier d’urbanisme ou de réseau d’assainissement, par exemple ? Nous allons essayer de faire une radiographie du modèle économique existant et de comprendre ce qui pourrait évoluer.
LPA : D’autres questions, comme la formation ou le modèle économique, émergent…
H. C. : Le monde de la formation aimerait bien construire des qualifications avec des équivalences universitaires, donc rentrer dans des formations d’État ou universitaire, qui ont vocation à professionnaliser ces métiers. Il y a un modèle en la matière, qui sont les médiateurs familiaux, détenteurs d’un diplôme d’État. Aujourd’hui, il existe également une commission d’évaluation et de contrôle de la médiation commerciale, qui est la seule instance instituante à ce jour, à l’exception du diplôme d’État du médiateur familial.
Dans l’histoire de la médiation, ce sont les Anglo-saxons qui ont amorcé les démarches de médiation à partir des conflits familiaux et conjugaux. Donc la France s’y est intéressée par ce biais. Mais je pense que là-bas, les médiateurs familiaux sont libéraux alors qu’en France ils se sont adossés à la politique familiale du pays, donc en étant partiellement ou totalement subventionnés. Si on était tous diplômés d’État, certains pensent que cela générerait le même mécanisme de solvabilisation mais ce n’est pas du tout sûr. Je crois que les médiateurs familiaux souffrent un peu d’un diplôme qui les particularise, qui les singularise.
LPA : Vous avez invité de nombreux médiateurs étrangers, afin de leur faire partager leur expérience. Dans quel but ?
H. C. : Ma crainte était que les questionnements restent trop franco-français. Or nous avons réussit à associer des contributeurs étrangers, sur la médiation obligatoire, sur le modèle économique, sur la médiation institutionnelle, sur un certain nombre de sujets, de façon à avoir des témoignages qui vont nous permettre de se demander, par exemple, si le salut de la médiation est de la rendre obligatoire. En France, les expériences de médiation préalable obligatoire découlent de la loi Justice 2021 et de la dernière réforme de Nicole Belloubet. Mais nous aurons une médiatrice italienne, confrontée aux mêmes questions. En Argentine, la médiation obligatoire s’est imposée depuis déjà cinq ans : les communes qui ont des compétences de département, avec des prérogatives plus importantes, ont institué cette médiation obligatoire dans un certain nombre de domaines. Certains pensent qu’il faut rompre avec cette pratique-là, alors qu’un médiateur espagnol estime que c’est quand même le seul moyen de faciliter l’accès à une culture de la résolution des conflits, parce que les gens par eux-mêmes n’ont pas une compréhension suffisante de la médiation pour en appréhender tous les atouts. On va donc faire une photographie de la médiation à un instant T, en essayant de sortir des débats manichéens.
LPA : Comment encourager la formation ?
H. C. : Aujourd’hui, les salariés peuvent bénéficier d’une formation, dans le cadre du compte individuel de formation, mais les libéraux jouissent également d’un fonds interprofessionnel de formation. L’obstacle financier n’existe presque plus grâce à ces mécanismes. Mais la question est presque d’ordre symbolique : faut-il avoir l’équivalent d’une formation comme celle de l’avocat, assez dominée par la question du droit, ou se focaliser sur des méthodes ? Quelle est la place de la déontologie ? Par mon histoire, j’étais tenté d’être interventionniste et la formation que j’ai suivie avec le CNAM des Pays de la Loire, m’a aidé à m’éloigner de ce champ pour ne m’intéresser qu’à la manière dont chacune des parties exprimait ses attentes. Lors de cette formation, j’ai passé la moitié du temps en situation de médiateur, et cette expérience m’a bousculé alors que cela faisait déjà trois ans que j’étais médiateur. Ce ne sont pas tant les référentiels qui m’aidaient à comprendre ce que je devais faire, que l’expérience du terrain. Les écoles pratiques misent sur l’apprentissage par l’expérience, avec des scénarios pertinents, mais au-delà d’un diplôme universitaire, la pratique reste indispensable.