Éric Dupond-Moretti à la Conférence des bâtonniers : « Saisissez-vous de l’amiable ! »
La conférence des Bâtonniers a tenu son assemblée générale extraordinaire le 26 janvier à Paris. Exceptionnellement, le garde des Sceaux était absent en raison du conseil européen des ministres de la justice. Mais il s’est adressé aux bâtonniers présents par vidéo.

Elles sont rares les assemblées générales extraordinaires de janvier organisées par la Conférence des bâtonniers qui se déroulent hors la présence du garde des Sceaux. Ce fut le cas vendredi dernier, Éric Dupond-Moretti étant attendu à une réunion européenne à Bruxelles. On ne compte que quatre précédents depuis 1990. En 2018, Nicole Belloubet n’avait pas pu venir le vendredi, mais s’était rattrapée le samedi en participant à une table ronde sur son projet de réforme. En 2015, Christiane Taubira était retenue en Lettonie. Et il faut remonter ensuite en 1990. Cette année-là, Pierre Arpaillange avait fait faux bond au dernier moment. Il faut dire que le climat entre le ministre et la profession était tendu. Et le quatrième, songera-t-on ? Elle s’inscrivait dans un contexte légèrement différent. En 2020, Hélène Fontaine alors présidente de la Conférence avait prié la ministre de ne pas venir en raison de la tension entre la profession et le ministère…

Jean-Raphaël Fernandez appelle le ministre à stopper les dérives du tribunal médiatique
Dans son discours, qu’il a quand même adressé au garde des Sceaux, le président Jean-Raphaël Fernandez a évoqué de nombreux sujets d’inquiétude. « La justice, je la sens contestée, attaquée concurrencée, critiquée de manière injuste, (…) au nom des 163 bâtonniers de province, nous serons toujours aux côtés de la justice pour lui rendre le respect qui lui est dû ». Cette menace, elle prend la forme notamment du tribunal médiatique. Le déplacement de la justice des palais vers les plateaux foule aux pieds la déontologie des avocats autant que les principes de l’état de droit. « Monsieur le ministre nous comptons sur vous pour stopper cette dérive ». Plus généralement, le président Fernandez met en garde contre la « spirale négative » qui s’est emparée de nombreux pays européens, dont la France, sous la pression des populistes.
Face à la montée des discours sécuritaires, et de leur traduction notamment dans la dernière réforme pénale (relevés d’empreintes, perquisition fors des heures légales, accroissement des pouvoirs du parquet…), il a invité le ministre à faire prévaloir la plénitude de l’état de droit.

« Le marathon de la réparation judiciaire n’est pas achevé »
On ne peut pas parler de justice sans évoquer la question douloureuse des moyens. Mais depuis peu, et c’est inédit, les professionnels de la justice saluent les efforts enfin accomplis. Il faut dire que le budget a connu avec Éric Dupond-Moretti plusieurs augmentations historiques de l’ordre de 8 % par an, ce qui le portera à 11 milliards d’euros en 2027. « Oui, enfin dans ce pays, la justice française commence à être un vrai pilier », a souligné le président Fernandez. Si les avocats sont conscients qu’on ne forme pas un magistrat ou un greffier en six mois, ils préviennent « nous ne sommes pas en mesure d’attendre ». Et pour cause, il n’y a plus de tribunal de police depuis un an au Mans, les délais d’attente devant le juge aux affaires familiales à Nanterre, Montpellier et ailleurs sont inadmissibles, comme ceux devant les chambres sociales qui ont d’ailleurs donné lieu à une condamnation historique de l’État par le Tribunal judiciaire de Paris à hauteur de près de 7 millions d’euros en faveur de 1085 justiciables qui avaient dû attendre 9 ans pour être jugé en appel sur un licenciement. Cette décision a d’ailleurs été signalée par le tribunal lui-même lors de sa rentrée il y a quelques jours (lire notre article ici). « Le marathon de la réparation judiciaire n’est pas achevé, nous avons encore beaucoup de travail à faire ».
Sans surprise, il a renouvelé sa demande de réévaluer l’unité de valeur qui sert à calculer l’indemnisation des avocats à l’aide juridictionnelle de 36 euros actuellement à 40 pour tenir compte de l’inflation. « On nous a dit non en 2023, j’espère une avancée en 2024 ».

Parmi les nombreux autres sujets abordés, signalons la situation carcérale qui atteint des records de surpopulation. Jean-Raphaël Fernandez a demandé à pouvoir travailler avec la Chancellerie sur ce sujet, pour notamment envisager un mécanisme de régulation carcérale. Concernant les relations avec les magistrats, il a appelé les bâtonniers à s’emparer de la journée dédiée le 21 mars prochain : « coconstruisez un événement qui donne une belle image de notre justice, elle en a besoin, nous devons sortir de la spirale négative de nos rapports pour apporter une image de la justice qui avance ! ».
Enfin, il a terminé sur l’IA générative. « L’art de juger ou défendre implique nécessairement des protections spécifiques dans ces outils » a-t-il souligné, au regard des trois problèmes que cela pose la cybersécurité, la fracture numérique, et les risques attachés aux algorithmes ou aux données biaisés. « Si nous ne maîtrisons pas les outils où sera la justice, à qui appartiendra-t-elle, nous devons être particulièrement vigilants. N’est-il pas temps de penser une grande politique numérique de la profession d’avocat ? »

La réforme de la procédure civile va se poursuivre
Dans le message vidéo qui a été projeté ensuite, assez court, le ministre a rappelé les efforts accomplis en matière de budget : « nous rattrapons 30 ans d’abandon de la justice au bénéfice de tous les justiciables ». Il a ensuite appelé les avocats à s’emparer des outils de l’amiable mis en place l’an dernier, en rappelant que l’aide juridictionnelle avait été revalorisée au bénéfice des avocats qui trouvent une solution amiable dans leur dossier. « Leur succès dépend en grande partie de vous, saisissez-vous de ces procédures ». Enfin, il a annoncé que la refonte de la procédure civile allait se poursuivre. « La direction des affaires civiles et du Sceau est à l’ouvrage par exemple sur le traitement des exceptions de procédure » a précisé le ministre. Le sujet est particulièrement sensible. La profession d’avocat a en effet beaucoup souffert des décrets dits « Magendie » réformant l’appel. Ceux-ci ont été révisés récemment mais insuffisamment à leurs yeux. Affaire à suivre…
Référence : AJU416985
