Eric Dupond-Moretti joue la carte de la séduction avec les avocats
Lors de l’assemblée générale de la Conférence des bâtonniers qui s’est tenue ce vendredi 21 janvier à Paris, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a donné plusieurs assurances aux avocats concernant des dossiers sensibles.
L’élection présidentielle, c’est un peu le Noël de la politique : les cadeaux sont de rigueur. Lors de l’assemblée générale statutaire de la Conférence des Bâtonniers qui a débuté ce vendredi à Paris les avocats ont reçu deux cadeaux de leur garde des sceaux.
Le premier est la promesse qu’un décret imminent va résoudre la difficulté soulevée par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Un arrêt en date du 15 décembre 2021 a en effet jugé qu’« aucune disposition conventionnelle ou légale ne fait obligation au juge d’instruction de délivrer un permis de communiquer aux collaborateurs ou associés d’un avocat choisi, dès lors que ceux-ci n’ont pas été personnellement désignés par l’intéressé dans les formes prévues par l’article 115 du code de procédure pénale ». En clair, un collaborateur d’avocat ne peut pas remplacer son patron dans les actes de procédure.
Le CNB demande la suppression de la limitation à 4 080 caractères de la déclaration d’appel via le RPVJ | Conseil national des barreaux https://t.co/fC1MgQQgsl
— Stéphane_NESA (@NesaSte) January 20, 2022
Le deuxième cadeau est du même ordre. Il s’agit de revenir sur les conséquences néfastes d’une autre jurisprudence de la Cour de cassation, en matière civile cette fois. L’arrêt du 13 janvier 2021 a censuré la pratique des avocats consistant, en raison de la limite des 4 080 caractères sur le Réseau Privé Virtuel Justice (RPVJ), à annexer à la déclaration d’appel un document listant les chefs de jugement attaqués. La Cour a considéré que cette annexe n’est valable que si la liste des chefs de jugement attaqués dépasse le nombre de caractères autorisés. La question va donner lieu à des travaux à la Chancellerie, a assuré Eric Dupond-Moretti.
Ces assurances ont quelque peu apaisé la colère d’une profession qui a tendance à considérer que jamais sans doute elle n’avait été aussi maltraitée par son ministère alors même que l’un des siens occupe le poste de garde des sceaux. Entre la réforme relative au secret professionnel dans le projet de loi Confiance, avancée pour les uns, recul selon les autres, les différentes contraintes de procédure (assignation à date, résumé des conclusions), la remise en cause des assises, la profession estime avoir de nombreuses raisons de se plaindre de son ministre. Lequel d’ailleurs n’avait pas hésité à les traiter de « braillards » il y a quelques mois, lorsqu’ils avaient protesté contre les cours criminelles.
Pour le reste, la volonté du garde des sceaux de vanter son bilan s’est heurtée à l’expérience de terrain des professionnels présents dans la salle sur plusieurs sujets.
Ainsi celui-ci s’est dit fier d’avoir installé le wifi dans tous les palais. La déclaration a immédiatement déclenché un brouhaha de protestation, de nombreux bâtonniers ont crié que leur tribunal n’était pas bénéficiaire de cette modernité. Le ministre en a pris acte et leur a demandé de lui signaler leur situation, ce que certains ont fait immédiatement sur Twitter.
Cher @E_DupondM,
Comme sollicité ce jour lors de l’AG de la @Conf_Batonniers , je vous informe que le TJ de #DOUAI ne dispose pas actuellement de WIFI dans son enceinte. Nous vous remercions de faire le nécessaire comme promis 😉@AvocatsDouai @PTJDouai @AvocatDelahay pic.twitter.com/G90J0Xkolz— Eglantine Campbell (@EglantineCpbll) January 21, 2022
La salle a également bruissé lorsque le garde des sceaux a abordé la question de la réforme de la discipline dans la loi sur la confiance dans la justice. « J’ai souhaité qu’un magistrat vienne aider les avocats sur la discipline » commençait-il à dire lorsque des cris ont fusé depuis la salle « il n’y a pas de victime dans un procès disciplinaire », Eric Dupond-Moretti a poursuivi en expliquant que c’était important pour l’image de la déontologie qu’un magistrat soit présent. Dans son allocution, prononcée juste avant celle du ministre, le président de la Conférence, Bruno Blanquer avait indiqué que la profession souhaitait qu’au moins soit instauré un filtre efficace et que soient effectivement rejetées « les réclamations irrecevables, manifestement infondées ou qui ne sont pas assorties des précisions permettant d’en apprécier le bien‑fondé ». « Il y aura une procédure de filtrage permettant d’écarter le manifestement abusif et le mal fondé », a assuré le ministre en retour.
Autre signe de dissenssion entre les avocats te leur ministre, l’assignation à date. Eric Dupond-Moretti s’est félicité que les avocats disposent désormais d’une date d’audience dès l’introduction de la demande. Eux y voient surtout une complexité inutile. De même, si le ministre se targue d’avoir augmenté de 28% le montant du budget de l’aide juridictionnelle, les avocats n’ont pas l’air de considérer qu’ils sont mieux indemnisés. Pas plus qu’ils ne constatent en pratique la diminution des stocks d’affaires civiles annoncé par le ministre dans le prolongement du rapport de l’inspection générale sur ce sujet. Le fait qu’il assure que le phénomène est dû essentiellement à d’autres causes que les moyens (seuls 30% des stocks en première instance seraient liés aux moyens et 10% en appel) n’est pas de nature à les rassurer sur les intentions de la Chancellerie en matière d’augmentation du budget.
« Ce sont les conséquences de 20 ans d’incurie qu’il faut réparer »
Une chose importante est ressortie de ces échanges, le ministre ne parle plus d’une justice réparée. « Bien sûr un effort particulier doit être consacré dans les années à venir au budget de la justice, a-t-il même reconnu. Mais il a aussi défendu son bilan « l’augmentation de budget qu’elle a connue place la justice au premier rang des ministères régaliens, devant les armées et l’intérieur ; j’entends vos remarques sur le fait que ce ne serait pas suffisant, mais ce gouvernement a hérité de 20 ans d’abandon, humain politique, budgétaire et ce sont les conséquences des incuries des dernières décennies qu’il faut réparer, ce que nous avons commencé à faire ». Il a évoqué l’embauche de 698 magistrats (contre seulement + 27 sous Hollande, et – 142 sous Sarkozy, le chiffre négatif s’expliquant par l’absence de remplacement des départs en retraite) 850 greffiers et 2000 contractuels. Quant à 2022, ce sera une année historique pour l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) qui connaîtra la plus grande promotion depuis sa création.
Question crédits, pour Bruno Blanquer qui est longuement revenu sur l‘appel des 3000 et a rappelé le plein soutien des avocats aux magistrats « c’est un doublement du budget de la justice judiciaire qu’il faudrait sur 5 ans avec un doublement des effectifs, pour, enfin, placer notre pays dans la moyenne européenne ». Le président de la Conférence a d’ailleurs une idée pour que les promesses de campagne ne restent pas lettre morte « nous demandons que les candidats à la présidence de la République s’engagent sur un objectif chiffré d’augmentation du budget de la justice judiciaire afin que, parce que ces objectifs auront été annoncés avant l’élection, Bercy ne puisse que se soumettre au suffrage universel ». Une déclaration qui lui a valu des applaudissements nourris.
Les qualités immenses et les tout petits défauts des avocats
Avant de conclure son propos, le ministre a appelé les avocats à participer aux Etats Généraux « Le but c’est de simplifier, je n’ignore pas que la procédure civile est d’une certaine pesanteur et c’est l’occasion ou jamais d’obtenir des règles plus claires et plus fluides pour une justice plus rapide ». Enfin, si l’an dernier il s’était gardé de toute référence à son ancienne profession, au point de donner un sentiment désagréable de reniement, cette fois, il a joué la carte de la complicité avec ses anciens confrères. Il a déclaré son « indéfectible attachement à cette profession » qu’il a » tant aimé exercer », avec « ses qualités immenses et ses tout petit défauts », avant de conclure « j’ai confiance en elle pour l’avenir, vous pouvez compter sur moi pour toujours défendre cette profession ». Les avocats l’ont-ils cru ? C’est une autre histoire. En tout cas le ministre s’est plutôt bien sorti de l’exercice traditionnellement risqué que constitue un discours devant cette assemblée de bâtonniers toujours prompts aux mouvements d’humeur.
Référence : AJU269400