« Il faudra trouver les moyens d’accompagner ces personnes tout au long de leur vie alors même qu’elles ne seront plus en capacité de produire de la richesse »

Publié le 08/09/2017

La thématique des solidarités prendra certainement une part croissante dans le débat public dans les années à venir. En effet, plus du tiers de la population française aura dépassé les 60 ans d’ici à 2050 selon les dernières projections démographiques. La commission Solidarités s’est donc saisie du sujet à bras-le-corps pour réfléchir aux solutions qui devront être adoptées demain. De la dépendance aux logements collectifs en passant par le dépoussiérage du viager, Franck Vancleemput, président de la commission #Solidarités et notaire à Meylan, nous expose en détail les différents axes de réflexion qui ont été choisis.

Les Petites Affiches – Quelles sont les grandes questions auxquelles votre commission a tenté de répondre ?

Franck Vancleemput – Avant même de commencer le travail, il était primordial de savoir de quelles solidarités nous souhaitions parler. Dans le cadre de cette commission, nous avons choisi de traiter les problématiques des solidarités envers les plus vulnérables, en ciblant tout particulièrement les personnes âgées. Il fallait s’interroger sur la forme que peuvent prendre ces solidarités : qui en a besoin, pour quoi faire ? À quel moment ? Pour ces personnes, le niveau de vie change la plupart du temps dans les premières années de la retraite : lorsque vous n’êtes plus actif ni rémunéré par les revenus de votre travail, il y a une nécessité de revenus complémentaires. Ils vont se matérialiser par le système classique de retraite sous forme de pensions, mais aussi par les aides sociales du département pour les personnes qui peuvent y prétendre. On voit d’ailleurs une augmentation de la part du budget des départements consacrée aux aides aux personnes âgées avec la part croissante qu’elles occupent dans la population.

En parallèle de la solidarité publique, on retrouve la solidarité familiale, très ancrée à l’origine dans notre société, mais qui tend à disparaître. Cette solidarité privée s’organise ici autour de la famille ou du propre patrimoine de la personne concernée, lorsqu’elle en possède un. Trois retraités sur quatre sont propriétaires de leur résidence principale, c’est un instrument de crédit majeur au sujet duquel nous avons fait des propositions. Toujours par le biais de la famille, on peut également organiser des moyens de financement par le biais de prêts familiaux ou encore de logements mis à disposition. Le deuxième grand axe de solidarité concerne les personnes qui n’ont plus aujourd’hui les moyens de comprendre le monde qui les entoure. Je pense notamment à toutes les personnes atteintes d’une des nombreuses maladies à dégénérescence cognitive. À travers nos travaux, nous avons abordé les différents modes de représentation ou d’assistance et la manière de les optimiser.

LPA – En quoi le vieillissement de la population va-t-il impacter notre société ?

F. V. – Les conséquences sont nombreuses. Et la première d’entre elles est qu’il faudra trouver les moyens d’accompagner ces personnes tout au long de leur vie alors même qu’elles ne seront plus en capacité de produire de la richesse. L’État doit pouvoir jouer son rôle sur le plan financier, mais dans le même temps il n’est plus possible de compter uniquement sur la solidarité publique. Nous devons réfléchir à des systèmes basés sur la solidarité familiale ou la création de revenus à partir de son patrimoine personnel, cela se retrouvera dans nos travaux.

Au-delà de la simple question financière, il faut aussi que la société s’adapte à tous les niveaux à une population qui vieillit. Sur le plan de l’urbanisme ou du transport par exemple, il faut aménager les infrastructures pour permettre l’accès aux personnes non valides. Enfin, les questions juridiques ne sont pas à négliger, à partir du moment où votre consentement sur les actes de la vie courante n’est plus complètement éclairé, êtes-vous encore capable de passer des contrats ou est-ce qu’il faut une personne pour vous assister ou vous représenter ?

LPA – Les modes de représentation existants pour les personnes âgées ne sont pas adaptés ?

F. V. – La loi de 1968 a instauré les grandes bases sur lesquelles repose le régime de protection des majeurs : la tutelle, la curatelle et la sauvegarde de justice. Pour résumer, la sauvegarde s’adresse aux personnes fragilisées, mais encore en capacité, la curatelle aux personnes fortement fragilisées, mais leur consentement reste nécessaire et enfin la tutelle est un régime de représentation pour les personnes ayant perdu leur libre arbitre. Avec le temps, et face à l’inflation des mesures de protection, il était nécessaire de repenser notre modèle. Le législateur a entrepris une réforme importante en 2007. Nous avons vu apparaître dans le paysage législatif le mandat de protection future, qui permet à une personne en capacité de désigner la personne pour la représenter et gérer son patrimoine si cela devenait nécessaire. Le succès de ce nouvel outil est cependant très mitigé compte tenu d’une efficacité somme toute très limitée.

En octobre 2015, le législateur a créé l’habilitation familiale. Nouvel outil permettant à une personne très proche et issue de la famille d’être habilitée à représenter la personne vieillissante. Les conditions aujourd’hui très restrictives de mise en place de cette habilitation n’ont pas permis à ce nouveau « mandat judiciaire » de connaître des débuts très prometteurs. Conscients de la nécessité de diversifier de manière effective le paysage législatif des régimes de protections et des mandats, nos travaux se sont donc dirigés vers une modification de leurs régimes afin de les rendre plus efficaces.

LPA – Le viager est-il une solution adaptée à tous ?

F. V. – Il constitue un outil formidable. Très récemment, le 112e Congrès abordait ce thème sous l’angle de la technique de vente, nous reprenons une partie de leur développement, mais nous l’avons appliqué au cadre du financement des besoins de la personne âgée. Nous partons du même constat : aujourd’hui, le viager ne rencontre pas un franc succès. Lorsqu’on achète en France, c’est souvent avec l’idée de transmettre du patrimoine à ses enfants, ce que ne permet pas le viager. Il y a aussi un non-dit sur le viager qui reste une pratique taboue, nous avons une vraie pudeur sur la réalité de ce contrat. Enfin, il faut noter que les Français sont peu friands des contrats aléatoires, en s’engageant sur un viager les deux parties prennent le risque d’aboutir à une mauvaise affaire. N’en demeure pas moins qu’il reste un bel outil qui mériterait d’être démocratisé, notamment pour assurer les besoins des personnes à financer la fin de leurs jours.

Il existe aujourd’hui et depuis peu, des moyens de l’aménager de façon intéressante, notamment en réduisant le caractère aléatoire pour le vendeur et ses héritiers, par le biais d’une assurance qui couvrira le risque d’un décès prématuré du crédirentier. Nous voulons mettre en avant ces aménagements basés sur la technique de la vente en viager, mais qui permettent d’offrir un régime plus fin et moins « radical ».

LPA – Est-il possible d’améliorer les textes pour mieux éviter les risques d’abus de dépendance, de faiblesse et de captation d’héritage ?

F. V. – La réforme du droit des contrats en octobre 2016 a repris les trois vices traditionnels du consentement : l’erreur, le dol et la violence. La violence intervient lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celle de ses proches. Ce qui nous intéresse c’est que la violence peut constituer un cas d’abus de dépendance défini dans le Code civil : l’état de dépendance ne se limite plus à la seule violence économique, aux deux conditions jurisprudentielles, la réforme en ajoute une troisième énoncée comme un « avantage manifestement excessif tiré de l’abus ». Pour revenir à des considérations moins techniques, il est nécessaire d’établir une protection pour les personnes âgées contre l’abus de dépendance d’une part, qui se passe au civil, et l’abus de faiblesse d’autre part au niveau pénal. La réforme du droit des contrats a certes clarifié et codifié le régime, mais n’a pas amélioré la protection. Le notaire pourrait jouer un rôle considérable dans ces situations.

LPA – Quelle est la situation concernant les logements collectifs ?

F. V. – Il existe plusieurs types de logements. Parmi les trois grandes catégories, on retrouve la personne âgée qui vit chez elle parce que son état de santé le lui permet, celle qui est diminuée et requiert un logement adapté (médicalisé ou non) avec des aménagements spécifiques, et enfin on trouve les maisons médicalisées et celles de soins palliatifs. On a donc plusieurs types de logements qui doivent être choisis en fonction du degré d’autonomie.

Mais il faut aussi prendre en compte que les personnes âgées souhaitent généralement rester aussi longtemps que possible à leur domicile. On fait parfois appel un peu trop facilement aux logements collectifs alors que d’autres solutions subsistent et que l’offre actuelle fait que tous ne pourront y accéder. Certains départements ont des établissements avec des listes d’attente de plusieurs années. Pour que la personne puisse rester chez elle le plus longtemps possible, et mettre son logement en adéquation avec ses besoins et son état de santé, nous proposerons un mode de financement permettant d’y parvenir. Cela permettra un désengorgement de la demande de logement collectif et permettra de répondre à une attente des personnes âgées.

LPA – Dans vos travaux, vous abordez également les obligations des enfants envers les aînés…

F. V. – En effet, on observe souvent une mauvaise connaissance de ces obligations par les intéressés. Il y a une obligation alimentaire envers les enfants, jusqu’au jour où ce sont les parents qui en ont besoin, cette obligation fonctionne dans les deux sens. Il y a généralement une solidarité familiale spontanée, mais il arrive que dans certaines familles, les parents n’aient plus les moyens de vivre dignement et qu’aucun des enfants ne réponde à cette obligation. Dans ce cas-là, c’est le juge qui tranche et répartit la charge de cette obligation entre les enfants.

Ce refus d’aliments peut aussi engendrer des révocations de donations dans les familles aisées. Nous avons décidé de rappeler cette obligation alimentaire dans nos travaux, car ce thème existe bel et bien et survient de temps à autre lorsque des clients viennent chercher conseil auprès de leur notaire.