« Il y a un déficit d’information vis-à-vis des entreprises »

Publié le 08/11/2019

Les notaires de l’association Notaires conseil d’entreprises cherchent à se faire connaître. Pour la première fois, le 15 octobre dernier, ils organisaient des rencontres nationales entre notaires et chefs d’entreprise. Pendant cette journée portes ouvertes, tous les chefs d’entreprise, quel que soit le type de structure qu’ils dirigent, pouvaient rencontrer gratuitement un notaire de l’association et bénéficier de son expertise. Les chefs d’entreprise n’avaient pour cela qu’à se rendre sur le site internet de l’association NCE et prendre rendez-vous avec un notaire proche de chez eux. Hubert Fabre, président de l’association, a expliqué aux Petites Affiches la raison d’être de cette journée.

Les Petites Affiches

Pouvez-vous, avant toute chose, nous présenter votre association ?

Hubert Fabre

Nous sommes une association qui regroupe des notaires qui s’intéressent aux entreprises et aux chefs d’entreprise. Elle a été créée il y a 12 ans dans le but de développer la compétence et le goût du droit des affaires chez les notaires. L’activité était alors surtout centrée sur la formation. Notre association compte aujourd’hui 200 offices notariaux répartis sur tout le territoire, ce qui représente probablement 3 fois plus de notaires impliqués dans la démarche. Nous sommes organisés avec des délégués régionaux qui relaient notre action en région.

LPA

Que propose l’association ?

H. F.

La formation demeure une activité centrale. Dès sa naissance, l’association a utilisé internet pour lancer des « webinaires », c’est-à-dire des séminaires en ligne, car les adhérents étaient répartis sur l’ensemble du territoire. Nous avons conservé cela et nous dispensons 18 formations sur le droit de l’entreprise chaque année. Nous avons créé un espace internet partagé pour que les adhérents qui souhaitent poser des questions puissent échanger avec des personnes qui ont la compétence au sein de l’association. Nous mettons également en ligne des fiches thématiques à destination des chefs d’entreprise pour qu’ils puissent voir ce qu’on peut faire pour eux.

LPA

Qui peut adhérer à Notaires conseils d’entreprises ?

H. F.

Notre volonté est de développer la pratique de droit des affaires chez les notaires, il nous faut donc être le plus ouvert possible. Il n’y a pas de cooptation ni de filtre. Nous avons parmi nos adhérents des études qui ont d’importants services de droit des affaires, avec une dizaine de collaborateurs qui assurent la moitié du chiffre d’affaires de l’étude, mais aussi des notaires plus néophytes qui veulent démarrer cette activité pour se diversifier. Nous sommes alors là pour les aider à démarrer et leur apporter un support.

LPA

Pourquoi avoir organisé cette journée de rencontre avec les chefs d’entreprise ?

H. F.

Nous nous sommes rendu compte que, si l’on est très bien perçu sur les problématiques familiales et immobilières, il n’en va pas de même auprès des entreprises. Quand vous posez la question à un chef d’entreprise : « À quoi vous sert votre notaire ? », il a beaucoup de mal à répondre. Nous voulons donc aller à la rencontre des dirigeants et nous rendre disponibles pour eux de manière à leur présenter ce que l’on est capable de leur offrir en termes de service, à la fois comme entreprise et comme dirigeants d’entreprise.

Il y a deux ans, nous avions accéléré sur la communication au sein de la profession pour nous faire connaître en son sein. Maintenant nous voulons augmenter notre communication auprès des chefs d’entreprise et des entreprises pour faire connaître notre savoir-faire. Il y a un vrai déficit de communication vis-à-vis des entreprises.

LPA

Qu’est-ce qu’un notaire peut apporter à une entreprise ?

H. F.

Nous pouvons intervenir dans toute la problématique immobilière de l’entreprise, nous avons les compétences pour cela. Ensuite, il y a plusieurs types de clients que l’on peut soutenir. Nous sommes d’abord compétents pour tout ce qui touche aux baux commerciaux et à la location commerciale. Nous détenons aussi un vrai savoir-faire pour toutes les entreprises détenues par des personnes physiques et des familles dans la mesure où nous pouvons travailler à la fois sur le patrimoine professionnel du dirigeant et sur son patrimoine personnel. Cette approche nous est particulière et nous distingue, nous notaires, des experts-comptables et des avocats. Nous avons une approche globale de l’entreprise et de ses associés qui nous permet de penser en termes de risques et de transmission et d’aider le dirigeant à réfléchir à sa gouvernance. Nous nous intéressons à la fois à la pérennité de l’entreprise et à celle du patrimoine qu’elle représente dans le patrimoine du dirigeant.

LPA

Sur quel type de situation pouvez-vous aider les chefs d’entreprise ?

H. F.

Lorsque l’on réfléchit à la structure de l’entreprise, on réfléchit en même temps à sa structure patrimoniale pour le chef d’entreprise. Il y a aussi tout ce qui relève de la prévision du risque. Que fait-on si le chef d’entreprise se retrouve indisponible ou disparaît brutalement ? Une entreprise doit anticiper ce type de risque de la même manière qu’elle anticipe le risque d’incendie ou celui de perdre un gros client. Nous apportons cette dimension de réflexion autour du dirigeant pour que l’entreprise continue à tourner même s’il venait à n’être plus présent. D’autres peuvent le faire mais nous avons un savoir-faire particulier car, de par notre exercice de notaire, nous avons une expérience autour du droit de la famille, des successions ou des personnes vulnérables que l’on peut transférer à l’entreprise.

LPA

Pourquoi les entreprises et les notaires ne travaillent-ils pas davantage ensemble ?

H. F.

C’est une question d’histoire. C’est dû à la manière dont s’est structurée la profession notariale. Il y a longtemps, il y avait encore un monopole des notaires sur un certain nombre d’actes des sociétés. Cela a été libéralisé dans les années soixante-dix et la profession de conseil d’entreprise est alors apparue. Cette nouvelle profession a repris ce rôle de conseil auprès des chefs d’entreprises avant de fusionner, des années plus tard, avec les avocats. Quant aux notaires, ils se sont recentrés sur les activités immobilières et de droit de la famille. Ils ont aujourd’hui un monopole sur un certain nombre d’actes immobilier et sont incontournables dans ce domaine.

LPA

Les notaires s’intéresseraient donc peu à l’entreprise, dans l’ensemble ?

H. F.

Il y a toujours eu des notaires intéressés par l’entreprise, mais de manière marginale. Après 1991, quand il y a eu la fusion entre les conseils et les avocats et les notaires, un certain nombre de conseils ont rejoint la profession notariale tout en continuant à s’intéresser à l’entreprise. Il y avait aussi un noyau dans la profession qui s’intéressait depuis toujours à l’entreprise. Les notaires de ce noyau se sont regroupés sous différentes formes, la dernière d’entre elles étant l’association Notaires conseil d’entreprises, née il y a 12 ans.

LPA

Les entreprises se passent donc aujourd’hui des services de notaires ?

H. F.

Toutes les entreprises font appel à un notaire à un moment ou un autre quand elles ont un problème immobilier. Mais elles n’utilisent pas tout le potentiel des notaires. Le pacte Dutreil (dispositif fiscal créé en 2000 pour favoriser la transmission familiale des sociétés) nous a donné un arsenal juridique qui permet de beaucoup mieux aider les chefs d’entreprise. Nous nous devons de les inviter à prendre des mesures, à prévoir le cas où ils ne pourraient plus être en capacité de diriger leur société. S’ils veulent garder leur entreprise au sein de la famille, ils doivent réfléchir à comment la transmettre. S’ils veulent la vendre, il s’agit de préparer à cette vente et réorganiser leur patrimoine une fois qu’ils l’auront transmis. Il y a plein de choses à faire mais encore faut-il être au courant. Nous intervenons pour les sensibiliser là-dessus.

LPA

Comment font aujourd’hui les chefs d’entreprise lorsqu’ils font face à ces problématiques ?

H. F.

Ils ont en général un contact régulier avec leur expert-comptable. C’est d’ailleurs lui qui tire la sonnette d’alarme et leur dit qu’il faut prévoir des choses. Quand se posent des questions de succession ou de transmission, ils finissent par arriver jusqu’à nous. Mais plus on prend les choses en amont, plus on peut leur proposer des choses intéressantes. L’idée est de les faire venir plus tôt pour pouvoir mieux les accompagner.

LPA

Vous accompagnez surtout les entreprises familiales ?

H. F.

Il y a une évolution dans les profils des chefs d’entreprise. Une des problématiques que l’on voit souvent est celle du chef d’entreprise qui arrive en fin de carrière et réfléchit à passer la main. S’il s’y prend tôt, cela peut très bien se passer. Il y a aussi désormais un nouveau profil de chef d’entreprise, avec l’apparition de « serial-entrepreneur » qui lancent des startups, créent et vendent des entreprises en série. Nous n’avons aujourd’hui pas suffisamment accès à ce public-là…

LPA

Y a-t-il aujourd’hui un regain d’intérêt pour l’entreprise chez les notaires ?

H. F.

En 2 ans, les effectifs de notre association sont passés de moins de 150 à plus de 200 études. Il y a donc une augmentation manifeste. Je pense que nous sommes portés par toutes les réformes en cours dans la profession qui ont pour effet d’obliger les notaires à réfléchir à leur offre de services et au type de clientèle avec laquelle ils souhaitent travailler. La loi Macron invite ceux qui veulent développer leur entreprise à réfléchir à leur positionnement, à se poser comme généraliste ou comme spécialiste. Il y a un point commun important à tous nos adhérents : tous ont un vrai intérêt pour leur entreprise notariale. Ils voient leur étude comme une entreprise et s’intéressent ensuite naturellement aux autres chefs d’entreprise car ils sont eux-mêmes dans cette culture-là. Cela donne à nos adhérents une base commune, même s’ils viennent de lieux très différents et que les études peuvent être très différentes.

LPA

Le marché des entreprises est-il suffisant pour que l’ensemble de la profession notariale s’y intéresse ?

H. F.

Il y a un marché suffisamment large et c’est pour les notaires une bonne manière de diversifier leur activité et leurs entreprises notariales. Je suis toujours très frappé, quand on est en assemblée avec nos adhérents, de constater que nombre de confrères installés dans des coins semi-ruraux ont un pourcentage important de droit des affaires dans leurs chiffres d’affaires. Cela se produit car ce sont eux qui apportent le droit des affaires dans leur localité. Il y a matière à développer encore cette présence notariale. Nous sommes en concurrence avec les experts-comptables et les avocats, mais nous avons chacun notre prisme et pouvons tous trouver notre place. Les experts-comptables ont un prisme avant tout comptable, les avocats ont un prisme de droit des sociétés. Nous, notaires, avons pour particularité d’avoir une approche à 360° en abordant le chef d’entreprise sous l’angle personnel et professionnel à la fois. Nous apportons chacun notre pierre à l’édifice en fonction des sensibilités et des besoins des chefs d’entreprise.