Indépendance du parquet : les syndicats de magistrats ont perdu devant le Conseil constitutionnel

Publié le 09/01/2018

Le 8 décembre dernier, le Conseil constitutionnel a rejeté la QPC soulevée par les syndicats de magistrats qui avait pour objectif d’obtenir l’annulation de l’article 5 de l’ordonnance de 1958 qui place les magistrats du parquet sous la direction du garde des Sceaux. Mais les syndicats ne désarment pas.

« Caramaba, encore raté ! », s’écrierait sans doute Ramon, le personnage de Hergé, en lisant la décision du Conseil constitutionnel qui a rejeté la QPC des syndicats de magistrats sur l’indépendance du parquet. L’Union syndicale des magistrats (USM) suivie par le Syndicat de la magistrature et FO Magistrats ont décidé, en effet, à l’occasion d’un recours contre le décret n° 2017-634 du 25 avril 2017 – qui dans son article 7 confie à la protection judiciaire de la jeunesse le soin de contrôler l’action du ministère public en matière de protection de l’enfance – de saisir le Conseil d’État d’une QPC tendant à examiner la constitutionnalité de l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. Ce texte énonce : « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice. À l’audience, leur parole est libre ». C’est la première fois, ont expliqué les syndicats, qu’une occasion se présentait d’interroger la constitutionnalité de cet article depuis que la QPC existe. La stratégie, on l’aura compris, consistait à tenter de faire tomber le texte pour mettre une chance de plus de leur côté d’obtenir enfin la réforme constitutionnelle entérinant l’indépendance du parquet, autrement dit alignant les conditions de nomination et le régime de discipline du parquet sur le siège et coupant le cordon ombilical hiérarchique inscrit à l’article 5. Certes, François Bayrou, fraîchement nommé garde des sceaux, avait assuré en présentant sa loi sur la transparence de la vie politique qu’une réforme constitutionnelle suivrait pour les magistrats. Puis Nicole Belloubet a réaffirmé cette intention, laquelle figurait d’ailleurs au programme du candidat Macron. Mais le projet n’a eu de cesse ensuite d’être reporté. Par ailleurs, les magistrats affirment n’avoir connaissance d’aucun avant-projet. Estimant donc que le dossier bloquait une fois de plus sur le terrain politique, ils ont eu l’idée d’essayer de le faire avancer sur le terrain juridique.

Indépendance et séparation des pouvoirs

Le jour de l’audience, les syndicats de magistrats ont plaidé que l’article 5 était contraire aux principes d’indépendance et de séparation des pouvoirs. Une contradiction d’autant plus discutable qu’ils la jugent inutile puisque plusieurs réformes successives ont vidé l’article concerné d’une grande partie de sa raison d’être. Ainsi, la loi du 9 mars 2004 a imposé que les instructions individuelles soient désormais versées au dossier. Moins de dix ans plus tard, la loi du 25 juillet 2013 les interdisait purement et simplement. Depuis 2013, plus aucun ministre n’a donné d’instructions individuelles et pourtant la loi continue de dire que le parquet est subordonné au ministre. Évidemment, les magistrats ont également invoqué à l’appui de leur recours les arrêts Medvedyev et autres c/ France (CEDH, Gde ch., 29 mars 2010, req. n° 3394/03) et Moulin contre France (CEDH, 23 novembre 2010, n° 37104/06) au terme desquels « les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat », au sens de l’article 5, § 3 ». Evidemment, si les instructions individuelles ont disparu, il reste les instructions générales dans l’exercice de la conduite de la politique pénale de la Nation. Les syndicats ne discutent pas l’exercice de cette prérogative de l’exécutif, ils considèrent simplement qu’elle n’implique pas nécessairement de lien hiérarchique et pourrait s’exercer par exemple via le CSM. Et pour ne pas donner au Conseil constitutionnel le sentiment que la décision de non-conformité serait un séisme, ils ont souligné qu’une éventuelle abrogation pourrait être différée pour laisser au gouvernement le temps d’agir et que par ailleurs il ne s’agissait pas de toucher à la hiérarchie interne du parquet.

L’article 5 de l’ordonnance 1958 déclaré conforme

Las ! Même raisonnable, la révolution demandée n’a pas été accordée. Dans sa décision du 8 décembre 2017, le Conseil constitutionnel note en effet dans un premier temps que « la Constitution consacre l’indépendance des magistrats du parquet, dont découle le libre exercice de leur action devant les juridictions » ce qui serait selon certains magistrats une première. Mais pour immédiatement préciser que « cette indépendance doit être conciliée avec les prérogatives du gouvernement et qu’elle n’est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège ». Dans la suite de sa décision, le conseil rappelle que l’autorité du garde des sceaux se manifeste par les conditions de nomination et de discipline spécifiques. Mais il souligne ensuite que le parquet ne peut plus recevoir d’instructions individuelles, que sa parole est libre et qu’il décide librement d’engager des poursuites pour en déduire : « Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées assurent une conciliation équilibrée entre le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire et les prérogatives que le gouvernement tient de l’article 20 de la Constitution. Elles ne méconnaissent pas non plus la séparation des pouvoirs ». Et le Conseil prend même soin d’ajouter que « les dispositions contestées (…) ne méconnaissent pas non plus le droit à un procès équitable ni les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ».

Nicole Belloubet annonce une réforme « puissante »

La décision a évidemment déçu les magistrats mais ne les a pas fait renoncer, bien au contraire. Lors de la conférence de presse qui a suivi l’annonce, l’USM a indiqué qu’il allait solliciter un rendez-vous à l’Élysée et à la Chancellerie. Par ailleurs, il a prévenu à mi-mots que les rentrées solennelles risquaient d’être agitées. La reforme de la carte judiciaire, le manque de moyens et la réforme de l’indépendance au point mort, ça fait beaucoup à leurs yeux. Le 13 décembre dernier, la révélation par le Canard enchaîné du fait que l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, très apprécié des magistrats pour avoir pris le problème des moyens à bras le corps, aurait transmis des éléments confidentiels à l’élu Thierry Solère dans l’entre-deux tours des présidentielles sur des enquêtes le concernant a consterné les magistrats. Mais l’information est venue aussi apporter de l’eau à leur moulin. Il s’en sont emparés en effet pour démontrer la légitimité de leur demande. Interrogée par la presse le 15 décembre, à sa sortie de l’assemblée générale de la conférence des procureurs, Nicole Belloubet a réaffirmé qu’une réforme constitutionnelle était bien en chantier. Elle a promis qu’elle serait « puissante » et porterait sur les nominations et la discipline. En revanche, elle a semblé demeurer attachée aux remontées d’information des parquets au ministère, de même qu’à l’utilité des directives de politique pénale. À supposer donc que la réforme aboutisse enfin, il n’est pas certain du tout que les magistrats obtiennent du politique ce que la justice constitutionnelle leur a refusé. À ce stade, on songe au rapport de la Commission Truche qui, saisie de la question de l’indépendance du parquet en 1997 à la demande de Jacques Chirac avait conclu au maintien du lien entre parquet et Chancellerie, à condition toutefois de revoir le statut du parquet et de mettre fin aux instructions individuelles. À l’époque, le président de la République avait pourtant largement ouvert le champ des réflexions puisqu’il écrivait dans sa lettre de mission : « L’indépendance de la justice à l’égard du pouvoir politique, quant à elle, trouve sa garantie dans les dispositions constitutionnelles et statutaires, dont celles résultant de la réforme de 1993. Cependant des voix s’élèvent pour envisager une coupure radicale entre le ministre de la Justice et le parquet. Une telle position mérite d’être examinée avec la plus grande attention et sans préjugé. Je vous demande d’étudier les modalités et les conséquences d’une situation nouvelle dans laquelle le parquet ne serait plus subordonné au garde des Sceaux et, éventuellement même, ne serait plus hiérarchisé ». Le fait que la commission, présidée par le premier président de la Cour de cassation de l’époque, conclut au maintien de ce lien était donc d’autant plus notable. La commission jugeait toutefois nécessaire de réformer les nominations en les soumettant à l’avis conforme du CSM. De même, il recommandait d’aligner le régime de discipline du parquet sur le siège. L’indépendance statutaire étant ainsi renforcée le rapport concluait à la nécessité de conserver au garde des Sceaux la responsabilité de la politique pénale par des orientations générales. Le rapport entendait également maintenir le système de remontée d’informations : « La politique nationale se nourrit des informations venues des parquets et parquets généraux à l’occasion d’affaires particulières et par un rapport annuel alimentant un débat devant le Parlement à l’initiative du garde des Sceaux ». Il recommandait enfin que l’on supprime les instructions individuelles.

Il est amusant d’observer que cette réforme pourrait bien s’accomplir… 20 ans plus tard, alors que les magistrats rêvent d’une autonomie bien plus grande encore…

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