Innovation et droit, les leitmotivs de l’incubateur du barreau de Paris

Publié le 23/06/2022

Premier espace d’échange et d’innovation de ce genre en France, l’incubateur du barreau de Paris (IBP) a vu ses missions évoluer depuis sa création en 2014. Une nouvelle session du programme d’incubation a été lancée début mai. « Ce qui nous intéresse avant tout c’est le caractère innovant des projets », explique Clémence Amara-Bettati, avocate au barreau de Paris en droit de la famille et droit pénal et secrétaire générale de l’IBP.

Actu-Juridique : Quel est le rôle de l’incubateur du barreau de Paris (IBP) ? Est-ce un incubateur classique, d’aide au développement de projets ?

Clémence Amara-Bettati : L’incubateur du barreau de Paris a été créé en 2014 dans le cadre du bâtonnat de Pierre-Olivier Sur et Laurent Martinet. À ses débuts, l’IBP a été conçu comme un think tank centré sur les problématiques liées au numérique et à l’innovation. Progressivement, l’incubateur a évolué grâce à de nouveaux publics participants et le développement de rendez-vous récurrents.

Parmi eux, il y a le Prix de l’innovation du barreau de Paris qui récompense chaque année les projets les plus novateurs pour les prestations de services juridiques. Deux catégories composent ce Prix : avocat et étudiant. L’ensemble des membres du barreau est appelé à élire chaque année les lauréats. Cela a pour avantage de sensibiliser les avocats au numérique. De manière répétée aussi, nous organisions des petits-déjeuners rencontres avec des spécialistes ou experts pour débattre, discuter, autour d’un sujet précis qui touche le monde du droit. L’incubateur organise également tous les ans « la Nuit des Legaltechs ». Cet événement permet de rassembler, le temps d’une soirée, toutes les parties prenantes de l’innovation juridique. Enfin, en septembre dernier, nous avons lancé la première édition de la « Journée du numérique », à la maison des avocats à Paris. La prochaine aura lieu le 22 septembre prochain, en concertation avec la commission numérique du barreau.

L’Incubateur est composé d’une vingtaine de membres actifs, avocats pour la plupart, et placé sous la bienveillance d’un ou plusieurs membres du conseil de l’ordre. Depuis sa prise de fonction, la bâtonnière Julie Couturier a confié cette mission à Sandy Mockel.

Actu-Juridique : Vous avez conçu aussi depuis quelques années un programme d’incubation. C’est une manière pour vous de revenir à l’essence même d’un incubateur ?

Clémence Amara-Bettati : Oui, tout à fait. Ce programme a été développé pour la première fois en 2018 sous l’impulsion du bâtonnat de Marie-Aimée Peyron et Basile Ader afin de placer l’innovation au centre de leur mandat et d’aider les porteurs de projets à développer leur legaltech.

Initialement prévu sur une année avec 4 projets incubés, le bâtonnier Olivier Cousi a décidé d’augmenter l’intensité du programme en 2020. Depuis, nous organisons quatre sessions de 3 mois avec 2 projets incubés soit un total de 8 legaltechs sur un an. Ces 3 mois intensifs sont découpés en 3 phases. La première est consacrée aux idées ou à la réflexion autour du projet. Cela nous permet, avec le porteur de projet, de paramétrer ses besoins et son ambition. La deuxième phase est dédiée au prototypage et la définition du modèle. Enfin, la troisième phase est celle du lancement qui comprend notamment le développement d’un proof of concept, d’un business plan et d’un pitch deck pour présenter son projet à des investisseurs et des clients.

Pour pouvoir candidater au programme, nos confrères doivent respecter 4 critères : le projet doit être innovant, avoir un intérêt pour la profession, être détenu a minima à 51 % par un avocat et être conforme, bien sûr, à nos règles déontologiques.

Actu-Juridique : Concrètement, pouvez-vous nous donner des exemples de projets qui sont, ou qui ont été, incubés ? Quelles solutions apportent-ils ?

Clémence Amara-Bettati : Actuellement, deux projets sont incubés par l’IBP. Le premier, « Clearr », est un outil probatoire qui permettra, à terme, à tout acteur d’un traitement de données personnelles de déposer des documents RGPD au format numérique sur une infrastructure de confiance. Le deuxième projet, « Médiation sur mesure », vise, quant à lui, à faciliter le recours à la médiation comme technique procédurale pour résoudre des litiges.

Auparavant, en 2020, nous avions notamment incubé un projet dénommé « Mes Acquisitions.com » permettant de faciliter et d’accélérer la rencontre de l’offre et de la demande sur le marché de la cession d’actifs en liquidation judiciaire, mais aussi « Mick », une solution digitale permettant l’accompagnement des avocats bénéficiant du régime fiscal Micro-BNC dans le suivi de leurs formalités sociales et fiscales. Ou encore, en 2019, « Avostages », une plate-forme qui aide la mise en relation des stagiaires, collaborateurs et associés.

Ainsi, vous l’aurez compris, les projets que nous soutenons peuvent répondre à de nombreuses problématiques. Une fois encore, ce qui nous intéresse avant tout c’est le volet innovant des projets. Non pas que ce soit la seule préoccupation des avocats aujourd’hui, mais parce qu’elle est essentielle pour penser et construire le droit de demain. Un virage numérique s’opère depuis quelques années et il est important que les confrères s’en saisissent pour répondre aux besoins de nos clients et de la société en général.

Actu-Juridique : Ce n’est pas encore suffisamment le cas selon vous ?

Clémence Amara-Bettati : La situation a bien changé en l’espace de 8 ans. Les mentalités, parfois réfractaires aux innovations, ont évolué. La preuve c’est le nombre de candidatures que nous recevons à chaque fois que nous communiquons sur un nouveau programme d’incubation. Celui-ci est toujours en constante augmentation, c’est le signe, il nous semble, d’un intérêt particulier des professionnels du droit pour le numérique.

Néanmoins, il est vrai aussi que les confrères qui nous sollicitent développent déjà une sensibilité ou une fibre innovante. Autrement dit, le cercle des profils a encore un peu de mal à s’élargir. Certains de nos confrères expriment aussi une inquiétude quant à cette numérisation de leur activité. Ils se demandent assez simplement, par exemple, si ces legaltechs empiètent sur leur activité ou si les technologies « remplaceront » un jour les avocats. Il nous faut donc entendre ces inquiétudes et y répondre. D’où notre volonté de continuer à organiser des événements annuels et récurrents en plus de notre activité d’incubation. Ceux-ci permettent, par leur approche plus didactique et peut-être moins engageante, de toucher de nouveaux publics, de les sensibiliser davantage aux enjeux du numérique et de l’innovation. Se lancer dans un programme d’incubation requiert un autre niveau d’implication, cela va de soi.

Actu-Juridique : La crise sanitaire vous a-t-elle aidé aussi à pousser ces sujets-là auprès de vos confrères ?

Clémence Amara-Bettati : Oui, c’est certain. Certains d’entre eux, un peu contraints et forcés par la situation, ont dû changer ou faire progresser leurs pratiques numériques. Ils n’avaient pas le choix. Je pense notamment à la visioconférence ou encore à l’accès à distance aux dossiers. Cela peut paraître simple et basique aujourd’hui mais ça ne l’était pas il y a 2 ans pour tout le monde, quand bien même le sujet était déjà sur la table. Aussi, ces transformations engagent des questionnements autour de la sécurisation des échanges avec les clients, partenaires ou entre confrères.

Actu-Juridique : Quel est le principal défi numérique auquel sont confrontés les avocats aujourd’hui ?

Clémence Amara-Bettati : La sécurisation des données est, sans doute, le sujet le plus important pour notre profession. Nous connaissons les débats autour du secret professionnel qui est essentiel pour les avocats et qui ne se limitent pas à notre seule sphère. C’est aussi pour cela que nous nous sommes structurés avec les autres incubateurs de France dans le Réseau national des incubateurs de barreaux (RNIB), ou que nous essayons de le faire au niveau international.

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