L’incubateur du barreau de Paris s’engage pour plus d’innovation dans le droit

Publié le 07/03/2017

Le 3e prix de l’innovation de l’incubateur du barreau de Paris a permis de sélectionner six projets qui avaient en commun un même objectif : faire évoluer et améliorer la profession d’avocat. La remise des prix par le bâtonnier de Paris était organisée le 26 janvier dernier.

Le 3e prix de l’innovation a vu la mise en place d’un nouveau mode de scrutin pour désigner les lauréats : « Pour la première fois les projets étaient soumis au vote de l’ensemble des membres du barreau », explique Benjamin Pitcho, coordinateur de l’incubateur. À l’occasion des élections ordinales des 29 novembre et 1er décembre 2016, les avocats parisiens ont ainsi été appelés à voter pour les différentes catégories du prix de l’incubateur ainsi que pour trois projets financés dans le cadre d’un budget participatif (là aussi une nouveauté).

« L’innovation et l’accès au droit »

Si toutes les idées étaient admises, Benjamin Pitcho constate que « la colonne vertébrale de l’avocat de demain a été respectée : il y a eu une partie concentrée sur l’innovation et dans le même temps une seconde sur l’accès au droit ». Dans le cadre de l’incubateur catégorie avocat, c’est la start-up teg-lbsb.com qui a été récompensée pour son site « Crédit immobilier : et si votre taux d’emprunt ne respectait pas les obligations légales ? » dédié au contentieux du TEG pour aider les emprunteurs à vérifier si leur taux respecte les dispositions légales. Le cas échéant, le site les accompagne dans une démarche amiable et éventuellement judiciaire à l’encontre de leur établissement bancaire.

Pour la catégorie non-avocat, c’est l’application mobile Votre Bien Dévoué (VBD) qui l’emporte, avec un concept de mise en relation des avocats pour échange de services. Enfin, la catégorie étudiant a vu la plate-forme MonPostulant.fr (un projet dédié à la création d’un réseau de postulants, vacataires et mandataires à destination des avocats) remporter le dernier prix.

Concernant les projets financés par le budget participatif, les 100 000 € ont été répartis entre deux lauréats : Martine Leboucq-Bernard, qui présentait le projet « Service de recouvrement d’honoraires des avocats du barreau de Paris », et Nicolas Uzan, de l’association Défense sans frontières – Avocats solidaires (DSF-AS), qui portait deux projets humanitaires internationaux : « Camps grecs de réfugiés – droits des femmes et victimes des violences sexuelles » et « Cambodge – sensibilisation aux droits des enfants et aux droits des femmes ».

L’émergence des legaltechs

Si le monde du droit est longtemps resté réfractaire aux nouvelles technologies, il semble s’y engouffrer depuis quelques années avec l’émergence des legaltechs (l’usage de technologies et logiciels destinés à offrir des services juridiques) et des start-ups qui s’y dédient. Benjamin Pitcho en a bien conscience et ce 3e prix de l’incubateur s’inscrit dans une volonté du barreau de Paris d’encourager les initiatives de ce type. On se rappelle d’ailleurs que des rencontres entre entrepreneurs et avocats avaient été organisées à l’initiative du barreau en 2016 (rendez-vous LegalMeUp). L’arrivée de ces nouveaux acteurs qui ne viennent pas toujours du monde du droit crée néanmoins des interrogations légitimes, notamment en termes de déontologie. Le coordinateur de l’incubateur souhaite rassurer sur ce point en expliquant que les legaltechs doivent se concevoir dans un cadre précis : « Ces partenariats doivent être respectueux de la déontologie. C’est très important. Il ne s’agit pas de créer un faux espoir pour les justiciables ». Pour lui, l’innovation juridique doit ainsi préserver l’objectif de servir le citoyen et la société, afin de créer un droit plus efficace et plus accessible : « Nous ne sommes pas dans une logique corporatiste : il ne s’agit pas de défendre la profession par intérêt, mais de la faire évoluer en gardant en tête le service qu’elle peut rendre au bénéfice de tous et dans la qualité de la prestation ».

Les Petites Affiches – Pouvez-vous décrire votre projet en quelques mots ?

Julia Katlama – « Votre bien dévoué », c’est la formule de politesse qui sert de signature aux avocats et à la profession juridique en général. C’était à la fois un moyen d’évoquer les questions déontologiques, mais aussi le dévouement entre avocats qui se traduit par des valeurs d’entraide et de respect.

Charlotte Hugon – Et comme notre application a pour objectif de mettre des avocats en relation instantanément, cela semblait parfaitement à propos. L’idée est que les avocats qui utilisent VBD peuvent être à la fois dans la demande et la proposition de services. D’un côté, ils peuvent indiquer leurs disponibilités pour effectuer des postulations, des vacations ou encore du renfort cabinet lors d’une surcharge sur un dossier particulier. Le tout en indiquant la date et la juridiction. De l’autre côté, l’avocat qui cherche un confrère pour le substituer, va trouver par le matching celui qui est disponible. Enfin il y a la géolocalisation qui permet de se rendre disponible immédiatement. Pour prendre un exemple, si j’arrive au TGI de Paris et que j’ai trois heures devant moi, je vais me mettre en disponibilité et je peux interjeter appel pour un confrère ou effectuer d’autres types de démarches.

J. K. – Nous avons également inclus de nombreux services pour faciliter ces transactions entre confrères tels que la facture et le paiement en ligne. En règle générale il est assez compliqué de facturer un confrère et il arrive de n’être payé que plusieurs mois après, le temps que l’intéressé effectue les démarches comptables. Notre application a pour but de faciliter et sécuriser ce paiement, la facture est éditée et envoyée par l’application et permet aux avocats de gagner du temps pour rester au cœur de leur métier : la présence au cabinet, celle auprès des clients, la rédaction des écritures, etc. Concrètement cela permet de rentabiliser les heures d’attente et de transports en utilisant les confrères qui sont déjà sur place.

LPA – À quoi correspond l’option « VBD solidaire » ?

J. K. – C’est une option qui permet de proposer, à titre confraternel, des services tels que les démarches de palais et des petites audiences. Cela permet d’accéder aux démarches gratuitement, nous l’avons créée en pensant aux jeunes avocats qui ne peuvent pas forcément se permettre ce type de coût et qui souhaiteraient tout de même profiter du service.

LPA – Ciblez-vous un public spécifique au sein de la profession ?

C. H. – Le but est que cette application soit utile pour tous en fonction de chaque besoin particulier. Un jeune confrère qui démarre et s’installe aura besoin d’arrondir ses fins de mois et sera satisfait de prendre des vacations. Au contraire, un avocat plus expérimenté, mais qui n’a pas beaucoup de collaborateurs, pourra faire appel à des collaborateurs pour des missions de plus ou moins courte durée.

J. K. – Même au sein de grands cabinets, il y a parfois des départements contentieux qui ont des effectifs réduits. Lorsqu’une urgence se déclare, il peut être pratique de pouvoir envoyer quelqu’un à sa place et de rester au cabinet pour continuer ses écritures. Nous aimerions que les avocats prennent le réflexe d’aller sur VBD comme ils ont le réflexe d’aller sur Uber quand ils ont besoin d’un taxi. Dans certaines situations, il est plus intéressant de trouver un confrère qui va interjeter un appel plutôt que de prendre le métro ou le RER et de perdre trois heures.

LPA – Quelle était la genèse du projet ?

J. K. – Nous sommes toutes les deux des avocates rompues au contentieux, Charlotte a six années de barre, moi dix. On constatait justement une vraie perte de temps et d’énergie dans les transports et audiences. D’autant que c’est du temps pris sur le travail consacré au dossier, et donc une perte d’argent au bout du compte. Avec notre expérience commune, nous avons réalisé que nous serions les premières utilisatrices d’une telle application. Après une conférence de l’incubateur à laquelle nous assistions à la BPI, nous nous sommes dit que c’était le moment idéal pour entreprendre un tel projet.

C. H. – De nombreuses technologies sont disponibles aujourd’hui, et il ne tient qu’à nous de nous les approprier. Que ce soit la géolocalisation ou le paiement en ligne, ce sont des choses dont on peut avoir une vraie utilité. Nous souhaitons les utiliser à profit pour notre métier afin de rendre le quotidien plus facile et plus efficace. Et au final cette application permet certes d’être plus compétitif, mais aussi d’encourager la solidarité entre confrères.

LPA – Comment s’assurer de la fiabilité de la personne à qui l’on fait appel ?

C. H. – Dans un premier temps, il sera possible de laisser une recommandation à un confrère après chaque service rendu. Pour le clin d’œil, la notation sera d’ailleurs faite avec des rabats plutôt que sous forme d’étoiles. À terme, nous souhaitons créer des réseaux de confiance au sein même de l’application, ils permettront de faire appel directement à des personnes qui en font partie.

J. K. – Souvent les confrères qui travaillent beaucoup en réseau s’apportent des affaires par ce biais. Ce type de structure permet aux avocats de se rapprocher et de créer des synergies et de nouveaux dossiers sans forcément aller jusqu’à s’associer.

LPA – Qu’est-ce que ce prix peut vous apporter ?

C. H. – Une visibilité tout d’abord et un label qui permet de dire que nous respectons la déontologie. C’est une application qui est créée par des avocats et qui est faite pour des avocats afin de répondre à leurs besoins. Nous sommes très fières d’avoir remporté ce prix puisqu’il a été choisi par nos confrères : le projet a reçu plus de 2 000 voix alors qu’il y avait tout de même 17 candidats. Nous considérons cette victoire comme un véritable plébiscite de la part du barreau.

J. K. – Nous nous concentrons désormais sur les dernières touches apportées au développement de l’application, le but étant de pouvoir la sortir le plus rapidement possible. Si tout se passe bien, nous espérons pouvoir l’annoncer pour fin février-début mars.

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