Hauts-de-Seine (92)

« L’incubateur doit valoriser le barreau des Hauts-de-Seine »

Publié le 15/06/2021
« L’incubateur doit valoriser le barreau des Hauts-de-Seine »
AlcelVision / AdobeStock

En juillet dernier, le barreau des Hauts-de-Seine lançait un incubateur pour inciter les avocats à se saisir des legaltechs. Son président, Yann Leclerc, revient sur cette première année d’activité.

Actu-Juridique : Quelle est la mission de ce nouvel incubateur ?

Yann Leclerc : Un incubateur est une structure d’accompagnement visant à aider des confrères qui ont un projet de legaltech, de plateforme ou d’application permettant de faciliter les démarches des confrères ou du justiciable. Le rôle de cette structure est de les aider à mieux penser leur projet. Un incubateur est également un réseau de compétences. Nous avons des avocats en droit social, en droit des sociétés, en droit de la propriété industrielle, en droit fiscal, qui vont entourer le confrère pour le faire passer d’une idée à la réalisation de son projet d’application ou de plateforme. Le barreau de Paris et le barreau de Lyon ont lancé avant nous des incubateurs. Ils ont ainsi pu aider à la création d’outils comme des plateformes de mise en relation entre avocats et justiciables, ou de solutions facilitant les échanges entre avocats et huissiers ou encore entre avocats et notaires.

AJ : D’où vient votre intérêt pour le numérique ?

Y.L. : Je suis avocat fiscaliste au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre depuis 1981, et j’entame ma sixième année comme membre du conseil de l’ordre du barreau des Hauts-de-Seine. Il y a trois ans de cela, le bâtonnier alors en exercice, Vincent Maurel, m’avait confié la tâche de développer l’innovation et les legaltechs. J’avais pour mission de sensibiliser les confrères à leur existence, de les enjoindre à ne pas en avoir peur et à les voir plutôt comme des outils leur permettant d’améliorer leurs performances. Dans un premier temps, j’avais développé, en binôme avec ma consœur Marie-Pascale Piot, les matinales de l’avocat connecté du 92. Elles existent toujours aujourd’hui. Tous les mois, les confrères peuvent assister à des séances, des talk-show, des réunions d’acculturation pour découvrir de nouveaux outils, améliorer leurs conditions de travail et celles de leurs clients. Nous abordons des questions pratiques : comment créer un site internet avec un coût réduit, comment le faire vivre par la mise en ligne d’articles ou de vidéos, comment améliorer la sécurité informatique de son cabinet, comment respecter les règles sur les données personnelles, comment créer une adresse mail sécurisée, comment optimiser un réseau professionnel tel que Linkedin. Ces discussions avaient au départ un peu bousculé les confrères dans leurs habitudes. Une fois passée l’appréhension de la découverte, elles ont été chaleureusement accueillies. Aujourd’hui encore, une centaine d’avocats y assistent.

AJ : Comment est né le projet d’incubateur ?

Y.L. : Dans le cadre de mes fonctions au sein du barreau, j’étais allé plusieurs fois au Village de la legaltech, qui, depuis quatre ans, réunit une fois par an les principaux acteurs du numérique. J’y avais rencontré d’autres avocats qui prenaient part au Réseau national des incubateurs de barreaux (RNIB). Cela m’a donné envie d’en créer un. Nous avons mis sur pied une équipe d’avocats et nous nous sommes fait aider par des coachs spécialisés en nouvelles technologies et en marketing.

AJ : Comment cet incubateur a-t-il été accueilli ?

Y.L. : Le barreau des Hauts-de-Seine compte 2 500 avocats, dont plus de la moitié ont moins de 40 ans. C’est donc un barreau jeune et dynamique, tourné vers les entreprises de toutes tailles, et ouvert aux nouvelles technologies. La démarche du barreau de créer son incubateur a été ressentie comme une évolution naturelle. Nous avons créé en juillet 2020 une association loi de 1901, avec une marque, avocatlab 92, ainsi qu’un site internet et une adresse mail dédiée. L’incubateur est présidé par le bâtonnier en exercice, Michel Guichard, j’en suis le secrétaire général et Marie-Pascale Piot, la secrétaire générale adjointe. Nous y avons associé quelques avocats membres du conseil de l’ordre. Nous sommes ainsi une dizaine de membres dirigeants fondateurs à nous réunir régulièrement pour impulser les trois activités de l’incubateur.

AJ : Quelles sont ces trois activités ?

Y.L. : Le premier pilier est une offre de formation à destination des confrères. Nous leur proposons des formations généralistes sur l’innovation et le développement du cabinet. Nous mettons l’accent sur les soft skills, qui doivent leur permettre d’améliorer leurs performances. Nous leur présentons les nouvelles techniques, telles que le legal design qui donne des outils pour présenter un raisonnement ou une prestation juridique sous forme de pictogramme, avec des couleurs, ou encore le mind maping, technique d’organisation de la pensée qui permet de résumer sur une page A4 une plaidoirie de 50 pages, sous forme d’une arborescence de décisions. Ces outils de structuration de la pensée sont très utiles. Nous faisons ensuite des ateliers pratiques en petit groupe qui permettent aux avocats d’approfondir les sujets qui les intéressent.

Le deuxième pilier est constitué des activités d’incubation. Nous accompagnons depuis le mois d’avril et jusqu’en septembre prochain, cinq start-up que nous allons suivre jusqu’à la pré-mise sur le marché de leur produit.

Enfin, nous participons à l’organisation de deux concours. Le premier, « Made in 92 », est organisé par la Chambre du commerce et de l’industrie des Hauts-de-Seine pour les jeunes entrepreneurs. Il existe depuis plusieurs années, et nous y aurons désormais une expertise sur les legaltechs. Le second concours, organisé par le barreau des Hauts-de-Seine, récompensera un avocat qui a mis en place une solution incubée au sein de notre barreau, ou un avocat en France qui aura retenu notre attention pour avoir trouvé une solution novatrice pour les avocats ou les clients. Nous allons lancer l’appel à candidature en juin prochain. La remise du prix aura lieu au moment de la rentrée de la Conférence du barreau des Hauts-de-Seine, en novembre 2021.

AJ : Quelles sont les start-up que vous accompagnez ?

Y.L. : C’est notre premier cycle d’incubation et nous sommes très satisfaits d’avoir reçu 20 candidatures. Pour un incubateur débutant, c’est positif. Nous en avons retenu d’abord dix, puis cinq. Au bout de cinq mois, un concours interne permettra de désigner un lauréat qui sera accompagné par la Chambre de commerce et d’industrie.

Les start-up que nous avons retenues opèrent dans le domaine de la médiation ou du « tourisme judiciaire ». Quand vous allez plaider dans une autre juridiction que la vôtre, vous avez besoin de connaître les horaires du tribunal, de savoir s’il y a une salle dédiée aux avocats, quels sont ses horaires d’ouverture, connaître des noms d’hôtels et de restaurants, trouver une bibliothèque. Autant d’informations qui seraient mises en ligne sur la plateforme…

AJ : Comment se fait l’accompagnement ?

Y.L. : Nous avons fait un règlement dans lequel nous donnons les grands principes de cet accompagnement : une aide pour valider l’existence du besoin client, définition d’une proposition claire et compréhensible pour le client, analyse de la pertinence de la solution, contrôle du modèle économique. Nous allons ensuite définir avec le créateur un plan d’action concret pour doter son projet en ressources humaines et financières. L’idée est de le faire monter en compétences. Chaque projet incubé est coaché à un rythme hebdomadaire lors d’ateliers communs qui se tiennent en visioconférence, et lors d’ateliers individualisés par projets. Nous avons également mis en place un système de mentorat qui va leur permettre d’être aidés sur les difficultés juridiques qu’ils peuvent rencontrer.

AJ : Quel est l’intérêt de cet incubateur pour le barreau ?

Y.L. : Il participe à la notoriété du barreau des Hauts-de-Seine. Il doit permettre de le valoriser, d’améliorer son image et d’attirer des jeunes confrères innovants. Je suis très heureux du développement de cet incubateur parti de rien et arrivé, en quelques mois seulement, à mettre en place ces trois activités qui fonctionnent bien.

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