JM Hayat : « Je suis plus confiant que l’année dernière »
La cour d’appel de Paris tenait son audience de rentrée le 14 janvier dernier. Son premier président, Jean-Michel Hayat, est revenu sur la mobilisation des fonctionnaires de justice et les mesures prises en 2020 pour faire face à la crise sanitaire. Il aborde avec une certaine sérénité l’année 2021, riche en réformes.
Les Petites Affiches : Comment qualifieriez-vous l’année 2020 ?
Jean-Michel Hayat : Je qualifierais l’année 2020 de difficile, sombre et anxiogène. La crise sanitaire a complètement percuté l’activité de la juridiction et il a fallu, dans un contexte très compliqué, maintenir un niveau élevé de performance dans tous les services de la cour d’appel. En définitive, le bilan est plus qu’honorable.
LPA : Comment avez-vous passé ce cap ?
J.-M.H. : Il y a eu deux phénomènes distincts. Tout d’abord, le premier confinement, du 16 mars dernier à la mi-mai, a provoqué une baisse sensible du nombre d’affaires nouvelles. Du fait du ralentissement de l’activité dans les 9 tribunaux judiciaires du ressort, nous avons noté, au moment de la reprise de l’activité, beaucoup moins d’appels que les années précédentes. Ensuite, la mise en place de la « procédure sans audience », dans toute la sphère civile de la cour, soit dans les 55 formations civiles, commerciales et sociales (sur un total de 78 chambres) a permis à tous les avocats qui ont entendu ne pas s’y opposer, de déposer leurs dossiers de plaidoirie pour que les affaires soient jugées.
L’organisation mise en place et la fluidité du dispositif a fini par convaincre le plus grand nombre et permettre aux magistrats de traiter plusieurs milliers de procédures. Lorsqu’il a été mis fin au confinement, les greffiers ont pu disposer de deux jours par semaine qu’ils consacrent habituellement à la préparation, à la tenue et au traitement de l’audience, pour remettre leur service à jour. La priorité a été donnée aux milliers de messages sur le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) qui étaient restés en attente pour ensuite notifier les arrêts qui n’avaient pas pu l’être pendant le confinement. Cela nous a permis de relancer l’activité de la cour dans de très bonnes conditions.
Un seul chiffre pour vous en convaincre : entre le 16 mars dernier et début juillet, ce ne sont pas moins de 6 000 arrêts qui ont été rendus.
Je tiens à souligner également que magistrats et fonctionnaires ont tous accepté de travailler une semaine de plus au début de l’été, sans solliciter la moindre compensation. Cette volonté unanimement exprimée a été très bénéfique, et nous a permis de traiter les dossiers qui avaient été frappés, en quelque sorte, de « la double peine » : fixés initialement en janvier 2020 pour plaidoirie, ils avaient été, du fait de la grève des avocats, renvoyés à la fin mars, au moment où le confinement a été mis en place. Un grand nombre d’entre eux ont finalement pu être audiencés début juillet ou septembre derniers.
Enfin, je me dois de faire état d’un constat très positif : nous relevons très peu de renvois depuis cet automne. Les affaires viennent à la date initialement prévue pour plaidoirie. Personne ne sait de quoi demain sera fait, et chacun mesure l’urgence à ce que les affaires soient plaidées et jugées sans connaître de nouveaux retards. La machine judiciaire tourne à plein régime.
LPA : Pourquoi ne pas poursuivre le dépôt de dossier ?
J.-M.H. : Cette procédure s’est arrêtée au moment de la reprise de l’activité de la cour. J’avais pris, vis-à-vis du bâtonnier du barreau de Paris, l’engagement de l’abandonner dès que l’on retrouverait une activité normale, puisque le principe même d’une audience civile est de pouvoir plaider sa cause.
Deux précisions toutefois : on constate depuis cet automne de fréquents dépôts de dossiers à l’audience par les avocats et des plaidoiries plus brèves qu’habituellement. La crise sanitaire est assurément passée par là. Par ailleurs, si la situation venait à se dégrader et que les effectifs ne permettaient plus de garantir la tenue des audiences, la procédure sans audience, prévue dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire retrouverait toute son utilité, et je dirais même, sa nécessité.
LPA : La cour est-elle prête à un nouveau confinement ?
J.-M.H. : Même en cas de nouveau confinement « très serré », pour reprendre l’expression du porte-parole du gouvernement, je crois pouvoir affirmer que les juridictions seraient beaucoup mieux armées pour surmonter la crise qu’elles ne l’étaient au printemps dernier. Nous étions en mars derniers démunis pour mettre en œuvre matériellement le travail à distance. Chaque président de chambre de la cour d’appel a désormais la possibilité de se connecter à distance à l’applicatif civil. Il en est de même pour le greffe, à raison d’un greffier par chambre, lequel peut également se connecter de son domicile à l’applicatif métier, pour traiter les messages RPVA et procéder aux notifications nécessaires.
Dans les prochains jours, nous allons encore étendre la liste des bénéficiaires des connexions à distance, grâce aux efforts de la Chancellerie, ce qui va permettre de favoriser de manière inédite et spectaculaire à la fois, le télétravail. C’est un énorme progrès accompli en un an avec, au surplus, des équipements informatiques parvenus en nombre. Mon devoir est d’en remercier les équipes de la Chancellerie. Le point de préoccupation majeur, en cas de reprise de l’épidémie, est bien évidemment le fonctionnement des cours d’assises.
LPA : Le télétravail va-t-il devenir une habitude à la cour ?
J.-M.H. : C’est une politique portée par le Premier ministre et le ministère de la Justice doit donc adapter ses méthodes de travail pour en faciliter l’essor. C’est ce à quoi les chefs de cour vont s’employer, de manière déterminée, dans les jours et les semaines qui viennent.
J’ai bon espoir d’y parvenir dans la plupart des services, tant chacun comprend que c’est le meilleur moyen de freiner l’épidémie, de préserver la santé de tous, tout en maintenant, dans un nouveau cadre, l’activité.
LPA : Quelle est votre ambition pour 2021 ?
J.-M.H. : Il faut que nous soyons en capacité d’examiner les dossiers plus rapidement en appel, en évitant, autant que nous le pourrons, les renvois.
La baisse des stocks est une chance historique. Il ne faut pas s’endormir sur ce bilan né de la crise mais en profiter pour développer une réflexion croisée entre magistrats et avocats, dans chaque pôle de la cour d’appel, pour faire émerger les bonnes pratiques. Au surplus, nous finalisons un circuit court pour le traitement des urgences en matière familiale. C’est l’une de nos priorités.
Les tribunaux judiciaires du ressort ont tous repensé leur organisation pour permettre le traitement des urgences familiales dans des délais courts. Il nous revient d’en faire de même en appel. Nous allons par ailleurs prochainement publier un guide relatif à la chambre commerciale internationale pour valoriser son travail et ainsi contribuer à son rayonnement. En ces temps de Brexit, il est essentiel de mieux la faire connaître, afin de renforcer l’attractivité de la place judiciaire de Paris, d’autant que cette formation n’a pas subi le contrecoup de la crise sanitaire mais a vu le nombre d’affaires nouvelles augmenter. En matière pénale, le jugement des affaires terroristes sera un défi majeur.
LPA : Comment envisagez-vous le procès des attentats terroristes du 13 novembre 2015 ?
J.-M.H. : L’organisation est déjà très avancée. La salle d’audience qui sera en mesure d’accueillir 550 personnes devrait être prête en mai prochain. Les avocats référents, tant côté défense que partie civile, ont pu visiter le chantier de ce qui sera la plus grande salle jamais édifiée dans un palais de justice. Ils ont approuvé, lors d’une réunion présidée par les chefs de cour, le calendrier du procès qui a tenu compte du premier retour d’expérience du procès des attentats de janvier 2015. L’accueil des victimes et de la presse, la sécurité, le filtrage, sont également des sujets bien anticipés. Nous devrions être fin prêts pour septembre prochain. Le Palais connaîtra une activité comme il n’en a plus connu depuis le déménagement du tribunal de Paris.
LPA : Les grands procès sont donc possibles ?
J.-M.H. : Les grands procès avec beaucoup de prévenus et de parties civiles sont une nouvelle donne à laquelle il nous faut réfléchir activement, afin que l’institution judiciaire ne soit pas prise en défaut. Il nous faut relever le défi, tant en matière de santé publique que d’accidents collectifs et bien évidemment en matière de terrorisme.
La cour d’appel de Paris prend toute sa part dans la réflexion en cours et a proposé à la Chancellerie la construction d’une grande salle d’audience pérenne. Aucun arbitrage n’a encore été rendu mais le garde des Sceaux, lors de sa récente visite de la salle d’audience du procès des attentats de janvier 2015, a indiqué que ses services examinaient notre proposition avec la plus grande attention.
LPA : L’année 2021 sera une année de réforme. Quelles seront les plus importantes ?
J.-M.H. : La première à entrer en vigueur est celle du divorce. Les tribunaux judiciaires de notre ressort vont avoir leurs premières audiences dans le cadre de cette nouvelle procédure, en avril prochain.
La deuxième réforme importante est celle de la procédure civile qui prévoit que toute assignation soit assortie d’une prise de date.
Dorénavant, c’est bien le demandeur – et non plus le greffe – qui fera connaître à son contradicteur, la date de la première audience. Chacun espère un gain de temps et une accélération du cours du procès.
La troisième réforme est celle de l’aide juridictionnelle. L’examen portera sur le revenu fiscal de référence de la personne pour attribuer l’aide juridictionnelle à un justiciable.
La quatrième réforme importante est celle du Code de justice pénale des mineurs. Le garde des Sceaux vient de valider la position de la commission des lois du Sénat, favorable à un report de la réforme. Elle n’entrera donc en vigueur que le 30 septembre 2021. L’idée majeure est de séquencer en deux phases distinctes le jugement d’un mineur délinquant. La première audience vise à statuer sur la culpabilité d’un mineur avant que ne s’ouvre une seconde phase de 9 mois permettant au tribunal pour enfants de prononcer la peine la plus adaptée au profil du mineur. L’idée qui sous-tend la réforme est d’aller plus vite et d’effectuer un travail en amont avant de prononcer une peine. Le report de six mois, pour l’entrée en vigueur de cette réforme permettra d’accélérer le traitement des dossiers en cours, pour éviter le chevauchement de deux procédures qui compliquerait le travail de tous. J’ai bon espoir d’y parvenir tant les juridictions du ressort sont mobilisées.
LPA : Dans quel état d’esprit abordez-vous cette nouvelle année ?
J.-M.H. : Je suis concentré et préoccupé à la fois, mais plus confiant que l’année dernière. J’ai la perception d’une institution secouée mais dotée de moyens dont elle ne bénéficiait pas au printemps dernier. Nous avons tiré les enseignements du premier confinement et lors du deuxième confinement, nous n’avons pas essuyé les mêmes critiques. Nous avons su en effet, maintenir l’activité au niveau habituel.
LPA : Quels sont vos vœux pour 2021 ?
J.-M.H. : Tout ce qui permettra une simplification des règles procédurales sera bon pour l’institution. On a besoin de gagner du temps pour mieux travailler sur le fond. J’attends beaucoup de la transformation numérique de la justice. La dématérialisation des échanges ne peut être que bénéfique et nous venons de signer un protocole en ce sens, au profit de la relation entre la chambre de l’instruction et tous les barreaux du ressort. Il y a des expérimentations en cours actuellement. Le tribunal judiciaire de Créteil teste ainsi une procédure pénale numérique et nous attendons avec intérêt les premiers résultats. En clair et pour faire simple, l’institution judiciaire devrait assez vite travailler de manière totalement différente et le justiciable devrait en percevoir rapidement les avantages.
LPA : La crise a-t-elle accéléré ce développement numérique ?
J.-M.H. : La justice a été très critiquée. Elle travaille avec les outils dont elle dispose. Chacun a compris le dénuement des juridictions et le manque d’outils modernes n’était pas un constat infondé. Il y a eu une prise de conscience générale pour procéder à un véritable « rattrapage » et accélérer l’avènement de la révolution numérique du ministère de la Justice.