« Je veux emmener les avocats hors du palais »

Publié le 11/06/2019

Après une première vie de violoncelliste, Béatrice Cohen s’est lancée dans une carrière d’avocat, sans jamais se détourner complètement de son goût pour l’art et la culture. Spécialisée dans le droit du marché de l’art, elle cherche à promouvoir la culture au sein du barreau de Paris. Elle a ainsi créé « Culture au barreau » pour proposer à ses confrères des sorties culturelles. Pour les Petites Affiches, elle revient sur la genèse et la raison d’être de cette association.

Les Petites Affiches

Comment est née Culture au barreau ?

Béatrice Cohen

J’ai eu l’idée de créer cette association il y a deux ans. Bien que nous soyons 28 000 avocats à Paris, le barreau ne proposait aucun service culture. Lorsque des événements sont organisés, ils sont toujours liés au monde du droit et se tiennent à la Maison du barreau ou à la bibliothèque de l’ordre, des lieux que nous connaissons bien. Tout cela est intéressant, mais ne nous permet pas de sortir de notre quotidien. Or, il y a moyen, si on s’en donne la peine, de proposer à Paris plein de sorties enrichissantes. À titre de comparaison, toutes les grandes entreprises ont un service culturel dédié ! Je viens du milieu de la culture puisque j’ai été violoncelliste avant d’être avocate. J’ai grandi dans un univers d’art et de spectacle, et j’ai déjà eu l’habitude d’organiser des festivals. L’idée de créer cette association s’est donc imposée de manière assez spontanée. J’ai tout de suite eu le soutien de Frédéric Sicard et Dominique Attias, qui étaient alors bâtonnier et vice-bâtonniers. Le projet a été accueilli favorablement par le conseil de l’ordre. Il ne restait plus qu’à créer l’association et rédiger les statuts pour que le projet prenne corps.

LPA

Que proposez-vous ?

B. C.

L’idée, c’est d’emmener le confrère en dehors du palais, de lui proposer des moments de récréation, des animations, qui ne soient pas en lien avec le palais. Et, par ce biais, de créer des liens, des synergies parmi les professionnels du droit. J’ai envie, avec cette associations, de créer une dynamique d’échange au sein du palais, qui est de plus en plus froid et dans lequel on manque de lieux de rencontre. L’association n’est pas uniquement réservée aux avocats : elle s’adresse à tout le personnel du palais, ainsi qu’aux étudiants, aux élèves avocats, ou aux auditeurs de justice. Nous voulons fédérer toutes les personnes qui travaillent dans cet ordre judiciaire, leur proposer un grand CE de la culture.

LPA

Comment fonctionne l’association ?

B. C.

Je m’en occupe avec l’aide d’une trésorière. Je suis seule à choisir les expositions ou événements, en fonction de ce qui me plaît : pas de critère dans l’art ! Je propose un à deux rendez-vous par mois. Pour le moment, nous n’avons pas de financement du barreau. Nous ne finançons les événements que par les adhésions.

LPA

Concrètement, quel type d’événements proposez-vous ?

B. C.

J’ai créé des partenariats avec diverses institutions culturelles, parmi lesquelles le théâtre de l’Odéon, l’Opéra de Paris ou le Point-Virgule, qui est une salle de stand up. Les adhérents à l’association bénéficient d’environ 30 % de réduction dans ces lieux. J’organise régulièrement des soirées privées dans des galeries. Il y a eu dernièrement une soirée à la galerie Taglialatella, dans le Marais, spécialisée dans le street art et le pop art. L’artiste était présent, il a pu présenter son œuvre en petit comité. J’ai également organisé un autre vernissage dans l’hôtel particulier « 6 Mandel », situé dans le XVIe arrondissement. Il s’agissait alors de la confrontation entre un artiste aborigène et un artiste contemporain. L’association a également proposé des pass VIP pour le salon de photographie contemporaine « Fotofever » en novembre dernier. Enfin, une à deux fois par mois, Culture au barreau organise des soirées littéraires en partenariat avec l’émission Boomerang, de France Inter. Elles ont lieu au Silencio, salle de concerts et d’expositions conçue par David Lynch. Le journaliste interviewe un auteur sur le dernier livre qu’il a sorti.

LPA

Vous avez dernièrement organisé une avant-première du film d’Antoine Raimbault, Une intime conviction

B. C.

Oui, tout à fait, et c’est un parfait contre-exemple de ce que je vous disais tout à l’heure, puisqu’il s’agissait là d’un film de procès ! Mais l’avantage, c’est qu’on a eu accès à la grande salle de la maison du barreau, qui se prête très bien à ce genre d’événement. Cela a permis également de nous faire connaître et booster l’association, car la soirée a attiré énormément de monde. Je vais néanmoins organiser bientôt d’autres avant-premières sur des films qui n’ont pas de lien avec le droit.

LPA

Il y avait ce soir-là beaucoup de monde. Rencontrez-vous le même succès lorsque vous proposez des événements plus éloignés du monde de la justice ?

B. C.

Non, mais il faut dire que je ne bénéficie pas du même soutien logistique. Pour l’avant-première du film Une intime conviction, le barreau m’a beaucoup aidé dans la communication, en diffusant l’information à tout le listing des avocats. Quand j’organise des événements, les invitations se font via mon listing perso. Je n’ai pas du tout la même force de frappe. Même si j’ai généralement moins de monde, les retours sont bons. Je sais notamment que les vernissages, plaisent beaucoup. Des échanges se créent avec les artistes et les galeristes. Les avocats, qui aiment se sentir privilégiés, apprécient cela.

LPA

Pourquoi est-ce important, pour des avocats, de s’intéresser au monde de la culture ?

B. C.

Tout le monde a besoin de se ménager des moments de récupération, les avocats comme le reste de la population ! C’est bien de laisser place à la fraîcheur, à l’imagination. Il faut parfois savoir se détacher pour prendre de la hauteur, mieux réfléchir ensuite à ce qui nous préoccupe et nous intéresse. Quand on va à l’opéra, on se déconnecte de nos angoisses du quotidien. C’est un bon équilibre. Chacun devrait avoir ces moments de respiration intellectuelle et culturelle. Il y a, d’autre part, des pièces de théâtre ou des expositions qui font réfléchir sur plein de sujets. Une exposition de Fred Kleinberg, artiste-peintre très engagé qui se rend régulièrement dans les camps de réfugiés, va ainsi dénoncer un fléau qui nous touche. De même, quand un metteur en scène s’empare d’un sujet comme le réchauffement climatique pour en faire une pièce. Tout cela nous nourrit, et bien sûr, on peut parfois trouver des liens avec certains domaines du droit, car tout peut être lié au juridique.

LPA

Vous avez un parcours peu banal. Pouvez-vous nous le présenter ?

B. C.

J’ai en effet été violoncelliste avant de débuter des études de droit. J’ai commencé le droit 4 ans après le BAC, après avoir fait le conservatoire. J’ai décidé de changer de voie pour diverses raisons. Les perspectives, pour une violoncelliste professionnelle, sont peu nombreuses. La carrière de soliste, alléchante, est réservée à un petit nombre d’élus. Nombre de musiciens travaillent dans un orchestre ou comme professeur, et aucune de ces deux voies ne m’intéressait. Je me suis donc inscrite dans un double cursus de droit et histoire de l’art à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), et me suis ensuite orientée en propriété intellectuelle. J’ai vécu un temps à Sydney pendant mes années à l’école d’avocat. J’y ai travaillé pour le « Art Law Center of Australia », un organisme d’État. Je m’intéressais à la question des artistes aborigènes, dont les droits ne sont pas toujours reconnus par le gouvernement. J’ai également travaillé un peu à l’opéra de Sydney. En rentrant, j’ai travaillé quelques temps comme collaboratrice avant de m’installer, il y a de cela six ans. J’ai depuis lors développé une jolie clientèle en propriété intellectuelle et en marché de l’art, et en droit pénal du marché de l’art.

LPA

En quoi consiste votre activité ?

B. C.

J’ai des activités de conseil pour des artistes ou des galeristes, et je fais aussi du contentieux, lorsque j’interviens pour des litiges entre artistes et galeries. J’ai également une activité pénale : je m’occupe d’affaires de faux et de contrefaçons d’œuvres d’art. Je suis sur un secteur de niche, mais qui touche à plein de domaines du droit : droit civil et droit commercial purs, mais aussi droit de la propriété intellectuelle ou du droit pénal. C’est toute la richesse de la matière.

LPA

Vous qui avez évolué longtemps dans un milieu artistique, comment vous êtes-vous faite à celui des juristes ?

B. C.

Je suis effectivement familière depuis toujours du milieu artistique, car mon père travaillait à l’Opéra et ma mère était antiquaire. Le monde du droit est évidemment différent de celui dans lequel j’ai grandi. Je constate néanmoins, dans ma pratique, qu’il y a bien des similitudes avec celui de la musique, notamment dans la plaidoirie. La concentration, la présence à l’instant qu’elle requiert, me rappellent mon expérience de musicienne. Quand on joue devant un public, il faut être complètement présent. Quand on plaide aussi, il faut écouter les autres, être aux aguets, savoir tout ce qui se passe dans la salle d’audience. Il faut également, comme en musique, être très préparé en amont, irréprochable techniquement. Ces deux mondes ne sont donc pas si étrangers qu’ils peuvent le paraître !

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