Poitiers : « ce palais est notre palais »
Jeudi 6 février, plusieurs avocats ont eu la désagréable surprise d’être bloqués à l’entrée du palais de justice de Poitiers par des vigiles. Nicolas Gillet, avocat à Poitiers, dénonce une atteinte au droit de grève ainsi qu’aux droits de la défense.
Actu-Juridique : Que s’est-il passé exactement jeudi au palais de justice de Poitiers ?
Nicolas Gillet : A la demande de notre Bâtonnier, nous étions plusieurs avocats à nous rendre à une audience de Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité car on nous avait prévenu que le Parquet allait s’opposer aux demandes de renvoi. Nous devions aussi aller à la chambre correctionnelle pour les mêmes raisons. Pour accéder au palais de justice, il faut d’abord franchir deux grilles, puis monter les marches et, une fois à l’intérieur, passer un contrôle confié à des vigiles. Il y a deux entrées au niveau des grilles, ouvertes en permanence et à tout le monde. Lorsque je suis arrivé au palais jeudi, une seule grille était ouverte et gardée par les vigiles qui effectuent en principe les contrôles en haut. Ils demandaient à deux de mes consoeurs pourquoi elles étaient là. Visiblement on leur avait donné la consigne de filtrer les entrées. La première a répondu qu’elle devait plaider un dossier et elle est passée. L’autre a expliqué qu’elle venait faire une démarche, j’ignore s’ils l’ont laissée entrer. Le vigile m’a posé aussi la question. J’ai simplement répondu ”je viens au Palais” et suis passé sans lui demander son autorisation. Il ne m’a d’ailleurs pas empêché de passer. Visiblement la consigne donnée était de ne laisser entrer au Palais que les avocats ayant un dossier à plaider et d’empêcher les autres de venir soutenir les demandes de renvoi pour cause de grève, notamment en CRPC. Une fois dans la salle d’audience, j’apprends qu’une dizaine de confrères environ sont bloqués à l’entrée par les vigiles. J’appelle donc mon Bâtonnier pour l’alerter, et je découvre qu’il fait partie des avocats à qui ils ont interdit l’accès, de même qu’une représentante du CNB. Je sors alors pour prendre des photos. Au bout d’environ un quart d’heure, le barrage a été levé. Un substitut nous a expliqué que les ordres destinés à filtrer l’accès au palais ne venaient pas du parquet de première instance. Nous n’en savons pas plus.
Actu-Juridique : Avez-vous obtenu finalement le renvoi des CRPC ?
NG. : Oui. Le parquet s’y opposait parce que le stock s’élève à 290 dossiers depuis le début de la grève. Mais finalement on a eu gain de cause, les dossiers ont été renvoyés à février 2021.
Actu-Juridique : Il y avait déjà eu des incidents à Poitiers avant ce jour ?
NG. : Oui, les médias en ont d’ailleurs parlé. Ce mardi, le Tribunal correctionnel a commencé par refuser les demandes de renvoi et jugé un prévenu en visioconférence dans des conditions très critiquables. Il n’avait pas d’avocat, semblait avoir des difficultés à comprendre le français et la visioconférence fonctionnait mal. Il a été condamné à 7 mois de prison. Face à la protestation d’un de nos confrères Aurélien Bourdier, un incident eu lieu. Le Bâtonnier est intervenu et finalement les autres dossiers ont été renvoyés. Il n’en demeure pas moins que le prévenu jugé en visio-conférence a été condamné dans de telles conditions. Les tensions sont surtout sensibles depuis le début de la semaine, pas au civil, mais au pénal et devant le tribunal de commerce. Il peut se comprendre que pour des affaires de procédures collectives où des délais peuvent expirer et/ou la situation d’entreprises justifient un placement en redressement ou en liquidation judiciaire urgents, les demandes de renvoi ne soient pas acceptées. Ce n’est toutefois pas le cas en ce qui concerne l’ensemble des affaires en matière de procédures collectives.Personnellement, j’ai senti une tension avec le Président du tribunal de commerce depuis la rentrée solennelle lors de laquelle il n’a pas apprécié le fait que nous montrions nos pancartes exprimant simplement notre opposition à la réforme des retraites visant les avocats.
Actu-Juridique : Etes-vous un barreau agité, les magistrats pouvaient-ils craindre des actions destinées à perturber les audiences ?
NG. : Nous sommes 300 au barreau de Poitiers et nous avons pour consigne de garder notre calme. On se limite donc à déposer des demandes de renvoi. Nous avons aussi organisé des petits-déjeuners de sensibilisation à l’intérieur du palais mais rien de plus. Surtout, nous entretenons de bonnes relations avec les magistrats et les greffiers. Les seules difficultés que nous rencontrons concernent le dialogue avec les chefs de cour. Nous les avons alertés sur un certain nombre de sujets en vain. Par exemple, la circulation au sein du palais, qui est presque aussi réduite qu’aux Batignolles. L’incident qui s’est produit aujourd’hui nous conforte dans l’idée que nous ne sommes plus chez nous au palais de justice. C’est un signe très inquiétant. Comme tous mes confrères de mon Barreau, j’estime que “l’incident” qui s’est produit aujourd’hui est inadmissible. Vouloir interdire à des avocats l’accès à leur maison constitue non seulement une atteinte aux droit de grève constitutionnellement protégé mais également une atteinte aux droits de la défense si nous avions voulu ou dû défendre en masse les prévenus convoqués ce jour. Ce palais est notre palais
Propos recueillis par Olivia Dufour
Référence : AJU64808