Jérôme Gavaudan : « Il y a un rétrécissement des valeurs de la République »
Le 19 janvier dernier, le président du Conseil national des barreaux (CNB), Jérôme Gavaudan, réunissait les journalistes afin de leur redire sa détermination à se poser en vigie des libertés fondamentales en 2022.
Jérôme Gavaudan sait parler aux journalistes. Pour leur souhaiter une bonne année, il leur a assuré qu’il se trouvait à leur côté pour lutter contre la désinformation et a souligné qu’il était frappé par la défiance dont ils font l’objet. « Ce n’est jamais sain de s’attaquer aux journalistes, c’est oublier qu’ils sont des acteurs fondamentaux de l’État de droit. Si besoin, nous vous soutiendrons, comme nous soutiendrons toujours les magistrats et le personnel de greffe qui dénoncent leurs conditions de travail complètement dégradées », a-t-il promis.
Les avocats et les journalistes ont, d’après le président du CNB, un ADN commun. Ces deux professions, fondamentales dans une démocratie, ont besoin de voir certains de leurs échanges protégés. « Dans le cadre de la loi Confiance, le secret professionnel a fait l’objet d’importants débats. Nous avons fait un parallèle avec le secret des sources chez les journalistes. Cela nous a servi à expliquer au législateur qu’il fallait absolument protéger les confidences qui nous sont faites en toute matière ».
Jérôme Gavaudan s’est montré inquiet quant à l’état de la démocratie française. « Il y a un rétrécissement des valeurs de la République. Des professions comme les nôtres doivent absolument être défendues », a-t-il estimé. Il est remonté à l’année 2020 durant laquelle la Chancellerie avait pris une décision permettant de prolonger, de manière automatique, la détention provisoire de 2 mois. Ce fut, d’après le président du CNB, « un réflexe liberticide, marqueur de la difficulté de la France à appliquer le droit en toute circonstance. Dans une démocratie, lorsqu’on ne peut pas présenter quelqu’un en détention à son juge, on le libère »…
L’année 2021 aura à nouveau vu les libertés fondamentales mises à l’épreuve. « Je me suis beaucoup exprimé sur le passe sanitaire pour rappeler les grands principes auxquels nous sommes attachés et constater qu’objectivement il y avait des dérives liées à l’application de l’état d’urgence sanitaire ». Le CNB est ainsi intervenu avant le vote de la loi sur le passe vaccinal. « Nous avons milité pour qu’une personne n’ayant pas un schéma vaccinal complet puisse se rendre en transports en commun chez un professionnel du droit ou à une audience. Il n’est pas normal que quelqu’un qui habite à Marseille et divorce à Paris ne puisse pas prendre un train pour se rendre devant le juge aux affaires familiales. Cela montre bien que certaines situation n’ont pas été prises en compte ».
Le président du CNB a explicité son soutien aux magistrats. « Cela fait plusieurs années que je les encourageais à mettre en lumière les conditions déplorables dans lesquelles ils exercent. Certains avocats m’ont interpellé : pourquoi défendre les magistrats alors qu’eux ne le font pas systématiquement ? J’estime que la famille judiciaire doit être soudée. Une justice mal rendue par des magistrats qui ne sont pas en capacité de bien faire leur travail cause un préjudice aux justiciables et aux avocats » !
Au sujet des relations entre les magistrats et les avocats, le président du CNB a précisé qu’un comité consultatif conjoint de déontologie avait été créé à la Cour de cassation. La finalité de ce comité est notamment « d’émettre des avis consultatifs, sans valeur normative, portant sur des difficultés d’identification, d’interprétation et d’application des questions déontologiques relatives à la relation magistrats-avocats » ou encore de mettre en place « un guide de bonnes pratiques en matière de déontologie et d’éthique des relations professionnelles (entre les deux professions) ». Du travail reste à faire. Il s’est désolé que la Cour de cassation valide les pratiques de certains juges d’instruction qui font une interprétation très stricte de l’article 115 du Code de procédure pénale et qui refusent de délivrer des permis de communiquer aux collaborateurs des avocats désignés. « C’est un mauvais signal. Cela complique l’activité des cabinets. Si les magistrats de la Cour de cassation souhaitent que les droits de la défense soient pleinement exercés, ils doivent les fluidifier », a-t-il souligné. Le président a d’ailleurs rappelé que la Cour européenne des droits de l’Homme considère que la France est trop restrictive quant aux droits de la défense.
En 2022, le CNB entend être présent dans la campagne présidentielle. « Sur tout l’échiquier politique, des candidats disent qu’il faut sortir d’un schéma européen en matière de droits de l’Homme, ce qui est un scandale », a rappelé Jérôme Gavaudan. « Nous apporterons notre expertise en lien avec toutes les professions du droit sur divers chantiers, tels que le pacte européen sur l’asile et l’immigration, la gouvernance durable des entreprises, l’harmonisation du droit européen des affaires », a-t-il précisé. Le 4 janvier dernier, le CNB a d’ailleurs ouvert une consultation citoyenne sur le thème de l’injustice. 5 551 personnes y ont participé et 275 propositions ainsi que plus de 20 000 votes ont déjà été enregistrés. Cette consultation s’est poursuivie jusqu’au 20 février.
Référence : AJU003o0