30 ans du CNB

Jérôme Gavaudan : « La création du CNB a renforcé notre profession »

Publié le 24/05/2022

En 1992, le Conseil national des barreaux (CNB) voyait le jour. Représentation de la profession d’avocat, unification des règles et usages de la profession d’avocat, formation professionnelle, organisation de l’accès au barreau français des avocats étrangers… Autant de missions que le Conseil endosse et qui ont modifié le visage d’une profession autrefois polarisée. Jérôme Gavaudan, son président, revient sur les 30 ans de son organisation.

Actu-Juridique : Qu’est-ce que la création du CNB a apporté à la profession ?

Jérôme Gavaudan : L’objectif du CNB était de constituer une institution nationale qui porte de manière efficace la parole des avocats de France. Le point essentiel à retenir, c’est que les pouvoirs publics ont désormais face à eux une profession unie et un interlocuteur unique en capacité technique et politique de parler à l’ensemble de la profession dans toutes ses composantes. Ces cinq dernières années, le phénomène s’est vraiment intensifié.

Actu-Juridique : Pourquoi cela a-t-il mis autant de temps ?

Jérôme Gavaudan : La progression n’a pas été si lente. Ce temps était nécessaire car l’institution est jeune, comparée à une profession d’avocat qui est beaucoup plus ancienne. Elle est structurée telle qu’elle est aujourd’hui par son ancrage dans l’Ancien Régime et son organisation autour des ordres. Et les ordres sont anciens. À l’aune de 1810 (au moment de leur rétablissement après la Révolution française, NDLR), 1990 c’est loin ! On pourrait le voir comme une progression lente mais en seulement 25 ou 30 ans, le CNB a su s’imposer comme l’organe représentatif de la profession. Disons que ces dernières années, nous avons récolté pleinement le travail mené depuis 1992, année où le 1er CNB a effectivement été installé.

Actu-Juridique : A-t-il immédiatement fait consensus ?

Jérôme Gavaudan : Il y a eu – pas au tout début – mais au cours de son existence, des points d’incompréhension à propos du CNB, des crises politiques, des tensions… Certains confrères ont pu ne pas s’y retrouver ou des tensions avec la Conférence des bâtonniers ou le barreau de Paris ont pu voir le jour, mais ce temps-là est, je crois, aboli. Quelque chose s’est passé aussi avec la présidence de Christiane Féral-Schuhl, qui a considéré qu’il n’était pas sain que ces institutions soient en concurrence. Et je peux dire que je l’ai vécu de l’intérieur car à ce moment-là j’étais président de la Conférence des bâtonniers. Au final, nous avons réussi à montrer que le barreau de Paris ou la Conférence étaient nécessaires mais que le CNB était l’institution nationale et qu’il n’y en a qu’une ! Une fois qu’on a constaté que l’organe représentatif de la profession dans toutes ses composantes est le CNB, les choses sont plus simples et les débats ont lieu en son sein. Et chacun y a sa place, les ordres de Paris, de province, les syndicats. Cette alchimie du CNB est très représentative de la profession, dans ses caractéristiques de confrères (type de structure, de clientèle, d’exercice…) mais aussi dans le maillage territorial.

Actu-Juridique : Justement, en termes de territorialité, comment faire le lien avec province, territoires ultramarins alors que la profession est très largement parisienne ?

Jérôme Gavaudan : Ces questions de territorialité ont toujours existé. Mais c’est plus une question de métropoles qu’une question Paris/Province. On a constaté que dans nos études, l’accès au droit est plus simple dans les métropoles que dans les régions où il y a moins de villes métropolitaines. À Paris, il y a une concentration où l’accès au droit est plus facile, mais on s’aperçoit qu’à Toulouse, à Marseille, c’est la même chose. Il n’y a pas de vraie fracture Paris/Province.

Actu-Juridique : Finalement, comment résumer ce qu’a réussi à accomplir le CNB, notamment en termes d’unification ?

Jérôme Gavaudan : Le CNB a rempli sa mission. Sur l’unification des règles de la profession avocats, son rôle est quand même très réussi quand on pense qu’avant 1998, il existait des règlements intérieurs différents. C’est une avancée qui nous a permis d’avoir un organe de régulation nationale. Cela se traduit dans les discussions avec la Chancellerie sur les textes de la profession. Il y a une vraie efficacité et agilité du CNB.

Aujourd’hui, comment ferait-on sans le CNB ? J’en prends pour preuve l’exemple de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, qui comprend notamment une réforme de la discipline. Le CNB se retrouve en discussion avec la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) dans un processus d’élaboration des nouvelles règles disciplinaires. Et nous participons fortement à la rédaction des décrets d’application de la loi confiance.

Actu-Juridique : Vous insistez aussi sur le volet formation. En quoi est-il essentiel ?

Jérôme Gavaudan : Le décret du 27 novembre 1991 a institué la commission de la formation professionnelle du CNB. Cette dernière met en œuvre les missions du CNB en matière de formation, comme définir les principes d’organisation de la formation des élèves avocats et en harmoniser les programmes ; définir les modalités selon lesquelles s’accomplit la formation continue des avocats et coordonner et contrôler les actions de formation des écoles d’avocats… Ces deux premières missions trouvent leur traduction dans l’adoption de décisions à caractère normatif.

En formation initiale, il s’agit de la décision définissant les principes d’organisation et harmonisant les programmes de la formation des élèves avocats (dernière version date du 11 septembre 2020). Cette décision vise à renforcer les principes d’organisation de la formation (sur l’alternance, conformément au vœu des États généraux de l’avenir de la profession d’avocat, le contrôle continu, la qualification et la formation des formateurs), à réviser les volumes horaires, à mettre à jour les thématiques enseignées et à tenir compte du développement des cliniques juridiques (conformément, là encore, au vœu des États généraux de l’avenir de la profession d’avocat, ce point ayant fait l’objet d’un rapport détaillé distinct). La commission Formation examine chaque année les programmes de formation initiale de chaque école et formule des observations auxquelles les écoles se conforment.

En formation continue, il s’agit de la décision déterminant les modalités d’application de la formation continue des avocats, dont la dernière version date du 20 juillet 2018. Les principales modifications concernaient le fait de prévoir, pour une meilleure lisibilité des règles, un article reprenant toutes les modalités de mise en œuvre communes à toutes les formations, quel que soit l’organisme qui la dispense ; de préciser que les formations dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle (CRFPA) doivent l’être dans l’ensemble des barreaux de leur ressort ; d’actualiser la disposition sur la reconnaissance mutuelle des heures de formation continue avec d’autres États ; d’actualiser les dispositions sur l’homologation des formations par le CNB.

Chaque année, la commission Formation examine les comptes rendus d’activité de chaque école, des observations sont formulées et elles impactent le financement en matière de formation continue (financer les écoles d’avocats, proposer leur siège et leur ressort ou encore déterminer les conditions générales d’obtention des mentions de spécialisation, et en proposer la liste…).

Actu-Juridique : Quelles sont les plus grandes avancées du CNB dans ce domaine depuis 30 ans ?

Jérôme Gavaudan : Le CNB révise ses décisions à caractère normatif à l’aune des évolutions du droit, des innovations pédagogiques et des résultats de son contrôle des actions de formation des écoles d’avocats. En formation initiale, deux décisions normatives ont été adoptées, et trois en formation continue. La commission Formation et les écoles d’avocats se réunissent tous les trois mois dans un souci d’amélioration continue.

Une fois par mandature, le CNB organise également un Forum de la formation à l’occasion duquel les professionnels intervenants dans la formation des avocats échangent sur les bonnes pratiques en matière de formation. En 2022, il s’agira de la 5e édition du Forum. Le CNB organise également des formations de formateurs. Enfin chaque année, le CNB adresse au garde des Sceaux un rapport sur l’activité des écoles d’avocats en formation initiale et en formation continue.

Actu-Juridique : Avant le CNB, peut-on dire de la profession qu’elle était polarisée ?

Jérôme Gavaudan : On peut dire que nous nous affaiblissions énormément, car la profession était composée d’autant de villages gaulois qui n’avaient qu’une vision très locale sur la situation des avocats. Cela se traduisait aussi par un affaiblissement économique pour la profession. Mais ce temps-là est derrière nous, grâce à l’instauration de règles uniformisées à l’échelle nationale, concernant la confraternité, les règles communes à l’ensemble des avocats dans leur activité professionnelle, leur installation, les usages internes à la profession… Enfin, politiquement, nous étions également très affaiblis. Cette unité était nécessaire, mais cela impliqué des efforts. Le CNB a joué son rôle aux fins d’harmoniser les règles déontologiques de la profession et il est désormais institutionnellement le seul à représenter l’ensemble des avocats de France. C’est une grande force pour les avocats de France de se retrouver au sein d’une institution chargée de les représenter tous. C’est bien au CNB que la synthèse doit se faire et c’est bien pour cela que notre assemblée générale délibérante constitue un moment important car c’est dans cette arène que nous délibérons sur les sujets essentiels de la profession.

J’y vois aussi un signe de maturité, comme ce fut le cas dans le cadre de la loi Confiance, où beaucoup de nos propositions ont été reprises par la Chancellerie.

Sur le secret professionnel, sujet sur lequel nous aurions pu nous diviser, il est apparu après de longs débats que nous portions très majoritairement la position de demande de retrait du texte. Les positions des groupes du CNB étaient loin d’être uniformes sur ce sujet.

C’était un débat technique mais pour nous il s’agissait d’un débat ontologique sur notre conception du secret professionnel. Ce qui nous unissait était plus fort que ce qui pouvait nous diviser. L’Ordre des avocats du barreau de Paris, la Conférence des bâtonniers, et le collège général ont débattu, l’assemblée a voté, elle a estimé à 65 % qu’il fallait demander solennellement à la Chancellerie de retirer les modifications de texte qui faisaient suite à la position adoptée initialement par l’Assemblé nationale et j’ai porté, comme président, la position de l’assemblée. Une fois que nous en avons délibéré, nous nous sommes tous rangés derrière la positon qui avait été adoptée.

Actu-Juridique : Avez-vous des sujets d’inquiétudes en particulier ?

Jérôme Gavaudan : Sur ce quinquennat, et même avant dans les dix dernières années, nous avons été témoins de nombreux signaux de recul des libertés individuelles, allant d’états d’urgence en état d’urgence, terroriste, sanitaire, etc. Les libertés individuelles sont donc allées en diminuant. Le seul point positif, c’est la loi confiance que le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti a su porter, comprenant notamment des avancées procédurales en matière pénale (sur la durée de l’enquête préliminaire, les appels devant la cour, la perquisition d’un cabinet d’avocat ou du domicile d’un avocat qui doit désormais être autorisée par décision écrite et motivée du juge des libertés et de la détention …). Certes, la profession a dit que ce n’était pas assez, mais au moins il y a eu quelque chose.

Pour nous, avocats, qui constatons avec regret une société atone qui ne réagit pas assez, nous avons vu quelques étincelles positives.

Actu-Juridique : Avez-vous déjà reçu des avocats ukrainiens ? Car vous avez soutenu le peuple ukrainien lors du Printemps des avocats.

Jérôme Gavaudan : Pour l’instant nous n’avons pas accueilli de confrères ukrainiens, mais l’expérience afghane qui a fonctionné nous permet d’être prêts au cas où. Nous sommes en lien avec le quai d’Orsay, qui a déjà identifié les avocats potentiels. Nous invitons les avocats ukrainiens qui souhaiteraient exercer en France dès leur arrivée de contacter le CNB pour devenir consultant juridique étranger.

Symboliquement, nous avons réussi à exfiltrer le bâtonnier d’Afghanistan et nous venons d’obtenir pour lui un titre de séjour. Nous avons également créé un fonds de dotation pour les avocats, faisant appel à leur générosité. Nous sommes présents à leurs côtés. Tout cela s’est fait dans l’émotion. Mon rôle est de pérenniser ces actions. Nous sommes en lien avec le barreau ukrainien, qui est plutôt dans l’optique « Aidez-vous à rester sur place ». Et concernant les liens avec les barreaux russes, cela nous pose également des questions : quelles relations conserver ? Comment se sont-ils positionnés par rapport à l’opération militaire ? Si oui, à quelles conditions doit-on continuer d’accueillir des avocats russes ? Est-on sur l’application du droit international ou l’accueil de réfugiés y compris s’ils sont avocats ?

Sous le coup de la solidarité, de nombreux barreaux ont lancé des initiatives. À ce titre, le CNB ne cherche pas à se substituer aux ordres locaux : cela fait partie de sa souplesse et de son agilité.

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