Julien Sacre : « Exercer ce métier, c’est faire face à l’injustice tous les jours » !

Publié le 13/11/2023

Avocat pénaliste, Julien Sacre a prêté serment à Paris en décembre 2014. Après avoir travaillé au sein de cabinets d’affaires réputés, à Paris et à l’étranger, il fonde son cabinet en septembre 2016. En 2017, il est élu secrétaire de la Conférence. Installé à Houilles (78), où il travaille seul, il vient tout juste d’ouvrir un second bureau à Versailles. Rencontre.

Actu-Juridique : Vous exercez exclusivement en droit pénal. Pourquoi ce choix ?

Julien Sacre : Je me suis d’abord spécialisé dans le droit des affaires et la fiscalité pendant mes études et j’ai réalisé l’intégralité de mes stages dans les départements droit des sociétés/fusions-acquisitions des cabinets dans lesquels j’ai travaillé. Une fois avocat, j’ai intégré un cabinet d’affaires parisien pour y pratiquer le droit des sociétés et la fiscalité. En réalité, l’idée d’exercer le droit pénal a commencé à germer lorsque j’étais élève-avocat à l’HEDAC, l’école des avocats de Versailles. J’avais eu l’opportunité de participer au concours Albert-Joly, qui est un concours d’éloquence destiné aux élèves-avocats. J’avais trouvé l’exercice fascinant, extrêmement enrichissant et j’avais même fini parmi les lauréats du concours. À cette occasion, je me suis rendu compte du pouvoir du discours et de la plaidoirie. Toutefois, un an après avoir intégré ma première collaboration, compte tenu de la nature de mon activité – le conseil –, je n’avais toujours pas eu ni l’opportunité de mettre les pieds au palais de justice ni, encore moins, d’y plaider une quelconque affaire. Très clairement, quelque chose me manquait. C’est pour cela qu’en 2016 j’ai décidé de m’installer à mon compte et de consacrer mon activité au droit pénal, matière dans laquelle, par excellence, la plaidoirie est fondamentale. Aujourd’hui, je pratique donc exclusivement ce droit, particulièrement le droit pénal des affaires. Je suis totalement passionné par ce métier et je ne me vois pas faire autre chose. Car c’est un métier qui, tous les jours, vous amène à vous interroger sur la nature humaine.

AJ : Vous disposez de deux bureaux, l’un à Houilles et l’autre à Versailles depuis août 2023 ? Pourquoi ces deux villes ?

Julien Sacre : À l’époque où j’ai créé mon cabinet, j’habitais à Houilles. J’y ai de nombreuses relations et des contacts. J’ai donc commencé avec une clientèle de proximité. Puis mon activité s’est développée, notamment grâce à la Conférence (élu secrétaire en 2017 avec un mandat en 2018, NDLR), et j’ai donc décidé d’ouvrir un bureau secondaire à Versailles pour être plus proche de ma clientèle versaillaise et du tribunal.

AJ : Qu’est-ce qui vous occupe en ce moment ?

Julien Sacre : En droit pénal des affaires, des dossiers de blanchiment, d’escroquerie, des abus de biens sociaux… En droit pénal général, je viens par exemple d’être désigné pour une tentative de meurtre. C’est très varié. Dans la très grande majorité des cas, j’interviens en défense.

AJ : Vous êtes membre de la commission pénale du barreau de Versailles. Quels sont les travaux en cours ?

Julien Sacre : Nous sommes notamment en train de mettre en place une formation relative à la cour d’assises, qui sera dispensée par des confrères de Versailles. Cela fait un certain temps qu’il n’y en a pas eu. L’idée est de permettre à davantage d’avocats de prétendre aux commissions d’office en matière criminelle.

AJ : Des affaires vous ont-elles marqué ?

Julien Sacre : Il y a des affaires qui marquent durablement. Je me souviens notamment d’un client qui avait été condamné à deux ans d’emprisonnement et avait passé quatre mois en prison pour des faits de tentative de vol avec violence qu’il n’avait pas commis. En l’espèce, la victime indiquait l’avoir reconnu comme étant son agresseur, d’abord sur une planche photographique, puis derrière une vitre sans tain et, enfin, à l’audience. Je suis intervenu pour lui en appel. Nous avons fini par obtenir sa libération dans un premier temps, puis sa relaxe devant la cour et, enfin, une indemnisation importante compte tenu de la détention injuste dont il a fait l’objet. Sans entrer dans les détails, j’ai été confronté, à l’occasion de ce dossier, à des dysfonctionnements flagrants de la justice pénale : des prémices de l’enquête à l’audience devant la cour.

AJ : Vous semblez désabusé…

Julien Sacre : Il suffit de constater le nombre de personnes en détention provisoire et innocentées par la suite. Récemment, un client qui clamait son innocence a été placé en détention provisoire et y a été maintenu pendant un an parce qu’on avait trouvé une trace de son ADN dans un paquet contenant des billets supposément issus d’un trafic de stupéfiants. Il résultait de la procédure qu’il ne pouvait avoir participé aux faits de blanchiment qu’on lui reprochait. Il a heureusement fini par être relaxé. Mais, une fois sorti de prison, il avait tout perdu : au-delà de sa liberté, il avait perdu son logement – il a fait l’objet d’une procédure d’expulsion car pendant sa détention, évidemment, il n’a pu payer son loyer –, sa santé s’est dégradée au point de devoir être opéré – chose qu’il ne peut pas faire, ayant perdu le bénéfice de sa mutuelle. Enfin, n’ayant toujours pas été opéré, il se trouve dans l’impossibilité de reprendre son travail. Certes, nous allons solliciter la réparation de son préjudice, mais l’indemnisation n’interviendra que dans de nombreux mois. Entretemps, que lui dit-on, à ce monsieur ? « Oups ! Pardon, on s’est trompé » ? L’indemnisation financière ne répare jamais tout. Exercer ce métier, c’est faire face à l’injustice tous les jours ! Bizarrement, les échecs sont toujours plus douloureux que les victoires n’apportent de satisfaction.

AJ : Est-ce que vous trouvez difficile, d’un point de vue personnel, de travailler sur des affaires criminelles ?

Julien Sacre : C’est surtout beaucoup de travail, qu’il s’agisse d’affaires criminelles ou correctionnelles. À l’approche d’échéances importantes, c’est-à-dire d’audiences à enjeux cruciaux, je suis assez obnubilé : je ne pense qu’à ça. Mais je ne pense pas que ce soit un problème. C’est un métier exigeant.

AJ : En parallèle de votre métier, vous avez participé à ArtY’culez, un concours d’éloquence du département des Yvelines, en tant que coach. En quoi consistait votre rôle ?

Julien Sacre : En 2021, j’ai été contacté par le territoire d’action départementale Seine Aval – un service du département des Yvelines – qui m’a sollicité quant à ce projet de création d’un concours d’éloquence à destination des publics en voie d’insertion, notamment professionnelle. J’ai évidemment trouvé que c’était une excellente idée. Pour ma part, je dispense, depuis deux ans, un atelier de rhétorique dont le but est de donner aux participants les rudiments de construction et d’écriture du discours.

AJ : Pourquoi est-ce important de maîtriser l’art du discours ?

Julien Sacre : C’est par la parole que l’on convainc dans une société démocratique. Au-delà des tribunaux et de la politique, la rhétorique a vocation à se pratiquer à bien des occasions : un discours lors d’un mariage, un entretien d’embauche, la négociation d’un contrat… L’idée est de permettre aux candidats d’acquérir un certain nombre de techniques mais surtout de les aider à prendre confiance en eux. Le but n’est pas de leur apprendre à ne pas avoir peur (on a toujours un peu peur de prendre la parole en public), mais de les inciter à foncer malgré la peur ! Ce concours participe d’une forme d’émancipation.

AJ : Conseilleriez-vous des plaidoiries à lire ?

Julien Sacre : Le texte écrit ne traduit jamais assez ce qui se dégage d’une plaidoirie. J’estime qu’une plaidoirie, ça s’entend et ça se voit. Toutefois, il est toujours intéressant de lire les plaidoiries prononcées par d’illustres confrères lors de procès historiques. Je pense par exemple à celle de Jacques Isorni lors du procès de Philippe Pétain ou de Vincent de Moro-Giafferri lors du procès Landru.

AJ : Qu’est-ce qu’une bonne plaidoirie ?

Julien Sacre : Juninho Pernambucano, un ancien joueur de l’Olympique Lyonnais et certainement le meilleur tireur de coups francs de l’histoire du football, s’était un jour vu poser la question de savoir à quoi correspondait le coup franc parfait. Il répondit : « C’est quand il y a but ! » Je pense qu’en matière de plaidoirie, c’est un peu la même chose : ce qui compte, c’est que la plaidoirie atteigne son objectif. À mon sens, une plaidoirie bien boursouflée, bien ampoulée, parfaite sur le plan esthétique mais qui n’atteint pas son (ou ses) objectif(s) peut difficilement être considérée comme une bonne plaidoirie. Je précise que l’objectif de la plaidoirie n’est pas uniquement ou nécessairement d’emporter la conviction du juge. L’enjeu pour le client se situe parfois au-delà de la décision prise in fine par les magistrats – par exemple, le rétablissement de son honneur ou de sa dignité. Parfois, c’est même l’opinion qu’il s’agit de convaincre. Je pense à Jacques Vergès défendant Djamila Bouhired. Les véritables destinataires de la plaidoirie ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

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