« La médiation va exploser »
Christian Lefebvre a été nommé notaire en 1976. Ayant exercé au sein d’une société de notaires jusqu’en 2018, il a également siégé au conseil de prud’hommes de Paris pendant 18 ans et a co-fondé le syndicat des notaires de France. Il a également exercé d’autres fonctions dirigeantes en administrant la Caisse de retraite de prévoyance des clercs et employés de notaires, en assurant la présidence du Congrès des notaires de France en 2007, ou lors de son mandat à la tête de la Chambre des notaires de Paris (2010-2012). Il a pris désormais la fonction de médiateur de la consommation de la profession notariale et c’est en tant que tel que ce partisan convaincu de la médiation a partagé ses réflexions sur la nouvelle tâche qui lui incombe, le rôle de la médiation à la consommation (lors d’un conflit entre un notaire et un client), ou sur la médiation conventionnelle qui a définitivement le vent en poupe.
Les Petites Affiches
Pourquoi la création d’un médiateur du notariat ?
Christian Lefebvre
Avec l’instauration du médiateur du notariat, la profession répond à une prescription réglementaire, puisque une directive européenne de 2013 instaure le fait que chaque consommateur doit pouvoir, lorsqu’il est en litige avec un professionnel, bénéficier d’une possibilité de médiation, indépendamment de tous les autres recours qui existent déjà. Le notariat, en tant que branche professionnelle, ne souhaitait pas se rapprocher du médiateur d’une autre branche professionnelle, et a donc décidé — d’après des dispositions rentrées en vigueur en France en 2015 —, de créer cette fonction de médiateur du notariat en son sein. Cette procédure a pris un certain temps, réalisée sous le contrôle de Bercy par le canal d’une commission spéciale, la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (CECMC), qui dépend de la DGCCRF. Une fois que le médiateur est référencé par cette commission comme médiateur de la consommation, il l’est au niveau français et européen. Cette décision est intervenue le 16 février dernier et si nous avons décidé de ne le médiatiser que deux mois après, c’est qu’il était nécessaire d’informer les notaires de l’existence de ce processus, qui n’est pas sans conséquence sur le traitement quotidien de leur activité. Les notaires savaient que cela était en cours, des articles étaient déjà parus. Il n’y a pas eu avec la profession de discussion particulière, si ce n’est que la profession est directement concernée, car elle doit fournir au médiateur les moyens de sa mission : à savoir des locaux, du personnel qui doit s’adapter au fur et à mesure à la charge de travail, et un budget qui lui permet de fonctionner. C’est une obligation réglementaire, mais également conventionnelle, puisque j’ai signé avec la profession une convention par laquelle elle s’oblige à garantir mon indépendance, et à me donner les moyens de travailler.
LPA
Concrètement, qu’est-ce que la création de ce médiateur va changer pour les notaires ?
C.L.
Jusqu’à présent, lorsqu’un client était en conflit avec un notaire, il avait trois possibilités. Soit faire une réclamation à la Chambre des notaires, soit faire une réclamation directement entre les mains du procureur de la République, soit assigner directement le notaire en responsabilité civile ou professionnelle. Ces trois possibilités subsistent, mais une quatrième vient s’y ajouter avec la possibilité de demander une médiation au médiateur du notariat. À cet effet, la plate-forme que nous avons créée (https://mediateur-notariat.notaires.fr/) donne des explications au public sur ce qu’est la médiation, ce qu’est la médiation de la consommation, et ce qu’est la médiation de la consommation notariale. La saisine par internet va ainsi être favorisée, mais cela n’empêche pas un client en conflit avec le notaire d’écrire une lettre au médiateur pour le saisir. Sur le site, un dossier de saisine peut être imprimé et écrit à la main. Sa structure, son contenu ont été agréés par la CECMC. En matière de justice, la dématérialisation est prescrite, et Nicole Belloubet nous a fait savoir, que pour notre activité, les relations avec les juridictions, plus ce sera dématérialisé mieux ça vaudra. Cela facilite considérablement les échanges. Dans cette veine, la médiation de la consommation ne se fera pas, sauf cas exceptionnel, par la rencontre physique entre le médiateur et les parties concernées, elle se fera sur dossier. Depuis le communiqué de presse du 16 avril, j’ai déjà eu cinq demandes de médiation. À chaque fois qu’un client estime que dans sa relation avec le notaire, il a été lésé, injustement traité et que cela mérite une mise au point, on est dans le cas d’une possibilité de médiation. Mais il y a une différence entre la simple réclamation et la demande de médiation. Le client qui se plaint que le notaire ne lui a pas répondu à des demandes écrites ne correspond pas à une demande de médiation. Dans ce genre de cas, il s’agit d’une réclamation qu’il a tout intérêt à formuler auprès du président de la Chambre des notaires. La demande de médiation est justifiée quand des intérêts sont en jeu, qui peuvent faire l’objet d’une réparation éventuellement pécunière. Ce que nous proposons est à la charnière de la médiation et de la conciliation, puisqu’à l’issue du processus, le médiateur du notariat va faire une proposition de médiation. Pour résumer, il y aura essentiellement demande de médiation lorsqu’un client cherchera réparation ou lorsqu’il y aura une discussion sur des honoraires. Mais il existe une situation exclue de la médiation, c’est lorsque la demande n’est pas indemnitaire, mais purement déontologique. Si c’est le cas, elle va aboutir à une sanction disciplinaire, et non pas une sanction pécuniaire. Un notaire a mal agi, n’a pas respecté les règles de la profession, il mérite une suspension, un rappel à l’ordre : cela ne relève pas du médiateur qui n’a évidemment aucun pouvoir décisionnaire. Le pouvoir disciplinaire appartient à la Chambre des notaires puis au tribunal de grande instance.
LPA
Pouvez-vous détailler le déroulement de la procédure ?
C.L.
Prenons l’exemple d’un client mécontent d’un notaire. Il va écrire au notaire. Si le notaire lui donne satisfaction, l’affaire est close. Si le notaire ne lui donne pas satisfaction dans sa réponse, ou ne lui répond pas, le client va pouvoir saisir le médiateur du notariat. Ce dernier va disposer de cinq jours pour vérifier la validité de la demande, car il existe certains cas dans lesquels la demande n’est pas valide : la réclamation remonte à plus d’un an, le client est déjà en procès avec le notaire, la réclamation n’entre pas dans le domaine géré par le médiateur, la demande est totalement infondée… Le médiateur informe donc son client dans les cinq jours que sa demande n’est pas valide, ou au contraire qu’elle est valide. Il en informe également le notaire. Le notaire dispose de trois semaines, depuis la demande faite au médiateur, pour faire savoir s’il accepte ou non d’entrer en médiation. Entre-temps, il aura consulté son assureur en responsabilité civile ou professionnelle, afin de vérifier s’il est couvert ou non des conséquences de la médiation. Si le notaire accepte la médiation, le médiateur dispose d’un délai de trois mois, depuis la demande de médiation, pour effectuer une proposition de médiation au client et au notaire. L’un et l’autre peuvent refuser cette proposition de médiation. Un défaut de réponse dans les 15 jours de la proposition de médiation vaut refus de la médiation. À ce moment-là, le client a la possibilité d’aller devant la chambre ou devant le procureur. Le client ne perd pas ses autres options de recours. C’est un processus totalement confidentiel, gratuit, puisque financé par la profession, pour le client et pour le notaire.
LPA
Quels espoirs cela suscite-t-il ?
C.L.
Dans la médiation conventionnelle, qui n’a rien à voir avec cette procédure, deux personnes choisissent un notaire comme médiateur, et quand les deux parties acceptent de rentrer en médiation, on obtient un taux de réussite de 75 %. C’est un processus d’accouchement ; le médiateur fait se rencontrer des gens qui ne se parlaient plus, les fait s’expliquer, leur fait échafauder ensemble une multitude de possibilités, et tente de leur faire trouver elles-mêmes une solution à leur litige. Ici, c’est un peu différent, puisque le médiateur va analyser une situation, et va, objectivement, en équité, proposer quelque chose et en toute indépendance. Mais on peut considérer que c’est vertueux pour la profession, car elle veut être transparente. À ce sujet-là, le médiateur doit établir un rapport tous les ans, fournissant un certain nombre d’éléments statistiques.
LPA
Dans quel état d’esprit embrassez-vous cette nouvelle fonction ?
C.L.
Je suis sensible au fait que la profession m’a confié cette mission, d’une part, ainsi que d’avoir été référencé par la CECMC. J’aborde cette mission avec détermination de réussir, avec les critères qui sont imposés au médiateur : l’indépendance, la confidentialité, l’équité. Cette indépendance s’impose vis-à-vis du client comme de la profession. Mais être notaire me permet d’apprécier plus qu’un autre la nature du litige qui peut opposer un client à un notaire. En revanche, cela ne porte pas du tout atteinte à l’indépendance du médiateur. Nous n’allons pas faire de l’entre-soi, nous allons faire des propositions objectives sur des situations qui nous sont adressées sur dossier, et nous complèterons les demandes de renseignement autant que possible pour se faire un avis objectif de la situation et faire une proposition de médiation juste.
LPA
Pourquoi vous intéressez-vous particulièrement à la médiation ?
C. L.
Cela remonte à loin, parce qu’au début de mon exercice, pendant 18 ans, j’ai été conseiller prud’hommal, au conseil des prudhommes de Paris. J’y ai été président d’audience pendant 10 ans. En matière prudhommale, avant d’entrer en phase de jugement, il y a une phase de conciliation. Je me suis rendu compte qu’avec notre formation, notre éthique, notre ADN de notaires, lorsque nous pressentions une possibilité de conciliation, nous y allions et nous essayions vraiment de réussir les conciliations, alors que d’autres professionnels — sans jugement de valeur — ne cherchaient pas autant à le faire. Par ailleurs, en tant que président de la Chambre des notaires de Paris, en 2010, j’avais un premier vice-président qui avait lui aussi été vingt ans conseiller aux prud’hommes. Nous avons donc conçu à ce moment-là, où se développait vraiment publiquement la médiation et la déjudiciarisation, un centre de médiation notariale, qui a été le premier centre monoprofessionel de médiation notariale. Depuis, dix-huit centres ont été créés à son image. Je suis entré dans la médiation, qui inclut beaucoup de relations avec les magistrats : ils apprécient beaucoup la médiation notariale. Avec le Conseil supérieur du notariat, des choses intéressantes, notamment la médiation délocalisée de la mésentente entre notaires associés, ont été créées.
LPA
Vous croyez beaucoup à la médiation conventionnelle…
C.L.
La médiation est dans l’air du temps et va exploser. Dans le projet de loi Justice, les deux premières pages ne parlent que de ça. Il existe également des raisons sociologiques : les citoyens veulent se réapproprier leurs conflits, leur avenir, les procédures. Les vertus de la médiation sont incomparables face au manque de vertus d’un procès ; le processus de déjudiciarisation est encouragé par l’État. C’est inéluctable, et cela existe beaucoup plus dans les pays anglo-saxons. Il n’y a pas un discours du garde des Sceaux ou des chefs de cour dans les rentrées de début d’année qui ne parlent de médiation. Les magistrats sont demandeurs, à condition de ne pas les déposséder de leurs procès. Et c’est pour cela qu’on fait des conventions avec les juridictions pour que les magistrats puissent avoir connaissance du suivi, non pas du contenu de la médiation qui est totalement confidentiel, mais de son déroulement.
LPA
Comment doivent se placer les notaires ?
C.L.
Les notaires français doivent y être ! Cela correspond tout à fait à notre formation, déontologie, à notre éthique, à notre ADN, notre manière de faire. Concernant la médiation conventionnelle, il faut que tous les notaires aient une formation à la prescription de la médiation. Il y a des notaires médiateurs, qui ont été formés à la médiation, mais il faut que tous les notaires aient une formation à la prescription à la médiation, qu’ils en connaissent les vertus et qu’ils aient cela dans leur trousse pour le proposer à leurs clients quand c’est nécessaire. J’extrapole mais la profession vient de décider de créer au Conseil supérieur du notariat, une direction médiation notariale, confiée à un autre que moi, — pour cause d’indépendance vis-à-vis de la profession — et qui va fédérer les centres de médiation, créer cette formation qui existe ponctuellement dans des chambres mais qui doit être institutionnalisée. La profession est donc bien déterminée à progresser dans l’offre de médiation notariale, conventionnelle et judiciaire, indépendamment de la médiation à la consommation.