La parité chez les avocats : où en est-on ?

Publié le 24/04/2017

Mercredi 8 mars, journée internationale des droits des femmes, était l’occasion pour le barreau de Paris d’organiser un colloque consacré à la place qu’occupent les femmes dans la profession d’avocat spécialement, et plus généralement dans la société.

« Là où tant d’hommes ont échoué, une femme peut réussir » ! C’est cette maxime, prononcée par Charles-Maurice de Talleyrand, que reprenait le barreau de Paris pour illustrer son colloque organisé pour la journée internationale des droits des femmes. Avec une double ambition : placer l’égalité professionnelle entre femmes et hommes au cœur du débat, mais aussi rappeler comment les femmes peuvent être moteurs de changement dans le domaine économique, comme dans le domaine sociétal. Le colloque était l’occasion de rappeler les nombreux freins, discriminations et différences de traitement que connaissent les femmes avocates au cours de leurs carrières.

Des points illustrés dans le rapport sur « l’avenir de la profession d’avocat » de Kami Haeri (récemment remis au garde des Sceaux). Sur l’ensemble de leur carrière, le rapport révèle que le revenu moyen des femmes avocates correspond à 51 % de celui des hommes. De même, une étude élaborée par Juristes Associés en 2016, montre que les femmes représentent 83 % des collaborateurs pour seulement 17 % des associés du secteur du droit des affaires. Un chiffre d’autant plus étonnant lorsque l’on constate que les femmes sont devenues majoritaires dans la profession (52 % en France). Au cours des dernières années, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour incarner le combat vers l’égalité et faire diminuer ces disparités. On peut notamment citer la création d’une commission Éthique et responsabilité sociale de l’avocat au barreau de Paris, la création d’associations telles que « Moms à la Barre », qui aident les avocates à mieux concilier vie privée et professionnelle ou encore le lancement du Tumblr « Paye ta robe » qui recueille les témoignages des comportements sexistes dans la profession. Des comportements plus répandus que l’on ne le pense selon Laure Heinrich, avocate et responsable pédagogique de l’EFB : « Même aujourd’hui, cela reste encore compliqué pour les femmes pénalistes. On ne compte plus le nombre de fois où l’on entend que “si elle a des clients, c’est parce qu’elle a couché” (…) être une femme dans ce milieu peut être éprouvant », explique-t-elle. Pour Anne Katrin Jégo, conseillère de Paris et présidente-fondatrice du club des 52 %, il est important d’attirer l’attention des jeunes femmes sur la précarité de leurs droits, « Que cela soit en ce qui concerne leurs corps, avec les remises en cause permanentes de l’IVG, leurs carrières, lorsqu’on s’aperçoit des inégalités frappantes du monde professionnel ou le monde politique, puisque les partis continuent de préférer payer des amendes plutôt que de respecter la loi sur la parité ». Pour les Petites Affiches, Dominique Attias et Caroline Luche-Rocchia ont accepté d’évoquer la situation des femmes en tant qu’avocates et les inégalités qui restent encore trop présentes dans notre société.

Les Petites Affiches – Quel était l’objectif de ce colloque ?

Dominique Attias – Il faut arriver à inclure tout le monde dans un mouvement qui permette de faire bouger les lignes. Dans un monde morose où tout le monde regarde son nombril, nous sommes là pour regarder vers l’avenir et retrouver de l’espoir. Ce sont là nos valeurs fondamentales d’avocat : faire avancer les droits, aborder les sujets tels que l’égalité homme-femme et ouvrir les portes aux autres. Car cette journée ne se limite évidemment pas aux seuls avocates et avocats, c’est une thématique qui concerne toute la société. Même si nous n’étions peut-être pas assez nombreux, tous les participants ressortent de cette journée avec la même impression : celle de se sentir dopé et prêt à faire changer les choses. On retrouve d’ailleurs cette volonté dans le titre même du colloque : « Femmes, moteurs de changements ».

LPA – Justement quelle est la situation des femmes avocates aujourd’hui ?

D. A. – Soyons honnêtes, il reste beaucoup de travail à faire et notre milieu reste encore très machiste. C’est d’ailleurs la raison d’être de la commission que porte Caroline Luche-Rocchia qui agit pour l’égalité professionnelle entre avocats, notamment sur la question des collaborateurs et associés. Il y aussi la situation de ces avocats qui, arrivés à un certain âge, se posent des questions sur leur avenir. Nous n’avons pas suffisamment réfléchi pour trouver une façon de les accompagner et leur créer de nouveaux horizons.

Caroline Luche-Rocchia – En effet c’est indéniable, être une femme dans notre profession, c’est parfois être confrontée à des injustices et des inégalités flagrantes. Le problème ne doit pas être pris uniquement sous le prisme de la maternité ou de la grossesse, cela va bien au-delà. Il y a de nombreux cas de sexisme, remarquablement mis en lumière par le site « payetarobe », lancé par deux avocates du barreau. De nombreuses avocates ont participé à cette initiative en partageant les petites phrases de clients, d’associés ou d’autres avocats qu’elles ont pu entendre. C’est une preuve, s’il en fallait, que les stéréotypes et comportements misogynes restent monnaie courante. À ce sujet nous nous montrons extrêmement vigilants sur les discriminations et harcèlements qui doivent être condamnés avec la plus grande sévérité lorsqu’ils sont mis à jour. La question des rémunérations est aussi un enjeu majeur, car l’on constate des écarts entre hommes et femmes bien plus importants que dans la société civile. Vous retrouvez ainsi un ratio de 50 % de différence au bout de 10 années d’exercice, c’est énorme ! Sur l’accession au statut d’associé aussi, on se rend compte que la plupart des collaborateurs sont une majorité de femmes, les associés femmes sont pourtant très rares. Cela montre la difficulté pour une femme à accéder aux responsabilités et à briser le fameux « plafond de verre ».

LPA – Au cours des 800 ans d’histoire du barreau de Paris, celui-ci n’a connu que deux femmes bâtonnières, toutes deux élues depuis 1998. Les élections ordinales parisiennes ont élu la troisième en décembre dernier, est-ce qu’on peut parler d’une amélioration en ce qui concerne le traitement des femmes dans la profession ?

D. A. – Je ne peux qu’espérer qu’il y aura de plus en plus de femmes aux postes de commandement et je pense sincèrement qu’à terme, nous arriverons à démocratiser ce type de situation. Je discutais avec une consœur venue de Bruxelles pour assister à la journée, elle me confiait que, malgré de nombreuses initiatives et projets en matière d’égalité homme-femme, le barreau de Bruxelles n’a jamais connu de femme bâtonnière. Nous avons donc la chance d’être en pointe du progrès. Un autre versant du problème est la féminisation des titres, quelque chose qui est souvent mal vu dans la profession. Personnellement, j’ai décidé de m’intituler « vice-bâtonnière » car pour moi la féminisation est porteuse de symboles. Les arguments expliquant qu’il s’agit d’une fonction et que les titres devraient rester masculins n’ont pour moi pas grand sens, on incarne une fonction et on l’incarne que l’on soit un homme ou une femme. On ne devient pas une fonction, il faut rester soi-même, ce qui signifie aussi être genré : je suis une femme et je suis une bâtonnière. Notre rôle est aussi d’être là pour dire aux jeunes femmes qui composent la nouvelle génération de ce barreau : osez, allez-y ! Nous voulons leur ouvrir la porte, même si c’est à elles de l’enfoncer.

LPA – Qu’en est-il au niveau de la société française ?

D. A. – Il ne faut pas rêver : nous sommes dans une société ultra-patriarcale depuis la nuit des temps. Beaucoup d’efforts et de temps seront nécessaires pour rééquilibrer les choses. Et pour cela il faut notamment, hommes et femmes, avoir un comportement différent et éviter d’assigner un homme ou une femme dans un rôle déterminé qui ne lui correspond pas forcément. Ces stéréotypes se retrouvent dans tous les pans de la société et nous affectent à tous les âges, y compris dès la maternelle avec les jouets qui vont être offerts aux enfants et les messages que nous leur transmettons. Il faut que, peu à peu, nous arrivions à faire bouger ces états de fait. Nous avons la chance d’être dans une société où les choses vont plus vite que l’on ne le pense, grâce au numérique, aux réseaux sociaux et à la libre circulation. C’est un travail quotidien à faire en acceptant nos différences. Plus de la moitié de l’humanité reste cantonnée dans un rôle secondaire, ce qui n’est pas acceptable.

C. L.-R. – Pour faire le lien avec ma profession, je suis jeune maman et avocate avec un mandat électif. Cela me place donc dans une position où je suis directement touchée par ces questions. L’avocat est une éponge de la société, en ce moment nous vivons dans une époque dangereuse qui présente un risque de recul des libertés et des droits dans de nombreux domaines. Nous restons des privilégiés de par notre accès aux connaissances. En tant qu’avocat nous avons une responsabilité et c’est à nous d’aller dans la société, pour former, faire des démarches dans les écoles et pas uniquement à l’intérieur de Paris. Il faut s’organiser collectivement pour aider, porter des valeurs et des engagements et contribuer à ce que la société civile se sente soutenue par nous. Le rôle politique et sociétal de l’avocat est quelque chose d’essentiel pour moi. Cela n’empêche pas qu’il faut savoir balayer devant sa porte : l’ambiguïté est que l’avocat a d’un côté cette vocation d’agir pour plus d’égalité dans la société, et dans le même temps nous sommes extrêmement en retard sur certains points, que cela soit sur le sujet des collaborateurs ou des différences de salaires entre hommes et femmes.

LPA – Depuis le début de votre mandat, le bâtonnat s’est beaucoup engagé sur des projets internationaux. Est-ce que la cause des droits des femmes passe aussi par ce prisme ?

D. A. – Il faut incarner ce que l’on pense. Lorsque je voyage, que cela soit dans des pays d’Afrique ou du monde arabe, je suis souvent la seule femme qui « commande ». On se rend compte qu’en portant la parole au nom du barreau de Paris en tant que femme et au nom de toutes les femmes avocates que je représente, on pose indirectement la question : « Où êtes-vous femmes africaines, de Tunisie et du Maroc ? ». C’est une manière de faire réagir. Lors de ma présence pour les 120 ans du barreau de Tunisie en février dernier, j’ai porté lors de mon discours ce combat pour que les femmes se retrouvent à des postes de responsabilité. Et je dois avouer avoir été assez satisfaite lorsque, dans l’après-midi, et alors que tout avait lieu en arabe, le président tunisien a souligné l’importance des femmes en reprenant une partie du discours que j’avais eu le matin. C’est la preuve d’un monde qui avance et qui va vers la modernité. Et nous avons besoin de l’aide des hommes pour arriver à devenir légitimes. Il est nécessaire qu’ils participent à ce combat.

LPA – Vous soutenez la déclaration universelle des droits de l’humanité portée par Corinne Lepage. Quel peut être sa portée ?

D. A. – Nous allons la présenter au conseil de l’ordre pour que le barreau apporte officiellement son soutien. Je suis persuadée que nous sommes dans une société qui a besoin de projets qui nous dépassent. Être enfermé dans nos petites problématiques, notamment dans ces périodes d’incertitudes politiques, c’est se laisser stériliser et déprimer. Les avocats ne se laisseront jamais ni stériliser, ni déprimer et encore moins empêcher de parler et de défendre. Cette déclaration universelle est un projet fédérateur, et c’est une bonne chose que cela soit de la « soft law ». Car ce qui doit être soutenu ce n’est pas que de la contrainte, c’est aussi l’éthique, c’est-à-dire ce qui porte l’homme et le différencie de l’animal. Cette déclaration est un moyen de porter un message qui ne soit pas celui de la peur, de l’exclusion et du repli sur soi. Il est important que ce texte ait le plus grand engouement possible pour qu’il soit reconnu aux Nations unies et soit, par la suite, soumis aux États membres. Et à un moment où tout se délite, on a besoin de tricoter autre chose pour créer cette dynamique des progrès humains.

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