« L’accessibilité à un palais de justice, à un juge et non à une machine, c’est quelque chose d’important pour l’exercice judiciaire »
Le 15 novembre 2018, les députés commençaient l’examen du projet de loi sur la justice, à l’Assemblée nationale. À côté, sur la place Bourbon, les avocats, en robe, se sont rassemblés pour sensibiliser les parlementaires et l’opinion publique sur les enjeux du texte. Ils étaient plusieurs centaines à répondre à l’appel des organisations représentatives de la profession.
Une justice illisible, inhumaine et privatisée. C’est ainsi que les avocats et magistrats perçoivent ce projet de loi « justice », porté par Nicole Belloubet, garde des Sceaux et ministre de la Justice. Après avoir été adopté par le Sénat, le texte était examiné par les députés à partir du 15 novembre dernier. Sans surprise, la commission de lois de l’Assemblée nationale est revenue à la version initialement présentée par le gouvernement. Afin d’alerter les élus, ils étaient nombreux à se rassembler le 15 novembre devant l’Assemblée nationale et ailleurs en France, opposés à plusieurs dispositions du projet. « Nous sommes là, unis avec tous les représentants de la profession. Nous sommes tous des lanceurs d’alerte. Nous voulons une réforme qui répare et qui répond aux besoins des citoyens », explique Me Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux (CNB).
À ses côtés, Me Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, déclare : « Il faut augmenter le budget de la justice et consacrer des moyens en personnel humain. Les conditions dans lesquelles nos magistrats travaillent sont inadmissibles, ils sont débordés. Nous nous battrons jusqu’au bout contre ce projet de loi ». Alors que le gouvernement mise sur une justice plus rapide, plus efficace et plus moderne, les avocats réclament une réforme en faveur d’une justice humaine, accessible à tous et avec des moyens suffisants. Plusieurs points du texte ont été soulevés lors du rassemblement. Leurs inquiétudes concernent la dématérialisation des procédures sans prendre en compte la fracture numérique et les 10 millions de Français qui n’ont pas accès à internet. De plus, ils rejettent la suppression des tribunaux d’instance et celle de la cour d’assises et du jury populaire, dues à une logique de rationnement qui éloigne le justiciable du juge.
Leurs craintes se portent également sur la privatisation de la justice, entraînée par le recours aux dispositifs de résolution des litiges en ligne d’opérateurs privés ou encore par la proposition de confier au directeur de la CAF la charge de réviser les pensions alimentaires décidées par le juge. Côté pénal, ce projet de loi ferait surtout reculer le contrôle de l’autorité judiciaire sur les services d’enquête et déséquilibre la procédure pénale au détriment des droits des victimes et de la défense. Enfin, ils rejettent le recours imposé à la visioconférence. Avocats, magistrats, étudiants, fonctionnaires de justice, associations, etc., étaient donc mobilisés, soucieux des conséquences sociales d’un texte qui restreint l’exercice de leur droit par les citoyens. Pour Me Jean-Luc Forget, vice-président du CNB, il s’agissait de montrer que les avocats étaient vigilants et il révèle pourquoi ils resteront mobilisés et répond à nos questions sur la mobilisation de la profession contre ce projet de loi.
LPA
Où en sont les discussions sur le projet de loi avec le gouvernement ?
J.-L. F.
Pendant un trimestre, nous avons imaginé les chantiers de la justice, mais à sa sortie le projet de loi ne correspondait pas aux débats qui avaient eu lieu. Ensuite, nous avons travaillé près de six mois avec le gouvernement à l’amélioration du texte. Il faudrait que ce travail se concrétise et que nos propositions soient prises en compte. Comme l’examen du projet de loi sur la justice débutait le 15 novembre dernier à l’Assemblée nationale, les avocats ont voulu manifester symboliquement auprès des députés et montrer leur opposition à certaines dispositions du texte. En province, il y avait également des rassemblements dans pratiquement tous les barreaux ou devant les palais de justice.
LPA
Y a-t-il eu des avancées après le passage du texte devant le Sénat ?
J.-L. F.
Cela peut paraître curieux, mais le Sénat qui est la chambre d’opposition s’est présenté en défenseur des libertés individuelles. Que ce soit au pénal ou au civil, de nombreuses dispositions, portées par les avocats, ont été adoptées par les sénateurs. Ils savent la nécessité d’une justice de proximité sur les territoires, une justice incarnée et non pas exclusivement numérique. Or la majorité gouvernementale est représentée à l’Assemblée nationale et c’est là que ces avancées doivent être confirmées. Si jamais, nous revenions en arrière sur des travaux qui ont été faits avec la profession, la mobilisation sera plus active. C’est aussi pour cela que nous sommes vigilants.
LPA
Quels sont les principaux enjeux de cette mobilisation ?
J.-L. F.
Aujourd’hui, nous voulons une justice humaine plus efficace, moins lente et dotée de moyens pour cela. Notre mobilisation concerne évidemment les justiciables, c’est pour la justice qui est l’ossature de l’État de droit et dont les avocats sont garants. L’accessibilité exclusivement numérique, c’est une meilleure accessibilité pour certains mais pas pour tous. L’accessibilité à un palais de justice, à un juge et non à une machine, c’est quelque chose d’important pour l’exercice judiciaire. Nous restons mobilisés sur le sujet, et attendons la reprise de l’examen du texte le 15 janvier prochain.