Laëtitia Wadiou : « La politique de l’amiable est un atout » !

Publié le 20/09/2023

Installée dans le Val-de-Marne au sein du cabinet Modere et associés, Me Laëtitia Wadiou a prêté serment le 16 janvier 2002. Durant ses plus de vingt ans de carrière, elle a fait de la médiation l’un de ses domaines d’activité principales. Ce n’est donc pas un hasard si elle a été élue membre du Conseil de l’ordre et qu’elle fait partie de la commission « Modes alternatifs de règlements des différends » pour le mandat 2022-2024. Rencontre.

Actu-Juridique : Le droit était-il une évidence ?

Laëtitia Wadiou : Comme pour beaucoup, il m’avait été précisé que « le droit menait à tout » lorsque j’étais plus jeune. J’hésitais avec la psychologie et les sciences humaines mais j’ai finalement choisi le droit après un bac économique. Le droit concerne aussi bien l’histoire que notre actualité et j’ai trouvé ces études passionnantes. Grâce au droit j’ai assouvi mon besoin de savoir. Par la suite, j’ai eu du mal à faire le choix entre le droit privé et le droit public. En réalité, je ne voulais pas particulièrement devenir avocate mais je voulais tenter l’exercice. Après avoir obtenu mon CAPA, dans le souci initial d’acquérir un diplôme et une expérience, j’ai intégré le cabinet Modere et associés. J’y suis toujours et j’y exerce actuellement en qualité d’associée cogérante après l’avoir racheté avec mon associé Me Olivier Tournillon.

AJ : Qu’est-ce qui vous a convaincue à poursuivre dans cette profession ?

Laëtitia Wadiou : Mes deux premières années de pratique ont été une vraie découverte. J’ai eu la chance de bénéficier d’une formation de qualité de la part de mes maîtres de stage, dont Me William Modere. J’y ai découvert tout un monde, ses enjeux, les difficultés de ce métier, les exigences, la confraternité mais aussi le stress, la responsabilité, l’humain sous beaucoup de facettes et de complexité. La vie sous le prisme du droit. C’est une profession exaltante, bien loin de l’image que l’on s’en fait même si elle est parfois douloureuse à vivre. Ce que j’ai appris grâce à ce métier, c’est surtout mettre de la nuance.

AJ : Vous avez passé toute votre carrière dans le Val-de-Marne. Était-ce un choix réfléchi ?

Laëtitia Wadiou : Ce fut plutôt le fruit du hasard, quoique j’ai baigné dans ce département tout le long de mes études. Mon exercice était censé y être éphémère mais j’ai finalement pris mes marques, trouvé mes repères. La juridiction et le barreau me sont devenus familiers.

AJ : Y a-t-il eu des évolutions depuis votre installation ?

Laëtitia Wadiou : Le barreau du Val-de-Marne est à taille humaine. Lorsque j’ai débuté, les avocats côtoyaient les juges et les greffiers. Les échanges étaient possibles et habituels. Aujourd’hui, la digitalisation rend les échanges directs moins courants, ce qui est regrettable. Pour autant, quelques événements sont organisés entre les juridictions et le barreau et les rencontres restent possibles. Il reste beaucoup à faire car le potentiel du barreau est important, à condition de le faire savoir aux acteurs économiques du territoire.

AJ : Votre exercice est tourné vers la résolution amiable des litiges. Qu’est-ce qui a motivé cette orientation ?

Laëtitia Wadiou : J’ai développé mon activité autour de ce que j’aimais originellement, à savoir l’humain, mais le fait d’avoir pratiqué le contentieux me permet de connaître la procédure et de ne pas craindre le conflit. C’est selon moi une vraie force pour les avocats par rapport à d’autres professionnels du droit. Par ailleurs, ce sont des rencontres qui m’ont guidée vers ce choix, comme Fabrice Vert, Me Hirbod Dehghani-Azar, Me Emmanuelle Levy ou encore Abelson Gebhardt. J’ai surtout le souvenir de cette audience au cours de laquelle Fabrice Vert voulait « envoyer » ma cliente en médiation. L’audience a été très tendue car je ne le souhaitais pas. Comme beaucoup de mes confrères je trouvais l’amiable très bien de façon générale mais pas pour mon dossier en particulier et finalement cette rencontre m’a ouvert la voie de la médiation.

AJ : Vous êtes médiatrice inscrite auprès de la cour d’appel de Paris, pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ?

Laëtitia Wadiou : L’activité de médiateur ou de médiatrice n’est pas encore réglementée, en ce sens qu’elle ne dispose pas d’un ordre, même si des dispositions législatives nationales et européennes conditionnent l’activité et ses obligations. Un médiateur peut donc exercer avec un nombre d’heures minimal de formation. Le fait d’être inscrite auprès de la cour d’appel de Paris officialise le fait de solliciter auprès de cette cour son inscription au visa de certains critères définis par la cour notamment en termes de quantum d’heures de formation et de pratique, ce qui peut, pour certains, crédibiliser et rassurer son statut et sa compétence.

AJ : Quelles sont les différences entre médiation et droit collaboratif ? En quoi est-ce important de les connaître et de les exercer ?

Laëtitia Wadiou : Tous deux font partie des modes amiables. Le premier est un processus qui se déroule hors la saisine du tribunal et contraint les avocats à aboutir à un accord négocié. Il n’y a pas de tiers pour faciliter la recherche d’un accord. Les avocats s’en chargent. Pour ce qui est de la médiation, c’est un processus plus général qui s’inscrit hors la procédure judiciaire ou dans son cadre. Sa mise en œuvre doit conduire les parties à trouver un accord avec l’aide d’un tiers neutre, impartial et indépendant. Les avocats sont présents pour assister leurs clients et faciliter la recherche de cet accord. Si aucun accord n’est trouvé, la saisine du tribunal reste possible. Ce sont deux modes différents mais amiables qui sont importants à connaître pour les avocats car ils font partie des dispositifs qu’il leur faut maîtriser afin d’offrir à leurs clients une palette plus importante de conseils. La pratique régulière de ces modes en facilite l’exercice et permet de choisir le processus le plus adapté à chaque cas.

AJ : Vous êtes membre du Conseil de l’ordre. Pourquoi avoir voulu le rejoindre ?

Laëtitia Wadiou : Je trouve que la publicité de ce qui est fait au sein du Conseil n’est pas toujours assez mise en avant, ce qui fait que les fonctions et les missions réalisées sont peu visibles pour le corps électoral des avocats. Ce, alors que c’est un exercice engageant, amenant à traiter nombre de problématiques que je n’imaginais même pas. Il y avait aussi la motivation d’y développer les modes amiables. Pour pouvoir les pratiquer, il faut que les avocats prennent leur part dans ces modes. Le meilleur moyen a donc été de me présenter au Conseil de l’ordre.

AJ : Qu’avez-vous pu mettre en place depuis votre élection ?

Laëtitia Wadiou : Nous avons organisé un colloque avec la juridiction sur ce thème, soutenu par les écoles de la magistrature et des avocats. Différentes formations ont également eu lieu en visio ou en présentiel sur des thèmes comme « Les écrits en médiation » ou « La négociation raisonnée ». Des groupes d’analyse de pratique ont lieu tous les deux mois et le barreau forme avec le concours de l’Ifomene à l’obtention du diplôme de médiateur.

AJ : Quels sont selon vous les défis ou les enjeux qui vous semblent fondamentaux pour votre profession à l’heure actuelle ?

Laëtitia Wadiou : Il s’agit à mon sens de ne pas louper le coche. Comme pour bon nombre de domaines, la profession d’avocat est en voie de transition. Je pense notamment à la digitalisation (l’intelligence artificielle) mais aussi à la transformation des cabinets, leur spécialisation ou non, le rassemblement entre professionnels du droit et enfin pour ce qui me tient spécifiquement à cœur, le développement des activités accessoires dont fait partie la médiation. Il y a également l’activité de mandataire en transaction immobilière ou d’agent sportif qui se développent au sein de notre barreau. Par ailleurs, le Conseil national de la médiation a été créé cette année et amènerait de l’homogénéité dans la pratique de cette activité à n’en pas douter.

AJ : Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?

Laëtitia Wadiou : Le fait que le droit est vivant : il évolue avec la société. C’est un challenge car il nécessite toujours pour maintenir le cap un retour aux fondamentaux. Je peux prendre par exemple la notion de consentement pour les violences sexuelles et les débats que cela suscite. S’y ajoute le fait que, de façon plus large dans d’autres domaines, des outils permettent de résoudre des conflits de façon complémentaire, comme à l’aune de la justice « restaurative ». Je trouve intéressant de toujours avoir en ligne de mire le droit, outil fondamental et précieux et, dans l’intérêt bien compris de chacun, dans le cadre d’une société qui accepte de vivre ensemble, d’y ajouter cette notion d’altérité que l’on retrouve dans ces modes amiables.

AJ : Que pensez-vous de la « politique de l’amiable » prônée par l’actuel garde des Sceaux ?

Laëtitia Wadiou : Je suis pour ma part particulièrement heureuse de voir que le garde des Sceaux a envisagé très sérieusement la mise en place de cette politique de l’amiable car elle reste un atout pour mes confrères et de façon plus large pour notre société. Il ne s’agit pas de privatiser la justice mais bel et bien de rendre à chacun le pouvoir de décider de la façon dont il accepte de résoudre son litige et d’en fixer le cadre, d’en rester maître.

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