« Le Barreau des rues s’adresse à la population la plus précaire »
C’est une jeune avocate qui parle à cent à l’heure avec une gouaille de titi parisien 2.0. Anne-Sophie Laguens, ancienne secrétaire de la Conférence du stage, est avocate en droit pénal et en droit civil. Entre comparutions immédiates et rendez-vous de conseil en droit de la famille, elle trouve le temps de superviser, avec trois confrères, les collectes du Barreau des rues, une association fondée à l’automne 2017 pour venir en aide aux populations les plus démunies. Pour les Petites Affiches, elle est revenue sur les débuts de cette association.
Les Petites Affiches
Comment est né le Barreau des rues ?
Anne-Sophie Laguens
C’est parti d’une collecte de vêtements que j’avais organisée toute seule et un peu à l’arrache sur Facebook pour une cliente détenue à Fleury-Mérogis avec son petit de 12 mois. J’avais reçu beaucoup trop de choses et envoyé le surplus à Fleury qui y avait trouvé de quoi fournir toute la pouponnière pendant 2 ans ! J’ai réalisé à cette occasion que lorsqu’on demande aux avocats de donner, ils donnent assez facilement. Il faut juste qu’ils aient de la visibilité sur où vont les habits. J’en ai parlé à trois amis avocats. Nous avons pensé qu’il y avait quelque chose à faire, car il nous semblait aussi que le barreau de Paris gagnerait à être plus solidaire, plus tourné vers la précarité. L’image de la profession n’est pas très positive. C’était l’occasion de montrer que l’avocat est aussi quelqu’un qui va se tourner vers les autres. Et tendre la main. Au-delà de ce qu’on fait au tribunal, on peut être avocat dans la vie de tous les jours. Lors de notre prestation de serment, on s’engage à être avocat dans la vie de tous les jours, et on peut être sanctionné si on a de mauvais comportements dans la vie privée ! L’association collecte des dons et, depuis 6 mois, accompagne des associations d’aide aux plus démunis dans leurs maraudes.
LPA
Que collectez-vous ?
A.-S. L.
La première collecte était une collecte de chaussures, organisée avec des religieuses de la congrégation des sœurs de Marie Joseph et de la Miséricorde qui assurent des permanences au dépôt. Elles étaient en demande, car elles voyaient que les personnes qui se présentent souvent en comparution immédiate n’ont pas de chaussures, soit parce qu’elles sont à la rue, soient qu’elles leur ont été prises pendant les perquisitions. Nous avons récolté en peu de temps 80 paires. Les gendarmes du palais nous ont dit qu’en deux semaines, toutes étaient parties, car il y a vraiment beaucoup de demandes. Nous avons fait une collecte de Noël pour apporter des sucreries. Ça peut paraître anodin, mais ça a bien marché et a permis de mettre un peu de fêtes dans le dépôt de Paris. Nous avons envie de travailler prochainement avec « la cravate solidaire », association spécialisée dans la collecte de tenue professionnelle. Nous avons envie de monter également un partenariat avec une marque de vêtements pour que ceux qui comparaissent puissent au moins avoir une chemise propre. Quelqu’un en costume derrière une barre ou en guenille dans un box ne renverra pas du tout la même image. Et, on le voit souvent, n’aura pas la même condamnation !
LPA
Comment pensez-vous ces collectes ?
A.-S. L.
Nous faisons, à chaque fois, des collectes sur un thème particulier, et à destination d’une population particulière : les enfants, les hommes, les femmes battues. Tout simplement car nous n’avons pas la logistique pour faire autrement en stockant un très grand nombre d’affaires. Les associations nous disent quels sont les besoins prioritaires et nous lançons les collectes en fonction. Ou alors, c’est l’inverse. Les donateurs nous disent ce qu’ils ont à donner. Les vêtements d’enfants, dont on a, au bout d’un moment, besoin de se débarrasser, ont beaucoup de succès et nous lançons une campagne sur ce thème. Nous essayons de varier les demandes. Nous indiquons à chaque fois où vont les dons. Ce n’est pas comme quand vous déposez des vêtements dans des containers dans la rue : parfois cela arrive jusqu’aux populations pauvres, mais elles peuvent aussi bien être rachetées par des friperies qui vont faire du profit avec. On s’est dit que si on pouvait dire de manière précise à qui allaient bénéficier ces collectes, les gens seraient plus enclins à donner. Effectivement, ça a été le cas. Nous nous chargeons des collectes et les associations avec lesquelles nous travaillons se chargent de répartir les dons.
LPA
Où les avocats peuvent-ils déposer leurs dons ?
A.-S. L.
Nous sommes bien placés pour savoir que les avocats sont hyper pris. Nous avons donc essayé de faire quelque chose de clé en main, de facile en mettant des points de collecte au tribunal, dans l’ancien palais de justice et dans des cabinets ! L’idée est que les gens n’aient pas d’efforts à faire pour déposer leurs affaires. Nous n’avons toujours pas de local ou de point de collecte à disposition, ce qui est un peu compliqué, mais on a cinq cabinets partenaires qui acceptent de servir de lieu de stockage. L’année dernière, on a organisé une dizaine de collectes. Cette année, on va réduire un peu le rythme, car si on les sollicite trop souvent, les gens donnent moins. C’est logique. Nous allons peut-être également faire des crowdfundings quand il s’agira de collecter des choses encombrantes, comme des duvets. Aller acheter un duvet et le déposer, c’est pénible, les gens ne le feront pas. Il y a plus de chances que cela fonctionne si on l’achète pour eux après avoir collecté de l’argent.
LPA
Quels sont les avocats qui participent à ce Barreau des rues ?
A.-S. L.
Nous n’avons pas de site, on communique essentiellement sur les réseaux sociaux : Facebook et Twitter. Au vu de ce qu’on collecte, nous arrivons à rassembler pas mal de monde. Une de nos satisfactions est que l’on arrive à la fois à toucher les petits avocats qui exercent seuls et les gros cabinets qui pourraient ne pas se sentir concernés. Par ailleurs, c’est un peu cynique, mais on sait que le pro bono est à la mode et que les cabinets vont parfois chercher à faire savoir qu’ils participent à notre action. On n’hésite pas à aller chercher directement les associés qui sont en place dans les gros cabinets en leur disant qu’on mettra leur nom.
LPA
Au bout d’un an, vous avez commencé à faire des maraudes en plus des collectes. En quoi consistent-elles ?
A.-S. L.
Quand l’association a commencé à bien marcher, que les collectes fonctionnaient, on s’est dit qu’on pourrait nouer des partenariats avec des associations qui travaillent dans la rue. Nous avons travaillé avec Barreau solidarité, un organisme du barreau de Paris, et avons monté un partenariat avec toutes les associations qui gèrent la rue dans Paris : Les enfants du canal, Charonne, Aurore, Emmaüs, le Samu social. Ces associations quadrillent tous les arrondissements de Paris. Une ou deux fois par mois, un avocat accompagne l’une d’entre elles dans ses maraudes. Cela nous permet d’aller au contact de personnes très éloignées du droit. Un membre des Enfants du canal nous a expliqué que s’il allait conseiller à une personne dans la rue d’aller voir un médecin, il y avait peu de chances pour que cela fonctionne. En revanche, s’il débarquait avec le médecin, cette même personne pourrait spontanément parler de ses blessures ou de ses douleurs. De cette manière-là, cela serait peut-être possible de la convaincre d’aller à l’hôpital. Cela fonctionne de la même manière pour les avocats. Si un travailleur social conseille à quelqu’un de la rue d’aller prendre conseil pour régler des problèmes de papier, il n’ira pas. S’il a un avocat sous la main, il est plus probable que les gens en profitent pour exposer spontanément leurs problèmes de papier, de logement, d’enfants… Nous ferons en mars le bilan de ces six premiers mois de maraude.
LPA
Qui assure ces maraudes ?
A.-S. L.
Elles fonctionnent avec une liste de 30 avocats. Il y a tous les profils. Pendant la première réunion, certains s’inquiétaient de ne pas assez bien connaître les contentieux, comme le droit des étrangers. Mais, ce n’est pas un problème, car il faut juste être capable de savoir vers qui orienter les gens ! Et puis, si on arrive à leur parler, c’est déjà une victoire. Beaucoup sont murés dans le silence.
LPA
Y avait-il, au barreau de Paris, d’autres associations caritatives avant la vôtre ?
A.-S. L.
Le Barreau de la solidarité existe depuis longtemps, et s’occupe des consultations gratuites et du Bus de la solidarité. Cela va toucher une population certes en difficulté, mais tout de même assez informée pour savoir que ces dispositifs existent, et assez insérée pour oser passer la porte de la mairie, du palais de justice, ou du bus.
Nous allons vers une autre population, celle de la rue, qui jamais ne fera cette démarche. Ceux à qui nous nous adressons ne sont pas du tout accessibles, ils ne vont pas aller aux consultations gratuites. C’est la population que l’on peut retrouver en comparutions immédiates, où l’on a l’habitude de voir les plus précaires.
LPA
En octobre 2018, vous avez été récompensés par un trophée du pro bono. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
A.-S. L.
Nous avons en effet reçu deux prix : le prix en équipe, et le prix des avocats, qui est un peu le choix du public et qui nous a fait particulièrement plaisir. Cela nous permet d’offrir une reconnaissance aux confrères qui sont membres de l’association. Parce que le Barreau des rues n’existerait pas si les confrères ne participaient pas, ne donnaient pas, s’il n’y avait pas une trentaine d’avocats à s’être inscrits pour faire des maraudes. Nous faisons simplement tourner les choses. Ces prix nous donnent par ailleurs une vitrine, une légitimité, lorsque nous démarchons des associations pour lancer de nouveaux partenariats. L’association s’étend petit à petit, et nous avons désormais des contacts avec d’autres barreaux qui envisagent de s’inspirer de notre association pour créer des dispositifs similaires dans leurs juridictions.