« Le client doit connaître à l’avance les coûts d’une procédure »

Publié le 29/07/2016

Anne-Constance Coll, avocat à la cour inscrite au barreau de Paris, est à la tête d’un cabinet d’avocats qui cherche à être le plus accessible possible aux particuliers. Premier rendez-vous gratuit, honoraires forfaitisés et payables en plusieurs fois sans frais : tout est fait pour que le coût de la prestation soit compréhensible et ne décourage pas les particuliers. Elle revient pour nous sur sa stratégie.

LPA – Votre première préoccupation, dites-vous, est d’être « accessible ». D’où vous est venu ce souci ?

Anne-Constance Coll – J’ai créé un premier cabinet il y a cinq ans, principalement tourné vers les PME et les collectivités territoriales car je suis spécialisée en droit public. Je souhaitais également proposer mes services aux particuliers. Or je me suis aperçue qu’il était souvent difficile pour les particuliers de connaître les honoraires des avocats à l’avance : un avocat sur deux seulement a un site internet, et la plupart ne mentionnent pas le mode de calcul de leurs honoraires. Par conséquent, lorsqu’ils vont à un rendez-vous, les particuliers ne savent pas ce que va leur coûter ce rendez-vous… C’est évidemment un obstacle, qui peut dissuader d’avoir recours à un avocat. Ayant fait ce constat, je me suis efforcée de proposer quelque chose de plus lisible, avec notamment des honoraires payés au forfait et un premier rendez-vous gratuit. Il me semble fondamental que le client connaisse à l’avance les coûts d’une procédure. Visiblement cela fonctionne. On a énormément de nouveaux clients : + 900 % en cinq ans, alors que l’activité des cabinets généralistes a reculé en moyenne de 30 % ces dernières années.

LPA – Quel est l’intérêt de ce premier rendez-vous gratuit ?

A.-C. C. – Cela permet au client de nous choisir pour les bonnes raisons. Si un rendez-vous coûte entre 100 et 150 euros, un particulier ne va pas pouvoir aller voir plusieurs avocats pour comparer ce qu’ils proposent… Je tenais à ce que l’on nous choisisse pour nos compétences et non par défaut. Lors de ce premier rendez-vous, il est important d’être très honnête. Si le client nous sollicite trop tard, si nous avons peu de chance de succès, si les frais d’avocat vont coûter plus cher que l’argent que l’on peut espérer récupérer du litige, on le dit clairement : il n’est pas question de facturer 500 euros pour récupérer une centaine d’euros. Si à l’issue de ce premier rendez-vous, le client choisit de nous confier son dossier, nous lui proposons un forfait, et garantissons qu’il n’y aura aucun dépassement d’honoraire par rapport au montant annoncé. Tout l’enjeu est donc d’évaluer correctement la charge de travail. C’est évidemment bien plus simple de calculer à l’heure : il suffit d’enclencher le chronomètre… Mais on arrive à des aberrations, par exemple à des divorces à 17 000 euros parce que le confrère en face est procédurier et complique la procédure… Dans notre cabinet, si cela arrive, c’est nous qui en payons les conséquences, pas notre client.

LPA – Vous avez également pensé aux particuliers qui doivent emprunter pour se payer les services d’un avocat…

A.-C. C. – Oui, car nous avons remarqué que pour certains clients, qui sont juste au-dessus du plafond pour pouvoir prétendre à l’aide juridictionnelle, il est difficile de se payer un avocat. Cela peut représenter plusieurs mois d’économies pour des petits budgets… Nous proposons donc un paiement en dix fois sans frais. Nous avons également mis en place un partenariat avec une banque nationale qui nous permet de proposer un crédit gratuit à nos clients qui doivent avoir recours à l’emprunt. Ce système a été récompensé par le prix de l’incubateur du barreau de Paris en 2015. Nous répondons ainsi à l’attente du plus grand nombre. Le bouche-à-oreille fonctionne, beaucoup de clients reviennent et nous envoient des gens. J’ai dans ma clientèle un patron de PME que je suis depuis douze ans !

LPA – L’accessibilité est-elle uniquement une affaire de facturation ?

A.-C. C. – C’est un élément important mais ce n’est pas le seul en effet. Nous essayons d’être vraiment accessibles, par les prix mais aussi par la pédagogie. Lors des rendez-vous, nous veillons ainsi à n’employer que du vocabulaire compréhensible par nos clients. Nous avons opté pour une installation en boutique, ce qui facilite également l’accès, plus encore quand la porte sur la rue est ouverte.

LPA – Vous dites faire du « semi sur-mesure ». Expliquez-nous en quoi cela consiste.

A.-C. C. – Avant de monter mon propre cabinet, je faisais du travail de niche pour de grosses sociétés. On proposait des prestations de très bonne qualité, que l’on facturait très cher. Lorsque j’ai fondé mon cabinet, j’ai adapté ces process aux particuliers. On a industrialisé autant que faire se peut le fonctionnement d’un cabinet d’avocat, afin de proposer des prix raisonnables aux clients. On a ainsi mis en place plus de 1 500 modèles de dossiers, que l’on adapte en les nourrissant de l’histoire de chacun de nos clients. Cela ne marche pas pour chaque procédure, mais c’est un système pertinent pour un certain nombre d’entre elles. Pour une expulsion de locataire, par exemple, ce sont toujours les mêmes problèmes qui reviennent : soit une absence de paiement de loyer, soit une absence d’assurance, soit des nuisances. Il n’y a que trois grandes catégories de raison de lancer une procédure d’expulsion, nous pouvons donc faire du semi sur-mesure. C’est moins vrai pour des prestations en conseil des prud’hommes, qui ne peuvent pas tellement être industrialisée et pour lesquelles nous devons vraiment faire du cas par cas.

LPA – Les avocats doivent-ils inventer de nouvelles manières de travailler ?

A.-C. C. – Oui, et ce d’autant plus qu’il y a maintenant les plates-formes de services juridiques en ligne qui font baisser les prix en travaillant avec des gens moins formés et en payant moins de charge. Ils nous forcent à nous démarquer. Si l’avocat n’évolue pas, il n’existera plus. J’ai lu dernièrement une phrase de Rousseau qui me semble très adaptée à notre profession. « Ainsi devenu pauvres sans n’avoir rien perdu, simplement parce que tout changeait autour d’eux et qu’eux-mêmes n’avaient point changé » ! C’est exactement ça. L’immobilisme nous tue. Heureusement, la profession est très dynamique. Il y a eu beaucoup d’évolutions ces derniers mois, et des changements de taille, comme la modification de la postulation, la fin des avoués, l’autorisation de la publicité pour les avocats… Ces changements vont nous remettre dans la concurrence et c’est une bonne chose.

LPA – Les attentes des clients ont-elles évolué ?

A.-C. C. – Traditionnellement, il y avait un respect de l’avocat : c’était un notable, surtout en province. On n’allait pas le déranger pour rien. Ce côté dorures-moulures-haute bourgeoisie ne colle plus à la réalité d’aujourd’hui. Les clients se transforment en consommateur et sont de plus en plus exigeants sur le service rendu et sur la réactivité. Ils ont, dans d’autres domaines – la banque et l’assurance, par exemple –, la possibilité de consulter leur compte en ligne, et ne comprennent pas, par exemple, que l’avocat ne propose pas ce type de services. Dans nos cabinets, nous proposons cela à un certain nombre de nos clients, mais cela dépend aussi de leur âge et de leur milieu social. Certains nous disent au contraire : « Surtout pas de mail ! ».

LPA – Quel a été votre parcours personnel ?

A.-C. C. – Je suis sortie de l’école l’année du 11 septembre. C’était une année noire : les gros cabinets ne recrutaient pas, les jeunes avocats avaient vraiment du mal à trouver une place. Je suis partie travailler au fin fond du Cantal, puis à Toulouse. Je faisais des journées à rallonge pour 1 500 € bruts, charges patronales incluses. C’était dur, mais j’ai appris mon métier. Au bout de quatre ans, j’ai passé ma spécialité en droit public qui m’a permis de rentrer chez Parme Avocats et de rentrer à Paris. J’ai ensuite participé au pôle droit public chez Lefèvre Pelletier, sur les Champs-Élysées, puis j’ai travaillé chez Granrut. Il y a cinq ans, j’ai racheté un cabinet d’avocat à Grigny, dans l’Essonne. C’était un tout petit cabinet, situé dans un environnement défavorisé, mais qui comptait des clients intéressants. Au début, je travaillais seule avec mon mari, qui s’occupait de la gestion. Aujourd’hui, nous avons un réseau de six cabinets : nous sommes présents à Paris, dans l’Essonne, mais aussi à Toulouse et à Lyon. Je compte continuer à développer ce réseau. Nous proposons désormais à des confrères qui exercent seuls ou qui ont déjà une grosse activité de collaborateur dans d’autres cabinets de s’associer avec nous pour créer de nouveaux cabinets en province. Cela nous permettrait de poursuivre notre maillage géographique.

X