« Dans les zones rurales, les huissiers de justice sont amenés à connaître les gens et les sociétés »

Publié le 22/03/2018

Tout juste quarantenaire, Christophe Raimond, originaire d’Auterive (en Haute-Garonne), a exercé comme ingénieur informatique pendant dix ans au sein de l’entreprise CS Communication & Systèmes. Jusqu’au jour où, l’opportunité se présentant, il décide de changer de voie, prolongeant une histoire de famille et assurant le défi d’une reconversion. En janvier, lors des vœux de la Chambre nationale des huissiers de justice, Christophe Raimond était récompensé comme lauréat de l’examen professionnel avec 205,5 points et une mention bien. Une belle revanche pour le jeune homme qui avait échoué à la session précédente autant qu’une entrée auréolée des meilleurs espoirs pour l’impétrant huissier.

Luc Paris – CNHJ

Les Petites Affiches

Comment avez-vous découvert le métier d’huissier ?

Christophe Raimond

C’est une histoire de famille. Mon grand-père et mon oncle étaient huissiers de justice, mon père l’est. Mais je ne suis pas venu tout de suite au droit. Une fois mon bac S en poche, ayant obtenu de bons résultats, j’ai continué dans la voie la plus évidente, une école d’ingénieur. Je ne savais alors pas si j’allais aimer le droit. Ma formation scientifique m’a donc d’abord mené vers la profession d’ingénieur informatique que j’ai exercée pendant dix ans. Mais m’orienter vers le droit a toujours été une option. Aussi, quand mon père m’a indiqué qu’il allait prendre sa retraite et vendre son étude, je me suis dit qu’il serait dommage de mettre de côté cette histoire familiale. Il ne m’a jamais demandé de prendre la suite, mais j’étais familier de cet univers dans lequel j’avais baigné depuis petit, en entendant des conversations, des anecdotes relatives à son travail. J’ai donc pris la décision de me reconvertir. Mon diplôme d’ingénieur m’a permis d’obtenir une équivalence pour entrer directement en 2e année de droit, puis j’ai poursuivi ma formation pour obtenir une maîtrise en droit et l’examen professionnel d’huissier de justice. Aujourd’hui, j’attends l’arrêté de nomination qui devrait, je l’espère, être bientôt signé.

LPA

Le métier d’huissier reste encore globalement méconnu du grand public. Quels sont les aspects du métier auxquels vous êtes attaché ?

C.R.

Au final, le droit me plait et le métier d’huissier de justice nous permet de le mettre en pratique au travers de diverses situations : via les constats, les consultations juridiques, les procédures judiciaires…

LPA

Lors de ses vœux, Patrick Sannino a beaucoup insisté sur l’ancrage territorial des huissiers de justice, acteurs de proximité de la justice. De quelle façon appréhendez-vous cette question ?

C.R.

J’ai réalisé une partie de mon stage professionnel dans une étude à Toulouse, et l’autre partie dans l’étude dans laquelle je postule, à Auterive, petite ville à 30 km au sud de Toulouse.

Et même si cela peut ressembler à un cliché, j’ai ressenti qu’il existait bel et bien les huissiers des villes et les huissiers des campagnes.

Ainsi, à la campagne, nous sommes amenés à connaître les gens et les sociétés alentours. En ville, on connaît moins les clients, on connait moins leur situation, le contact est souvent plus difficile, le travail est donc un peu plus impersonnel.

Par ailleurs, avec la modification de notre compétence territoriale, nous sommes maintenant amenés à intervenir sur quatre départements, et donc dans des secteurs que l’on ne connaît pas ou peu. Il est donc parfois plus difficile de rencontrer les gens à leur domicile ou sur leur lieu de travail et, de ce fait, nous risquons de perdre une partie de la qualité de nos prestations car nous ne sommes alors pas en mesure d’expliquer à la personne concernée le contenu de l’acte signifié et ses conséquences. En ce qui me concerne, je tiens à cet ancrage territorial. L’implantation dans une petite ville nous permet de traiter une multitude de cas juridiques, pouvant notamment concerner des baux ruraux. Dans les territoires ruraux, avant les avocats, les huissiers de justice sont, avec les notaires, les premiers acteurs de la justice et donc nous donnons régulièrement des consultations juridiques, même si celles-ci ne sont pas toujours suivies d’actes. Connaissant les gens, les rapports sont plus faciles dans les petites villes.

LPA

Vous êtes lauréat de l’examen professionnel cette année et votre prestation a été remarquée et récompensée. Que cela vous évoque-t-il ?

C.R.

Ce prix a été l’occasion de valider ces longues années d’étude, qui après dix ans dans la vie active, furent très captivantes au début, mais un peu longues ensuite. Donc, le plus important à mes yeux était d’obtenir mon diplôme pour revenir pleinement à la vie active. Ce prix est par ailleurs une satisfaction personnelle et une petite revanche. Il m’a ainsi permis de retrouver de la confiance que j’avais un peu perdu suite à un premier échec à l’oral de l’examen professionnel, d’autant plus que la présidente du jury qui a eu l’occasion de me juger lors des deux sessions auxquelles j’ai participé m’a félicité pour ma deuxième prestation et pour ma progression. Lors de ma première participation à l’oral, rétrospectivement, je pense que j’ai manqué de précisions sur les fondamentaux du droit. Être dispensé de la première année de droit, m’a permis de gagner une année d’étude, mais mes bases étaient un peu branlantes et j’ai dû les compléter. J’ai aujourd’hui complètement conscience que le droit est une réflexion autour de ces fondamentaux. 

LPA

Vous arrivez dans la profession au moment où elle s’apprête à fusionner avec les commissaires-priseurs ? Comment envisagez-vous cette fusion ?

C.R.

J’ai été habitué, petit, à voir mon père organiser à son étude, une fois par mois, le samedi, des ventes aux enchères. Mais ces dernières années, la fréquence de ces ventes était nettement plus irrégulière. Ces ventes portaient essentiellement sur du mobilier courant qui, à l’époque, était de qualité et avait une certaine valeur, ce qui n’est plus le cas maintenant. Donc je ne pense pas que ce changement de compétence va avoir des conséquences directes sur le nombre de ventes aux enchères que nous serions amenées à réaliser. Ceci étant, cela reste une opportunité de compléter notre formation afin d’être mieux armé pour évaluer la valeur des meubles lors de saisies, des expulsions, des inventaires successoraux…

En revanche, la transformation numérique m’interpelle davantage que la prochaine fusion de notre métier, notamment par mon ancien métier d’ingénieur informatique. Je m’intéresse notamment aux outils développés à l’initiative de la Chambre nationale des huissiers de justice pour voir lesquels pourraient être utilisés dans le cadre des activités de notre étude. Par ailleurs, j’essaye de poursuivre la démarche informatique de mes prédécesseurs et en particulier de mon père qui ont mis en place un certain nombre d’outils qui permettent d’automatiser certaines tâches. Ce qui permet de nous libérer du temps pour nous consacrer au maximum aux fondements de notre métier qui doit rester un métier de terrain. Je souhaiterais également essayer de transposer dans notre étude mon expérience dans la gestion de projets informatiques afin d’être en mesure de répondre aux clients institutionnels qui demandent des statistiques, sous forme de tableaux ou de courbes.

Enfin, cette évolution nous conduit à une dématérialisation d’un certain nombre de documents et d’échanges électroniques, évolution que nous avons entamée depuis plusieurs années et que je compte bien amplifier.

Notre but est d’avoir de moins en moins recours au papier. La conservation des actes, sous forme dématérialisée, comme la loi nous y oblige pendant 25 ans, se fera par dépôt dans un coffre-fort numérique mis en place par notre Chambre nationale.

LPA

Quel regard portez-vous sur la loi Macron ?

C.R.

Sur le fond, je peux comprendre qu’on veuille établir de la concurrence dans certaines zones, afin d’aboutir à la baisse du prix de certaines interventions, qui jusqu’à maintenant pouvaient paraître un peu élevé par rapport au service. Je pense que notre société veut maintenant payer le prix du service rendu et non plus un forfait moyen. Toutefois, il faut savoir que le prix élevé de certaines interventions permet de compenser le prix très faible d’autres interventions et a donc pour but que la justice soit accessible à tout le monde, quelles que soient la localisation ou les ressources. Or le fait d’instaurer de la concurrence pourrait avoir pour effet d’obliger certaines études à refuser certaines interventions peu rémunératrices ou trop éloignées pour ne pas mettre en péril l’équilibre économique de leur société. Ensuite, sur la forme, il semblerait que la méthode pour déterminer quelles zones seraient en mesure d’accueillir de nouvelles études ne soit pas optimale car celle-ci tenait compte du chiffre d’affaire global de l’étude sans extraire les sommes issues des activités de recouvrement amiable faites au plan national. Je pense donc que les chiffres étaient biaisés et que certaines cour d’appel telle que celle de Bordeaux pâtissent de ce biais.

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