Le congrès des avocats plaide pour le secret professionnel

Publié le 24/10/2016

Organisé par le Conseil national des barreaux, le 2e congrès des avocats fut l’occasion de rappeler les enjeux et défis auxquels est confrontée la profession. La défense du secret professionnel a constitué le fil rouge de cette journée, avec en écho les dispositions de la loi Sapin II sur la transparence et la lutte contre la corruption.

Après une première édition réussie, le Conseil national des barreaux a décidé de réitérer son invitation aux avocats des barreaux de France pour un deuxième congrès des avocats qui se tenait le 14 octobre à l’esplanade de la Défense. Avec un thème fort, exprimé sous forme de dialectique, celle de la transparence et du secret. Deux notions souvent perçues au cœur des enjeux que connait l’avocat du XXIe siècle. Le président du CNB, Pascal Eydoux, affirmait ainsi que « le secret professionnel n’est pas une valeur déontologique ni une règle d’exercice professionnel, il est beaucoup plus que cela. Il est ce que le Code pénal nous impose sous des sanctions pénales. C’est parce que nous devons le respecter qu’il devient une conséquence déontologique dont la violation peut être sanctionnée comme telle ». Le cas des écoutes de Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog a évidemment été évoqué, notamment avec l’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris du 5 mai 2016 qui a jugé légales les écoutes téléphoniques sur l’ancien président, son avocat et l’ancien magistrat Gilbert Azibert. Mais dans la ligne de mire de Me Pascal Eydoux, c’est surtout la loi Sapin II sur la transparence et la lutte contre la corruption que l’on retrouve. Avec les conséquences que pourrait avoir le statut particulier de lanceurs d’alertes qu’elle compte introduire. Dans cette optique, Me Jean-Pierre Grandjean, avocat du barreau de Paris et modérateur du débat « Conseil et défense : secret absolu ou relatif » , a souligné que la loi Sapin opérait « un changement de paradigme. Dans le cadre de la lutte contre la corruption, nous serons chargés d’enquêtes internes et de la négociation de la transaction pénale entre les entreprises et la justice. Pour ce faire, le secret qui nous lie à la personne morale qu’est l’entreprise sera partagé avec les autorités ». Cette frontière entre confidentialité et secret place l’avocat dans des situations délicates, rajoute-t-il avant de rappeler qu’utiliser les informations fournies par ses clients pour les défendre constitue pourtant le cœur de métier de l’avocat.

Un trio hétéroclite de ministres pour le congrès

En plus de quatre conférences-débats sur les thèmes de la transparence, du secret et de l’usage des outils numériques par l’avocat, le congrès était aussi l’occasion de remettre le « prix du projet innovant » dans le cadre des « 24h de l’innovation ». Organisé par l’Observatoire du CNB, le concours lancé auprès des élèves et jeunes avocats avec moins de deux ans d’exercice a pour vocation de libérer les idées, tout en sensibilisant à la dimension entrepreneuriale de l’exercice d’avocat. C’est Emmanuel Macron, ancien ministre de l’Économie, qui a remis le prix à Astra Libræ : un projet de plate-forme collaborative porté par Laurence Khashimov, Marie Duault et Sarah Bonnet permettant la gestion de carrière et le développement de la communication digitale pour les avocats.

On notera la présence d’un invité surprise juste avant le déjeuner, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, venu répondre au virulent communiqué publié la veille par le CNB sur le démantèlement de la jungle de Calais. Prenant la parole à la tribune, le ministre de l’Intérieur a notamment reproché au président du CNB de renvoyer les avocats qui souhaitent assister les réfugiés vers une adresse email comportant le terme anti-rafle : « Comment peut-on utiliser des concepts de cette nature  ? », tout en expliquant que le démantèlement du camp de Calais est une « opération extrêmement difficile ». Une intervention que Pascal Eydoux définira, non sans une certaine ironie, comme « un beau moment d’information ». Dernier ministre présent ce 14 octobre (mais prévu au programme celui-ci !), le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, qui avait accepté l’invitation du CNB et a souhaité répondre aux thématiques abordées au cours de la journée en rappelant sa considération pour la profession. Dans son discours de clôture, le garde des Sceaux a expliqué qu’il considérait le secret « comme positif quand il assure des protections d’intérêt légitimes » tout en contrebalançant son propos en affirmant que « le secret de l’avocat peut être percé pour autant que la nécessité publique l’exige ». Pour Jean-Jacques Urvoas, transparence et secret sont deux piliers indispensables qui s’équilibrent. Et de citer Guy Carcassonne en conclusion : « Il ne faudrait pas que nous ayons renoncé à un secret maladif pour nous glisser dans une névrose de la transparence ». Pascal Eydoux revient pour Les Petites Affiches sur ce congrès et les défis que doit relever la profession.

Les Petites Affiches – Quelles étaient les principales problématiques abordées au cours de ce deuxième congrès ?

Pascal Eydoux – Ce congrès avait pour thème les questions du secret professionnel et de sa pérennité, ainsi que de la transparence de la vie sociale et économique que de plus en plus de concitoyens et responsables de pouvoirs publics appellent de leur vœux. Nous, en tant qu’avocats, sommes par conséquent d’une part dans les exigences de libertés publiques et de préservation de liberté des individus, et d’autre part dans les exigences du respect par les avocats du secret professionnel. Nous avons abordé la question au regard du droit des individus et du droit des entreprises. Les lanceurs d’alertes étaient aussi une composante essentielle de nos débats à l’aune de la loi dite Sapin II sur la transparence de la vie économique.

LPA – La loi Sapin II va-t-elle modifier la place de l’avocat au sein de notre système judiciaire ?

P. E. – Non, il est hors de question que cette loi modifie le rôle que détient aujourd’hui l’avocat. Et ce pour une bonne raison : les avocats tiennent à leur secret et ils le préserveront, y compris contre les lanceurs d’alertes dont la loi Sapin II souhaite valoriser le rôle. Ce que nous exigeons toujours, c’est qu’indépendamment de la promulgation de cette loi, les avocats astreints au secret professionnel ne soient jamais tenus de s’en départir. De même, il faut que le Défenseur des droits, dont le rôle est de préserver les lanceurs d’alertes, soit toujours lui-même d’une extrême prudence. Car ces procédures ne doivent pas intéresser directement l’exercice professionnel identifié de la profession d’avocat.

LPA – Comment la révolution numérique change-t-elle les conditions d’exercice de l’avocat ?

P. E. – Il s’agit ici de problèmes purement technologiques. La profession d’avocat travaille traditionnellement sur un marché distribué sur des sites identifiés en termes de localisation. Dès l’instant que les nouvelles technologies envahissent également l’exercice de la profession d’avocat, cet exercice va se dérouler sur l’ensemble des sites virtuels que sont ceux des consultations numériques. Les nouvelles technologies nous permettent, dans des conditions de sécurité que nous devons toujours préserver – notamment quant à la confidentialité du secret –, de développer notre activité sur l’ensemble du marché numérique qui s’ouvre.

LPA – La profession sera-t-elle au rendez-vous de ces défis ?

P. E. – Oui, le Conseil national des barreaux a pris de nombreuses décisions et mis en œuvre de nombreux moyens pour adapter l’exercice de chaque avocat sur le numérique. Nous entendons bien développer ce cheminement indispensable, via la création de notre plate-forme, la création du cloud privé ainsi que la création de réseaux virtuels avec les magistrats et les juridictions.

LPA – Plus globalement, quels sont les enjeux pour l’avenir ?

P. E. – Il faut que nous soyons à la fois présents et acteurs, mais aussi que la profession soit capable d’anticiper ce qui surviendra demain sans craindre de développer ses activités sur un champ dématérialisé. Les actions du Conseil national des barreaux démontrent chaque jour à l’ensemble des confrères qu’ils appartiennent à une profession unie qui exerce un métier avec des pratiques multiples et variées. Il est notre rôle de valoriser, porter et unifier ce métier.

LPA – On entend régulièrement des juristes sonner l’alarme sur la situation de la justice, celle-ci est elle aussi inquiétante qu’on le dit ?

P. E. – En réalité, plus que celle de la justice, c’est la situation des juridictions qui est inquiétante. Et il est vrai que les pouvoirs publics, depuis des décennies, ne donnent pas aux juridictions les moyens qui doivent être à leur portée pour assurer le service public que les citoyens attendent d’eux. Un effort budgétaire reste encore indispensable. Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est que la Chancellerie apporte 58 millions d’euros à l’aide juridictionnelle dans le projet de la prochaine loi de finances.

LPA – Est-ce que ce montant est suffisant ?

P. E. – C’est évidemment insuffisant, pour parvenir à une rétribution convenable de l’ensemble des juridictions il faut un doublement du budget de l’aide juridictionnelle. Nous n’en sommes pas là, nous constatons néanmoins que ce complément permet à la profession d’avocat de passer l’année 2017 dans de meilleures conditions. Notre action consiste par conséquent à développer une refonte du système pour les années suivantes, les négociations se poursuivent…

LPA – Sur ces négociations de l’aide juridictionnelle justement, que s’est-t-il passé concernant le quiproquo sur la participation du barreau de Paris ?

P. E. – Je conteste que le barreau de Paris ait été évincé des négociations, c’est ce que dit le bâtonnier, mais je ne le comprends pas. Celui-ci a participé à l’ensemble des négociations en accompagnant le Conseil national des barreaux puisque c’est le CNB qui pilote les négociations. Lorsqu’au mois d’août et au début du mois de septembre, la Chancellerie nous a communiqué les premiers résultats des négociations applicables sur le projet de loi de finances 2017, elle n’a pas jugé utile d’appeler l’ensemble des négociateurs à une table pour recevoir ces informations. Le barreau de Paris peut donc se rassurer, il n’y a aucune difficulté, il participera autant qu’il le souhaite aux négociations à venir puisqu’elles ne sont pas terminées.

LPA – Les conséquences de la loi Sapin II, notamment celle de lutte contre la corruption, ont été largement débattues aujourd’hui. Quelle est la position du CNB sur celle-ci ?

P. E. – Ce que l’on peut dire sur cette loi, c’est que si elle a pour seul objectif d’assainir une situation, les avocats la constateront et lui accorderont toute légitimité. À une condition cependant, c’est qu’elle ne les conduise pas à transgresser les principes essentiels du secret professionnel et de la confidentialité. Ce secret doit être défendu en permanence car il est toujours menacé.