« Le directeur de l’EFB ne décide pas seul »
Symbole de la volonté de renouer le dialogue entre avocats et magistrats, l’École de formation du barreau, EFB, sera dirigée à partir du mois de février prochain par le magistrat Gilles Accomando, jusqu’alors président de la cour d’appel de Pau. Une nouvelle aventure pour cet homme qui a déjà exercé plusieurs métiers et mandats dans la carrière judiciaire et que nous avons rencontré quelques jours avant sa prise de fonctions.
Les Petites Affiches : Dans quel état d’esprit arrivez-vous à la présidence de l’EFB ?
Gilles Accomando : On m’a proposé la direction de l’École et j’ai accepté. Je n’arrive pas avec un programme préétabli, celui-ci va se construire dans l’échange avec le conseil d’administration, au sein duquel sont présents tous les bâtonniers du ressort de la cour d’appel. Je rejoins une équipe solide de près de 50 personnes. Ce qui a trait à la formation des avocats est par ailleurs fixé par le Conseil national des barreaux, qui pose le cadre. L’histoire d’un centre de formation se construit par différentes strates, chacune apportant des éléments en termes de pédagogie et de formation. J’arrive avec l’envie de renforcer la formation et d’améliorer les relations qui peuvent exister entre magistrats et avocats.
LPA : Pensez-vous incarner un resserrement des liens entre avocats et magistrats ?
G.A. : Qu’un magistrat préside l’EFB est une grande nouveauté dans l’histoire récente de l’école. Le bâtonnier Olivier Cousi, en annonçant ma nomination, a en effet dit qu’il fallait y voir un symbole et une volonté de resserrer les liens. Il faut tout de même rappeler que l’EFB n’est qu’une des écoles d’avocats, même si c’est la plus importante. Il en existe d’autres en région, qui ont des liens avec les magistrats à travers des responsables d’associations et des responsables d’école. En tant que magistrat, je suis à la fois un élément extérieur et un observateur attentif des avocats, pour être en contact permanent avec eux. J’ai cependant bien conscience que l’avocat n’est pas qu’un avocat judiciaire. Il a une part de conseil importante, surtout en région parisienne où beaucoup d’avocats ne font jamais de judiciaire. Cela suppose une formation adaptée.
LPA : Qu’allez-vous mettre en place pour rapprocher les professions ?
G.A. : Pour resserrer ces liens, j’ai bien sûr des idées de sessions de formation continue que nous pourrions mettre en place. Je pense aussi que, de même que tous les magistrats font un stage avocat, tous les avocats qui se tournent vers le judiciaire devraient pouvoir faire un stage en juridiction. Je n’en dirai pas plus car cela serait prétentieux de ma part d’arriver en prétendant tout changer. Et le directeur de l’EFB ne décide pas seul.
LPA : Quel a été votre parcours auparavant ?
G.A. : Je suis magistrat. J’ai fait des métiers différents : j’ai été au parquet, j’ai été magistrat spécialisé dans les affaires économiques et financières, notamment à Nice où je me suis occupé, avec d’autres, d’affaires de corruption et de blanchiment d’argent. J’ai exercé des fonctions de président de tribunal et de président de cour d’appel. J’ai exercé des responsabilités en étant président de la conférence des présidents puis de la conférence des premiers présidents. J’ai participé à beaucoup de réflexions passionnantes, en prenant part à différents groupes de travail sur les dernières réformes de justice. Dans ma carrière, je me suis également occupé de la formation des magistrats, en enseignant pendant 7 ans à l’ENM. J’arrive avec une expérience qui, je l’espère, me permet d’apporter quelque chose dans le cadre de la formation des avocats.
LPA : Quels sont vos souvenirs de formateur à l’ENM ?
G.A. : J’en retiens le fait qu’il n’y a pas un modèle de formation idéale. Le directeur de l’époque avait mis en place un nouveau séquençage de la formation. Nous parlions de culture judiciaire et pas seulement d’apprentissage d’actes professionnels. Nous réfléchissions à la meilleure manière de donner à des auditeurs de justice pas seulement des compétences techniques mais aussi le savoir-être, la déontologie, pour devenir de vrais professionnels. J’ai travaillé avec une équipe pédagogique stimulante. Je garde un très bon souvenir de cette expérience. Faire passer un message en tant que formateur est passionnant.
LPA : Comment voyez-vous la relation entre magistrats et avocats ?
G.A. : Magistrats et avocats partagent une éthique commune. Ce sont des métiers différents avec des codes différents mais qui partagent des valeurs communes essentielles : la recherche de la justice, le respect du contradictoire. Les avocats sont les principaux partenaires des magistrats au sein de l’institution judiciaire. Ces deux professions concourent à l’État de droit. On ne peut pas imaginer un État de droit sans qu’il y ait, en plus du tiers qu’est le juge, des avocats qui garantissent les droits de la défense. Il est nécessaire que ces deux partenaires soient bien formés et qu’ils puissent en outre entretenir de bonnes relations.
LPA : Quel regard portez-vous sur la profession d’avocats ?
G.A. : C’est difficile de parler d’une profession. Je crois qu’il y en a plusieurs. Je la vois comme une profession marquée par un fort individualisme, à la croisée des chemins. Elle s’interroge sur son champ d’intervention. La profession commence à faire face au choc du numérique. Le modèle de l’avocat avec un exercice libéral seul doit être remis en question et repensé, dans un contexte de développement du travail en équipe et du numérique. L’avocat est sur un marché concurrentiel avec, d’une part, d’autres professionnels du droit et du chiffre et, d’autre part, d’autres cabinets nationaux et internationaux, surtout à Paris. L’ambition de l’École sera évidemment de permettre aux élèves-avocats d’exercer au mieux. L’accès à la profession est également un sujet de réflexion. Doit-on accéder à la profession par un examen universitaire ou l’accès doit-il passer par le contrôle des avocats ? Il y a beaucoup d’interrogations.
LPA : Pourquoi cette relation est-elle aujourd’hui difficile ?
G.A. : Je pense qu’il y a des éléments structurels et d’autres conjoncturels. Il y a une forte augmentation du nombre d’avocats, et celle-ci n’est pas proportionnelle à celle des magistrats. Il y a une pression des dossiers pour les magistrats, qui ont pour objectif d’en traiter le plus possible. Cela amène parfois à réduire les relations directes entre ces deux professions. À cela s’ajoutent les individualités qui peuvent créer des tensions, comme partout. Mais je ne voudrais pas insister davantage sur ces dissensions, car ce serait leur donner trop de place. Il ne faut pas perdre de vue qu’il est dans l’intérêt du justiciable que le système fonctionne bien.
LPA : Quels sont les défis auxquels doit faire face la justice ?
G.A. : Je participe au Conseil de l’Europe à un groupe d’experts qui travaille sur la qualité de la justice. Nous nous demandons comment améliorer l’accès des justiciables aux tribunaux, comment faire face aux défis de l’intelligence artificielle et de l’open data. Ces sujets vont prendre de l’importance dans les années à venir. J’ai participé à l’élaboration d’une charte européenne sur l’éthique en matière d’intelligence artificielle. Des outils se mettent en place sur le plan numérique pour faciliter l’accès des justiciables, avec notamment la mise en place de services d’accueil unique du justiciable. Il faut tendre vers cela. En ce qui concerne l’open data, c’est-à-dire la mise à disposition des décisions pour le public, la Cour de cassation fait un gros travail. Cela conduit à une réflexion sur la rédaction des décisions et la manière dont on les sélectionne. Quant aux legaltechs, elles viennent bousculer le métier d’avocat, comme elles ont bousculé l’exercice de la médecine. Avant, chaque professionnel avait sa zone géographique déterminée. Désormais, avec ce développement-là, on peut très bien envisager qu’une société implantée dans une ville intervienne sur l’ensemble du territoire. Les avocats vont devoir composer avec cela.