Le HCJP plaide pour l’avocat en entreprise
Le HCJP (Haut comité juridique de la place financière de Paris) a publié en octobre dernier un rapport prônant la création de l’avocat en entreprise. Il vient s’ajouter à la longue liste des plaidoyers pour cette réforme rédigés depuis des décennies, et pour l’instant demeurés lettre morte.
Si l’avocat en entreprise existe un jour en France, il y a fort à parier que ce sera parce que le poids des rapports rédigés en sa faveur aura fini par écraser ses opposants. « Toutes les études commandées sur cette question par les pouvoirs publics depuis plus de vingt ans préconisent un tel rapprochement (Rapports Varaut de 1998, Nallet de 1999, Guillaume de 2006, Darrois de 2009, Prada de 2011 et Haeri de 2017, pour ne citer que les principaux) », note le dernier rapport en date, piloté par Dominique Borde pour le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP). Celui-ci est sorti en octobre dernier. Sans surprise, le Haut comité vante lui aussi les mérites de l’avocat en entreprise pour renforcer la compétitivité de l’économie française. En réalité, c’est la deuxième publication de l’année sur le sujet. Le 26 juin dernier en effet, le député Raphaël Gauvain a publié un rapport intitulé : « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Rédigé à la demande du Premier ministre, Édouard Philippe, ce rapport a pour objet de proposer des solutions pour contrer les prétentions américaines à sanctionner les entreprises étrangères et notamment françaises. Or la principale mesure à mettre en place aux yeux des auteurs, c’est l’avocat en entreprise. Le HCJP, quant à lui, a été sollicité par la Chancellerie. C’est ainsi qu’il a sorti cet avis de 16 pages dont l’objectif ne consiste pas à refaire le travail de réflexion déjà réalisé à de multiples reprises, mais à prendre position sur ce sujet hautement délicat.
Particularisme français
Dans son texte, le HCJP souligne que « l’attractivité de la Place de Paris s’accommode mal du particularisme français, au sein des pays de l’OCDE, consistant à avoir une profession juridique fragmentée entre avocats et juristes d’entreprises ». Cela prive les juristes d’entreprise de la protection de leurs avis et les place en situation d’infériorité par rapport à leurs homologues, au point que certains groupes industriels ou financiers implantent leurs services juridiques hors de France. Cela entrave également la mobilité internationale. « Dans les grands groupes français, l’une des principales attentes pesant sur le directeur juridique consiste à sécuriser la fonction juridique dans les différentes implantations internationales de l’entreprise. Or la meilleure façon de le faire peut être d’expatrier un juriste français que l’on connaît bien et dont on sait qu’il a la culture et l’expérience nécessaires. Seulement comme il n’est pas avocat dans son pays, il risque d’être traité à l’étranger comme un subalterne, comme un « paralegal », ce qui n’est pas acceptable », explique Gérard Gardella, secrétaire général du HCJP et ancien directeur juridique du groupe Société Générale. « Cette particularité française actuelle complique donc la mission du directeur juridique et nuit à la sécurité que l’on lui demande de garantir ».
Pour évoluer dans un contexte de concurrence loyale avec leurs homologues étrangères, les entreprises françaises ont besoin que leurs juristes et les avis juridiques qu’ils émettent soient protégés par un privilège de confidentialité. Le HCJP recommande à cette fin la création d’un statut de l’avocat en entreprise et non pas seulement l’octroi de la confidentialité aux juristes français. « Une solution limitée à la confidentialité ne résoudrait pas la question du statut du juriste français à l’étranger qui constitue une vraie préoccupation », commente Gérard Gardella.
Secret professionnel et confidentialité
Une fois qu’on a dit qu’on était favorable à l’avocat en entreprise, le problème n’est toutefois pas épuisé car il reste à déterminer dans quelles conditions. Or sur ce sujet complexe, tous les détails sont sensibles, que ce soit aux yeux des juristes, des avocats lorsqu’ils sont favorables à la réforme (essentiellement le barreau d’affaires) ou encore des entreprises qui, elles aussi, ont leur mot à dire. Ainsi il faut déterminer qui deviendra avocat en entreprise, notamment parmi les juristes déjà en exercice, quel sera son statut dans l’entreprise, de quelle autorité disciplinaire relèvera-t-il, etc. Le HCJP recommande que le statut d’avocat en entreprise soit ouvert à ceux qui remplissent les conditions d’accès à la profession d’avocat. Celui-ci sera inscrit sur un tableau distinct. Concernant son statut en interne, il demeurerait soumis aux règles régissant la profession d’avocat, le secret professionnel et la confidentialité, celles-ci étant toutefois adaptées pour tenir compte à la fois de l’environnement particulier de l’entreprise et des responsabilités qui leur incombent, précise le rapport. Ce point est important car les entreprises sont un peu réticentes à l’idée d’avoir un avocat en leur sein, craignant que celui-ci ne se comporte comme une sorte d’électron libre. C’est aussi la raison pour laquelle le rapport précise « les rapports entre l’avocat en entreprise et son employeur devrait être soumis au Code du travail et relever, en cas de litige, de la compétence exclusive du Conseil des prud’hommes ». En revanche, il admet la possibilité d’un contrôle disciplinaire par l’ordre sur les questions déontologiques : « le conseil de discipline ou le conseil de l’ordre, selon le cas, devrait connaître des infractions commises par l’avocat en entreprise à ses obligations déontologiques ». Et pour ne pas froisser les avocats cette fois, il est prévu que, lorsque la représentation est obligatoire, l’avocat en entreprise ne pourra ni postuler ni plaider pour le compte de l’entreprise qui l’emploie ou toute entreprise du groupe auquel elle appartient. Ici l’idée est de rassurer la profession sur le fait que cette nouvelle forme d’exercice n’épuisera pas le besoin de conseil extérieur de l’entreprise.
Un rapport de plus donc, pour peser face à la réticence toujours majoritaire au sein de la profession d’avocat. Si le barreau d’affaires et le barreau de Paris sont favorables à l’avocat en entreprise, en revanche, les barreaux traditionnels et de province continuent de considérer que l’essence de l’avocat réside dans son indépendance, ce qui s’oppose à ce qu’il puisse être salarié de son client. À cela s’ajoute l’hostilité de certaines instances pénales, en particulier le Parquet national financier (PNF), mais aussi les autorités administratives : AMF, ACPR, Autorité de la concurrence qui redoutent que l’avocat en entreprise ne vienne s’opposer à leurs investigations. « Dans tous les pays où un statut d’avocat en entreprise existe, il ne constitue jamais un obstacle aux enquêtes pénales ou administratives. Son intérêt concerne les affaires de contentieux civils et commerciaux, mais c’est capital par exemple dans une procédure de discovery car cela protège l’entreprise en limitant les documents qu’elle peut être amenée à transmettre », confie Gérard Gardella. Le HCJP a en effet le mérite d’associer à ses travaux de nombreuses autorités publiques. C’est ce qui explique que nombre de ses propositions trouvent assez rapidement une concrétisation dans un texte législatif. Reste à savoir si cette efficacité particulièrement forte en règle générale parviendra ici à faire basculer le dossier. En l’état, il semblerait que le gouvernement s’oriente vers une solution a minima qui consisterait à accorder le bénéfice de la confidentialité aux juristes d’entreprise. Ainsi, il satisferait ceux-ci sans contrarier ni les avocats ni les autorités judiciaires et administratives. Mais la réforme aurait-elle sa pleine efficacité, c’est une autre histoire… De son côté, le HCJP souligne que cet avis forme un triptyque sur l’offre parisienne de résolution juridique des différends de la place de Paris.