Le rapport Clavel/Haeri veut simplifier, raccourcir et professionnaliser la formation des avocats

Publié le 27/01/2021

La formation des avocats a fait l’objet d’un rapport demandé par le ministère de la Justice. Un groupe de travail présidé par l’avocat Kami Haeri et Sandrine Clavel, professeur de droit à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, présidente honoraire de la Conférence des doyens de droit et science politique et membre du conseil supérieur de la magistrature. Dans ce rapport rendu le 23 octobre 2020, plusieurs points sont abordés notamment l’examen d’entrée aux CRFPA, la passerelle pour les docteurs en droit, la formation et le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). Avec Sandrine Clavel, Richard Legrand, docteur en droit, président de l’Association nationale des avocats et élèves-avocats docteurs en droit (ANAD) est revenu sur ces éléments pour approfondir la réflexion. 

Homme en costume cravate assis à son bureau et corrigeant un document, une balance figurant la justice ou le droit est posée sur son bureau
itchaznong / AdobeStock

Actu Juridique : Le rapport commence par la réforme de l’examen d’entrée dans les centres régionaux de formation professionnelle d’avocat (CRFPA) avec la volonté de modifier le contenu de cet examen en le centralisant sur les connaissances juridiques fondamentales. Quel est votre regard sur cette proposition ?

Sandrine Clavel : La feuille de route, reçue par le groupe de travail, de la part du ministère de la Justice, demandait de parachever la réforme de 2016, dont l’objectif était de nationaliser l’examen. Mais cette réforme n’a permis de faire que la moitié du chemin. On est donc partis de ce constat. Nationaliser l’examen posait une vraie question préalable : savoir si l’organisation et la responsabilité de cet examen d’entrée dans l’école professionnelle devaient être transférées à la profession. Lors des travaux, nous avons entendu les universitaires et les représentants de la profession. Ni les uns ni les autres ne souhaitaient ce transfert. On a donc travaillé avec cette contrainte. À titre personnel, j’aurais été favorable au transfert. Il me semblait légitime que la profession prenne en charge cet examen car les universités préparent les étudiants à l’examen et elles sont dans une situation de juge et partie. Pour finaliser la réforme, sachant que les sujets d’examen sont déjà nationaux, il ne restait plus qu’à nationaliser la correction des copies. Nous avons été guidés par cette logique pour proposer un examen avec des copies « nativement » numériques : les copies sont ainsi téléchargées sur une plateforme nationale, puis réparties de façon aléatoire dans les centres de correction. Cet aspect matériel et organisationnel a été aussi pris en compte pour concevoir la modification du contenu de l’examen. Selon nous, il fallait simplifier, avoir moins d’épreuves car c’est relativement complexe. Nous avons notamment suggéré la suppression de l’épreuve de spécialité. Puis pour donner une dimension plus professionnelle, nous avons proposé d’intégrer un QCM de déontologie des professions juridiques.

Richard Legrand : Nous sommes d’accord avec ce principe de professionnalisation de la formation et des épreuves de CRFPA. Le rapport va dans le bon sens. Nous avons juste des questions à propos de la préparation à l’examen, au sein des instituts d’études judicaires (IEJ). Nous supposons qu’il y aura des adaptations de la formation par rapport aux épreuves. Est-ce qu’il y aura une harmonisation nationale de ces formations pour préparer l’examen, avec la nouvelle épreuve de déontologie ? Comment va se mettre en place ce nouveau dispositif ? En effet, nous allons assister à une révolution des épreuves d’entrée aux CRFPA. Beaucoup d’étudiants se posent la question de la mise en place de ce nouveau système et sur l’organisation au niveau national. Il faut un temps d’adaptation. On aimerait savoir aussi si les professionnels vont avoir la main sur l’enseignement ou y aura-t-il un partage des attributions avec les universités ?

S. C. : Ces questions sont importantes et nous les avons considérées. Deux éléments sont dans le rapport. D’abord, sur l’organisation de l’examen, notamment pour définir les contenus des épreuves, on a bien insisté sur la nécessité d’avoir une phase de concertation entre l’université et la profession car de nombreuses choses doivent être encore définies. Concernant la déontologie, on demande aux candidats d’avoir les fondamentaux de la déontologie des professions judiciaires ; ces fondamentaux pourront être définis à travers une concertation. Ensuite, deuxième élément, nous avons conscience que c’est une petite révolution. Nous avons donc insisté sur le fait que toute réforme devrait a minima aménager un délai de 18 mois entre son adoption et sa mise en application. Dans ce délai, il pourrait y avoir une adaptation de la formation dans les IEJ pour que les étudiants soient prêts aux modalités des nouvelles épreuves.

AJ : Pour être dispensés de l’examen d’entrée aux CRFPA, les docteurs en droit devront effectuer 60 heures d’enseignement du droit dans leur établissement d’inscription, sur 2 ans. Comment le groupe de travail du rapport justifie cette proposition ?

S. C. : Il y a une demande forte de la profession, depuis plusieurs années. Certains veulent supprimer la dispense. D’autres veulent instaurer une demi-passerelle : les docteurs en droit ne passeraient pas toutes les épreuves de l’examen d’entrée, mais ils passeraient toutefois l’actuel grand oral. Cette question était dans notre feuille de route, car il s’agit d’une demande, notamment, du Conseil national des barreaux. Nous n’avons pas souhaité supprimer la passerelle ou même instaurer la demi-passerelle. Les docteurs en droit ne passeront donc pas d’examen. Pour autant, nous avons été desservis par l’actualité pendant nos travaux : il y a quelques doctorats qui peuvent rétrospectivement interroger, avec des doutes sur les modalités de leur délivrance. La profession argumente sa position avec les chiffres de l’échec des docteurs au Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). Ils font valoir qu’il y a très peu d’échec au CAPA et quand il y a des échecs ce sont des docteurs. Je trouve personnellement que c’est une critique injuste : parmi les meilleurs avocats et les plus belles réussites au CAPA, il y a aussi un nombre certain de docteurs en droit. Mais nous avons voulu entendre l’inquiétude de la profession, et nous avons donc renforcé l’exigence avec cette condition d’enseignement. Nous avons choisi ce critère car nous pensions que lorsque les universités font confiance à un doctorant pour enseigner, c’est généralement parce que c’est un bon doctorant.

« À Paris, sur 1 825 élèves avocats inscrits, 15 ont redoublé et le nombre de docteurs concernés atteint environ à peine la moitié de ces personnes »

R. L. : Il faut savoir que le docteur a, du fait de ses compétences et de ses expériences, des qualités recherchées dans les cabinets d’avocat. Nous souhaitons rappeler, tout d’abord, qu’il existe déjà des outils qui permettent de garantir des thèses de qualité avec des logiciels anti-plagiat. Au niveau de la proposition des 60 heures d’enseignement, nous estimons qu’il aurait été plus intéressant de proposer une obligation d’effectuer des stages. On est dans un contexte où l’expérience est demandée. On aurait pu aussi conditionner l’entrée d’un docteur au sein d’une école d’avocat en suivant, durant leur formation, des cours obligatoires en déontologie ou en rédaction d’actes pour mieux les préparer. Enfin, concernant le taux d’échec, il est faible. Par exemple à Paris, sur 1 825 élèves avocats inscrits, 15 ont redoublé et le nombre de docteurs concernés atteint environ à peine la moitié de ces personnes. Donc dire que le taux d’échec est imputé aux docteurs n’est pas tout à fait vrai.

S. C. : D’abord je souhaite réagir sur les chiffres. Je ne sais pas si vous réalisez à quel point les chiffres que vous donnez sont redoutables. C’est donc quasiment la moitié des échecs. C’est précisément ce que disent les avocats. Le ratio d’échec des docteurs est phénoménal par rapport au ratio d’échec des autres. Cela me désole. Je me bats contre ces chiffres. Je pense qu’ils sont trompeurs. Sur les contre-propositions que vous faites, je pense que conditionner l’accès à l’obligation d’effectuer des stages pourrait être une bonne idée, mais elle est vecteur d’inégalités sociales. Effectivement, c’est plus facile d’effectuer des stages quand on appartient à certains milieux ou qu’on a des « relations », qu’on soit bon ou pas bon. Dès lors ce n’est pas forcément un gage de qualité du docteur. Concernant la formation obligatoire en déontologie et en rédaction d’actes, c’est un peu le même souci. Les avocats ne disent pas que les docteurs n’ont pas les compétences d’avocat. Ce sont bien souvent les connaissances et les compétences juridiques de certains d’entre eux qui sont mises en cause. Même si l’université fait énormément d’effort et de travail pour garantir la qualité des doctorats.

R. L. : L’inquiétude profonde des doctorants est celle de la possibilité et de l’opportunité de pouvoir effectuer ces heures d’enseignement. C’est le point le plus sensible qui les inquiète. Les 60 heures d’enseignement couplées aux deux années consécutives au sein de l’école doctorale sont un peu trop restrictives. Il aurait été plus intéressant de permettre aux doctorants de pouvoir enseigner dans d’autres universités. Autre difficulté, tous les doctorants n’auraient pas la possibilité d’enseigner, du fait du manque d’heures disponibles d’enseignement. Le doctorat s’effectue sur trois ans. Il aurait été intéressant de donner la possibilité au doctorant d’effectuer ses heures d’enseignement sur trois ans pour apporter une certaine souplesse. Il y a beaucoup d’étudiants et de doctorants qui n’enseignent pas au sein de leur université par manque d’heures d’enseignement disponibles. Ceux de Paris peuvent donc enseigner en province. Il aurait été intéressant d’assouplir ou de valider ces heures effectuées dans d’autres universités, pour qu’ils puissent bénéficier de cette passerelle et pouvoir intégrer une école d’avocat.

S. C. : Dans beaucoup d’universités, on a en réalité beaucoup moins de doctorants contractuels que de besoins d’enseignement. Dans mon établissement par exemple, on va chercher des docteurs en dehors de notre structure. Notre groupe n’a pas retenu la possibilité d’enseigner dans d’autres établissements que celui d’inscription pour une raison particulière. On a considéré que c’était une façon de responsabiliser les établissements. L’université a un doctorant, elle pense qu’il est bon et elle le montre en lui faisant confiance avec l’attribution d’enseignements. Autre élément de réflexion : si on ouvre à d’autres établissements que celui de l’inscription, on a un problème de définition du périmètre. Si on devait aller vers une ouverture plus grande, il y aurait une réflexion à avoir sur les établissements qui peuvent être dans la nomenclature. On ne peut pas intégrer tous les établissements qui font de l’enseignement supérieur.

AJ : Dans le rapport, des propositions ont été faites pour modifier la formation initiale dans les CRFPA et l’examen du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). L’objectif est réellement de renforcer la professionnalisation et de favoriser la transition vers la pratique du métier d’avocat. Vos regards sur cette logique ?

R. L. : Nous estimons que tendre vers la professionnalisation est une bonne chose. C’est la tendance actuelle. Les épreuves proposées pour le certificat d’aptitude à la profession d’avocat vont dans le bon sens. Après la même question peut se poser concernant l’examen d’entrée au CRFPA : savoir comment la formation va s’adapter avec les futures épreuves proposées pour le CAPA. Il y a aussi une volonté de raccourcissement de la formation en école d’avocat. Nous pensons que c’est une bonne chose de se recentrer sur l’essentiel sur les matières directement liées à la profession. Nous pensons qu’il serait peut-être préférable que cette formation soit sous un format plus pratique avec des travaux dirigés qui permettraient aux enseignants de conseiller ou d’accompagner les élèves durant leur formation. Il y a un point sur lequel on se posait une question. Nous sommes dans un contexte d’internationalisation de la profession. Il me semble que l’épreuve de langue a été supprimée. On ne sait pas si la formation de la langue sera toujours présente dans le cadre du contrôle continu ou si elle a été juste supprimée dans le cadre du CAPA. Enfin, le stage est quand même un élément fondamental et essentiel de la formation. Permettre à un élève d’avoir une meilleure expérience avant d’intégrer la profession va dans le bon sens.

« Tendre vers la professionnalisation est une bonne chose »

S. C. : « Notre objectif était très clair. C’était d’abord de raccourcir la durée de l’école, parce que cela répond à des récriminations récurrentes des élèves avocats, qui ont déjà suivi cinq ans d’études à l’université. Rallonger de 18 mois, c’est-à-dire deux ans puisqu’il y a le temps de prêter serment et s’inscrire, c’est assez long et les élèves avocats n’en peuvent plus. Ils ont envie d’être dans le concret et d’intégrer la profession. On propose donc de condenser la formation théorique sur 3 mois. C’est une formation « théorique », par opposition à la formation pratique lors des stages, mais elle n’est pas du tout une formation de théorie juridique. Notre postulat est que les élèves ont déjà 5 ans de formation juridique, avec les connaissances dont ils ont besoin. On ne va donc pas leur faire des cours de droit. Les 3 mois vont servir à acquérir les compétences professionnelles de l’avocat. C’est le rôle de l’école. Concernant le stage, il doit être vraiment formateur. C’est très dur à contrôler. Nous avons donc introduit l’idée d’un avocat référent : chaque élève aurait un référent pour pouvoir se confier à lui sur les difficultés rencontrées car tous les stages ne se valent pas. Le Conseil national des barreaux a pris un engagement fort : trouver à chaque élève un avocat référent qui pourrait le suivre durant la période de stage et durant les premières années de son exercice professionnel.

R. L. : D’ailleurs, concernant l’accompagnement des élèves pendant leur formation par des avocats référents, nous avions la suggestion d’associer les grandes associations de la profession d’avocat. Elles pourraient épauler les écoles à l’organisation de ce genre d’initiative.

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