Le terrorisme au centre de toutes les attentions
Lors de la rentrée solennelle du TGI de Paris le 23 janvier, tous les discours se sont concentrés sur la lutte contre le terrorisme. Celle-ci est en passe en effet de devenir un contentieux de masse. Les discours témoignent également d’une irritation grandissante des magistrats à l’égard des complexités de la procédure pénale et des avocats qui en usent.
Le TGI de Paris a sans doute plus de moyens que nombre de TGI dans les régions. Et pour cause, il concentre les contentieux les plus complexes, mais aussi les plus sensibles, à commencer par le terrorisme. C’est ainsi que le procureur, François Molins, a indiqué, lors de la rentrée du TGI de Paris le 23 janvier dernier, que les effectifs de son parquet étaient au complet : 134 magistrats dont 13 sont affectés à la lutte anti-terroriste. Il est conscient que cela lui confère un devoir particulier, celui d’utiliser toujours mieux ces moyens exceptionnels qui font tant défaut aux autres parquets.
Terrorisme : 384 dossiers mettant en cause 1 236 personnes
En 2016, les faits constatés à Paris ont augmenté de 2,91 % et le taux d’élucidation de 1,22 %, ce qui le porte à 21,14 %. Le parquet a reçu 354 950 plaintes et procès-verbaux, soit une baisse de 5,61 %. Elles ont débouché sur 15 947 présentations au parquet (+ 22 %), 5 276 comparutions immédiates (+ 0,51 %), 3 215 convocations par procès-verbal (+ 34 %), 3 847 COPJ et 3 105 CRPC (+ 18 %) et enfin 1 642 citations directes (- 2,9 %). Dans ce contexte, le terrorisme occupe une place grandissante. Le procureur évoque deux tendances inquiétantes : l’apparition des tueries de masse en 2016 mais aussi la menace du retour des djihadistes partis en Syrie (693 Français). « Le terrorisme djihadiste est devenu un véritable contentieux de masse : 384 dossiers d’enquête et d’information en cours mettant en cause 1 236 personnes mises en examen ou recherchées au titre de mandat d’arrêt ou de recherche. 355 individus sont mis en examen dont 112 femmes et 51 mineurs ». Le TGI de Paris a choisi la voie de la judiciarisation et une politique pénale qui s’est durcie : « Jusque-là, nous n’utilisions la qualification d’association de malfaiteurs terroriste criminelle que pour les auteurs d’exactions dans le cadre de leurs activités au sein de Daech ou du Fatah al-Cham ou pour les personnes susceptibles de préparer des activités violentes sur le territoire national. Compte tenu de l’évolution de la situation, nous considérons désormais que l’allégeance prêtée à des organisations terroristes et la participation en Irak ou en Syrie à des activités telles que combats, police islamique ou patrouilles armées constituent de fait l’infraction d’association de malfaiteurs terroristes criminelles en vue de commettre des crimes d’atteintes aux personnes ». Comme les mineurs posent des problèmes spécifiques – 122 mineurs ont été signalés au parquet –, François Molins a mis en place un circuit dédié au parquet des mineurs pour centraliser et traiter en temps réel les signalements de radicalisation. Il a par ailleurs institué en janvier 2016 un magistrat référent financier au sein de la section antiterroriste, ce qui a fluidifié les échanges avec Tracfin. De fait, les signalements sont passés de 6 en 2015 à 37 l’an dernier.
La procédure, « cousine de la mauvaise foi » ?
Suite à ces très longs développements sur le terrorisme, François Molins a tenu à saluer l’autonomisation du pôle santé publique en 2014 qui a donné naissance à un pole santé « efficace et dynamique » dont les quatre magistrats du parquet sont spécialisés « et donc en mesure de faire face aux cabinets d’avocats eux-mêmes spécialisés qui assurent la défense des mis en cause et des victimes ». Les saisines sont ainsi passées de 7 en 2011 à 28 l’an dernier. Toutefois, cette réjouissante efficacité liée à l’organisation sous forme de pôle s’épuise, semble-t-il, en cours de procédure. Ainsi le procureur a dénoncé la situation de l’affaire Mediator : « On ne peut que déplorer que, sur six ans de vie de ce dossier d’information qui a été ouvert en février 2011, moins de trois ans aient été consacrés aux investigations et les trois années suivantes aient été exclusivement consacrées à la procédure à la suite des multiples demandes et recours faits par la défense des mis en cause, sans d’ailleurs que ce ne soit terminé. D’aucuns diraient que si la procédure est la sœur des libertés, elle peut devenir la cousine de la mauvaise foi ». François Molins a décidé de travailler sur des propositions de réforme de la procédure pénale. Il n’est pas le seul magistrat qui s’irrite actuellement des lenteurs imputables à la procédure et à ceux qui l’utilisent, autrement dit les avocats.
Lors de la rentrée de la cour d’appel de Paris, les mêmes regrets ont été exprimés par la procureure générale, Catherine Champrenault, qui a évoqué l’insécurité juridique des enquêtes de police et la question des questions prioritaires de constitutionnalité. De même, la procureure nationale financière, Éliane Houlette, en avait fait son cheval de bataille à la rentrée de l’an dernier. À l’occasion de l’affaire Cahuzac, elle a dénoncé la pratique des QPC aux premiers jours de l’audience en février 2016 alors qu’elles auraient pu être soulevées à l’instruction et, plus généralement, les recours exercés en cours d’instruction qu’elle juge en partie dilatoires.
Inquiétude autour des JLD
Si la lutte contre le terrorisme fait du TGI de Paris une juridiction privilégiée en termes d’effectifs par rapport aux autres TGI, la situation est loin d’être idyllique. « Chacun l’aura compris, la priorité donnée au terrorisme, dès lors qu’il existe des postes vacants, ce qui est le cas au TGI de Paris comme ailleurs, fragilise certains services civils tels que les formations en charge du contentieux de la construction, de la responsabilité contractuelle, de la copropriété, du contentieux bancaire et même le service des affaires familiales, a souligné le président Jean-Michel Hayat. En tenant compte des décharges d’activité qu’il est impossible de ne pas intégrer dans l’appréciation réelle des effectifs, le taux de vacance d’emploi pour le siège non spécialisé atteint 10 % et dépasse même 28 % dans les tribunaux d’instance ». Il a aussi et surtout attiré l’attention de l’assistance, et en particulier du ministre de la Justice présent à l’audience, sur la situation inquiétante des JLD. Surchargés de missions nouvelles et toujours lourdes d’enjeux, ces magistrats s’épuisent. « Globalement, sur la seule année 2016, nos dix JLD tous contentieux confondus (…) ont rendu 22 000 décisions, soit une hausse globale d’activité de 9 % d’une année sur l’autre ». Et le président de préciser : « 80 % des JLD exercent cette fonction moins de deux ans, tant elle est épuisante, stressante et anxiogène ». Conséquence, à Paris mais aussi partout en France, il devient de plus en plus difficile de trouver des candidats aux fonctions de JLD.
Toujours très soucieux d’améliorer l’organisation de son tribunal, Jean-Michel Hayat s’est expliqué sur le circuit court en matière de terrorisme qui a suscité l’inquiétude chez les avocats. Ceux-ci ont craint, lorsqu’un article du Figaro a évoqué l’intention du TGI d’envoyer des dossiers de terrorisme en comparution immédiate, une volonté dissimulée de faire de l’abattage pour gérer les stocks. Il s’agit en réalité de permettre au parquet de Paris de traiter par la voie de la convocation par PV, OPJ, citation directe ou comparution immédiate certains délits comme la consultation de sites terroristes. Ce circuit court est opérationnel depuis le 7 février dernier. Les dossiers iront non pas à la 23e chambre spécialisée dans les comparutions immédiates, mais devant la 16e chambre car, rappelle le président, ce n’est pas le mode de poursuite mais bien la nature du contentieux qui détermine la chambre. De même, il entend renvoyer les dossiers de violences physiques ou sexuelles sur mineurs devant la 15e chambre et non plus la 23e chambre dans le même souci d’affecter le plus d’affaires possibles dans les chambres spécialisées. Le TGI soutient également la réforme des cours d’assises spéciales actuellement discutée au Sénat qui réduirait de six à quatre le nombre de magistrats professionnels assesseurs (contrairement aux assises classiques, ces cours ne comportent pas de jury populaires). Contestée notamment par le Syndicat de la magistrature qui souligne la sensibilité de ces dossiers et estime donc qu’ils doivent faire l’objet d’un soin particulier, la réforme aurait le mérite de réduire les ponctions opérées chez les juges des chambres civiles pour constituer les assises alors que le nombre de dossiers de terrorisme croît de manière exponentielle et menace donc le fonctionnement du TGI.
À propos du déménagement aux Batignolles, prévu mi-avril 2018, Jean-Michel Hayat a souhaité donner la mesure de l’événement en évoquant les chiffres. Ce sont près de 1 800 magistrats et fonctionnaires qui vont déménager dans un bâtiment qui accueillera chaque jour 1 500 visiteurs, 700 avocats ainsi que 2 000 à 2 500 justiciables qui se rendront aux 100 audiences dans les 90 salles du nouveau palais. Aux avocats inquiets à l’idée qu’ils ne pourront plus se déplacer avec la même liberté qu’aujourd’hui dans le nouveau palais, le président Jean-Michel Hayat a annoncé l’ouverture de discussions concrètes, service par service, avec le barreau. La rédaction d’une charte de bonne conduite entre avocats et magistrats est annoncée. Elle redéfinira les règles dans un palais qui, visiblement, n’est pas seulement un nouveau bâtiment mais aussi le symbole de l’entrée dans une nouvelle ère judiciaire.