Le tribunal judiciaire de Créteil, une juridiction mieux préparée face au second confinement
Pour sa première année passée à la présidence du tribunal judiciaire de Créteil, Éric Bienko Vel Bienek, aura fait face à de multiples défis. Après un premier confinement dont il a su tirer le bilan, il revient sur les priorités de sa juridiction pour les prochaines semaines, avec une détermination et un optimisme inébranlés.
Éric Bienko Vel Bienek : Ce bilan a pu en effet être réalisé. Sur le plan pénal, nous avons été obligés de renvoyer quelques audiences, mais dans les trois semaines qui ont suivi le début du déconfinement, nous avons réussi à retrouver un rythme presque normal, puisque dans la foulée sont revenus travailler les magistrats, les fonctionnaires et les avocats, juste avant la période des vacations. Le stock a augmenté au pénal, mais de façon raisonnable.
Au civil, nous avons pu continuer les activités, par le biais des règles dérogatoires, comme les procédures sans audience, et en post-confinement, nous avons pu également revenir à un rythme presque normal. Malgré cela, nous restons encore sur des délais de traitement qui sont plus longs qu’habituellement, pour atteindre environ dix mois.
On sent notamment l’impact de cette période sur le juge aux affaires familiales, avec des délais de traitement qui atteignent 12 mois actuellement contre 6 ou 7 mois en principe avant le confinement, sachant que cette année a également été marquée par la grève des avocats. Nous avons donc cumulé du retard sur les premiers mois de l’année 2020 en raison de ces crises successives.
LPA : Qu’en est-il de ce second confinement, même partiel ? A-t-il des conséquences sur le fonctionnement de votre juridiction ?
E.B.V.B. : Contrairement au premier confinement, nous ne faisons pas face à une réduction de nos activités et les audiences prévues n’ont pas été annulées ou renvoyées. Pour le moment, cette décision n’a pour ainsi dire pas d’impact sur notre activité.
Bien sûr, les gestes barrière ont été maintenus, pendant le premier confinement comme après, et ils le sont plus que jamais : lavage des mains, port du masque obligatoire pour tous et dans tous les locaux… Et le changement par rapport au premier confinement est que, cette fois, tout le monde dispose de masques ! Nous avions déjà acté l’accès réduit aux salles d’audience, et cette disposition a été maintenue, par l’établissement de jauges adaptées à chaque salle d’audience. Nous limitons également le nombre d’accompagnants à un seul en général et réservons l’accès au tribunal à celles et ceux qui ont une convocation ou un rendez-vous, afin d’éviter au maximum que les personnes ne se croisent et donc les risques de contamination.
LPA : L’annonce de ce nouveau confinement a-t-il rendu l’ambiance plus anxiogène dans votre juridiction ?
E.B.V.B. : Bien sûr, l’annonce de ce nouveau confinement a renforcé les peurs de certaines personnes, par exemple par rapport à l’utilisation des transports en commun. Mais la situation ne les empêche pas de réaliser leurs missions. Je dois le dire, les personnels du tribunal judiciaire de Créteil sont extrêmement motivés.
Nous avons fortement développé le télétravail afin, précisément, de limiter les déplacements. Ce fut beaucoup plus facile à mettre en place qu’il y a quelques mois. Nous avons par exemple reçu de nouveaux ultra-portables pour les fonctionnaires afin qu’ils puissent travailler de leur domicile, et nous en recevrons encore prochainement. Avec une énorme modification, comparée au premier confinement : les applicatifs vont fonctionner désormais à domicile, et cela change tout pour les fonctionnaires. Cela devrait être effectif d’ici quelques jours. Ces éléments étaient justement ressortis lors de notre bilan et faisaient partie des pistes à développer et à améliorer.
Depuis le printemps, le ministère a fait de gros efforts en rendant effectif le télétravail, même si beaucoup de choses doivent continuer de se faire sur place, au tribunal, comme la tenue des audiences, l’instruction, etc.
LPA : Comment aviez-vous envisagé ce second confinement ?
E.B.V.B. : Nous avons élaboré dans le courant de l’été un nouveau plan de continuité d’activité (PCA) pour tenir compte des leçons apprises du premier confinement, notamment pour compenser l’éventualité d’une perte d’activité très soudaine et rapide. Les risques actuels concernent aussi les cas de figure où plusieurs magistrats dans un service s’avéreraient atteints du Covid-19 ou seraient des cas contacts. Dans ce cas, cela imposerait de réduire la voilure, mais les contaminations se font encore à un niveau modéré.
Tout ce qui a été initié concernant la mise en place du télétravail doit se poursuivre, notamment cette possibilité de travailler à distance, et il nous faut encore développer la dématérialisation. Le confinement a été l’occasion d’accélérer ce processus, même si les conditions ont été difficiles.
LPA : En ce qui concerne Créteil, le monde d’avant sera-t-il similaire au monde d’après ?
E.B.V.B. : Non. Il y aura des évolutions concernant l’organisation au sein des juridictions, par exemple sur la question du présentiel. Nous sommes néanmoins en attente des textes dérogatoires qui modifieront les règles de procédure ou au pénal, la détention provisoire. Nous arrivons à fonctionner mais cela facilitera l’organisation, notamment si des magistrats ne peuvent pas venir donc en cas de pénurie de personnel. Ces textes limiteront également le flux de personnes, dans une démarche prophylactique.
LPA : Le confinement a-t-il eu des conséquences sur le nombre d’affaires traitées par votre tribunal ?
E.B.V.B. : Suite au déconfinement, nous avons pu constater une augmentation des infractions à caractère violent. Concernant les ordonnances de protection, nous avons également constaté une augmentation du nombre de requêtes. Ces augmentations sont assez sensibles et traduisent donc une augmentation assez générale de la violence. Est-ce que les gens se sont retenus pendant la période du confinement, avec petit à petit, des relations de plus en plus difficiles ? En tout état de cause, je crois que les juridictions de la petite couronne connaissent toutes le même phénomène : cela traduit une tension générale dans la société.
LPA : Dans cette période compliquée, quelles sont vos priorités ?
E.B.V.B. : Ma priorité absolue est celle de garantir la santé des personnes qui exercent dans la juridiction, qu’il s’agisse des magistrats, des fonctionnaires ou du personnel qui travaille aux côtés du public. Bien sûr, il est nécessaire que le service public continue de fonctionner, mais cela ne doit pas se faire au détriment de leur santé. Tout cela ne peut se faire qu’un instaurant un dialogue social, avec les organisations syndicales et les instances de dialogue interne, comme avec le CHSCT, ainsi que le Bâtonnier… Ce dialogue est apaisé et se fait avec des gens responsables et qui font preuve d’une véritable préoccupation pour la santé de tous.
LPA : En janvier prochain, cela fera un an que vous êtes à la tête de la présidence du tribunal judiciaire de Créteil. Quel bilan en tirez-vous ? Malgré les difficultés, comment vous y sentez-vous ?
E.B.V.B. : Je trouve que c’est une juridiction passionnante, en dépit du contexte, avec une activité nourrie, des personnes très investies, consciencieuses et impliquées. Par ailleurs, il y a de grands projets de travaux en perspective. Une partie de l’immeuble de grande hauteur sera désamienté. Les travaux débuteront en février ou mars 2021, pour une durée de 4 ans. Grâce à un bâtiment modulaire qui est en passe d’être achevé, les magistrats et fonctionnaires des étages en travaux pourront continuer à travailler. Nous mettrons en place un système tournant, pour des périodes d’environ six mois à chaque fois. Cela sera aussi l’occasion d’une réorganisation des services. Nous nous poserons la question de comment les réimplanter une fois les travaux terminés, il y aura aussi une réflexion à mener sur l’utilisation des surfaces, compte tenu du fait que le nombre de salles d’audience n’est pas adapté à notre activité. Malgré les difficultés, je suis très heureux d’être là.
NDLR –V. L’entretien avec Éric Bienko Vel Bienek, « Le système mis en place a bien fonctionné », LPA 22 juin 2020, n° 154t8, p. 7.