« Le tribunal judiciaire de Versailles fonctionne aujourd’hui à 85 % ! »
Actu-juridique : Un mois après le déconfinement, quel bilan faites-vous de la reprise de l’activité au tribunal judiciaire de Versailles ?
Maryvonne Caillibotte : L’essentiel des fonctionnaires et des magistrats sont aujourd’hui revenus. On est actuellement à une reprise à hauteur de 85 % de notre activité. Dans les premiers jours du déconfinement, on était soumis à deux difficultés. D’abord, l’organisation des règles de distanciation au sein du tribunal, en limitant l’accès au public. Il fallait organiser la présence du public à l’intérieur, organiser des nouveaux espaces de jugement et des nouveaux espaces d’attente. Par exemple, certaines audiences en cabinet, comme les affaires familiales, les procédures avec le juge des enfants ou les délégués du procureur, doivent être réorganisées pour respecter la distanciation. On a aussi limité le public en acceptant uniquement les personnes concernées par les affaires, sans accompagnant. On a rendu obligatoire le port du masque et on a mis à disposition du gel hydroalcoolique, dans la juridiction. Il fallait aussi protéger le personnel, en le dotant d’équipement de protection sanitaire. Ensuite, cette reprise a été soumise à la disponibilité du personnel. Elle dépendait de la réouverture des écoles. La juridiction de Versailles est composée de magistrats et de fonctionnaires qui ont de jeunes enfants. Ils ne pouvaient pas se rendre disponibles, dans les mêmes amplitudes qu’auparavant. On s’est organisé en faisant un état des lieux des disponibilités, en maintenant ou en supprimant certaines audiences. Puis, petit à petit ces difficultés se sont aplanies.
AJ : Comment s’est organisée l’activité juridictionnelle pendant le confinement au tribunal judiciaire de Versailles ?
M.C. : Pendant le confinement, sur le plan juridictionnel pénal, la juridiction a fonctionné à environ 50 % de sa capacité. Globalement, on a concentré l’activité pénale sur le domaine urgent. Cela s’est traduit pour le maintien des audiences en comparution immédiate, qui avaient lieu tous les jours. Le parquet a été amené à traiter essentiellement les infractions au confinement, sous leur forme délictuelle. Nous avons eu des infractions liées aux violences urbaines. Nous avons aussi traité des violences intrafamiliales, au sein du couple mais aussi sur les enfants ou les ascendants. Dans le cadre de certains dossiers, notamment de violences intrafamiliales, nous avons maintenu certaines audiences qui nous permettaient de nous prononcer sur des contrôles judiciaires. Le tribunal pouvait, en fonction des éléments dont il disposait, prolonger ou pas ledit contrôle judiciaire. En raison du confinement, ils ont consisté en une obligation de résider en dehors du domicile. C’était très important, dans ce contexte de maintenir ce type de contrôle. Les différents partenaires ont pu assurer le contrôle judiciaire et maintenir le contact avec les personnes concernées tout en voyant les décisions prolongées par le tribunal. Enfin, il y a eu plusieurs permanences du juge d’instruction, du juge de la liberté et de la détention avec notamment de nombreuses demandes de remise en liberté, du juge des enfants, du juge de l’application des peines. L’activité pénale est celle qui a été la plus maintenue.
AJ : Peut-on dire que l’activité juridictionnelle a résisté face à cette crise sanitaire ?
M.C. : On constate maintenant une capacité de la juridiction à s’adapter à une situation inimaginable. Une juridiction est faite pour recevoir du public et elle fonctionne par rapport à lui. La justice est rendue par les magistrats, assistés des fonctionnaires. Les citoyens viennent se faire juger au pénal ou au civil ou viennent se renseigner. La juridiction est au service du public. Par conséquent, avec la crise sanitaire, le public n’a été accepté que d’une manière résiduelle. Pourtant, on a réussi à imaginer et à appliquer un fonctionnement adapté à la situation. Il a fallu aussi résoudre cette équation impossible : répondre aux injonctions gouvernementales de protection et de respect des règles sanitaires tout en faisant fonctionner, dans le cadre d’un plan de continuité, une activité minimale mais indispensable de la juridiction. Malgré la difficulté, nous y sommes arrivés. Cela démontre une grande capacité d’adaptation de la juridiction et des personnes qui la composent. On a aussi été aidé par des mesures d’exception. Par exemple, le recours facilité à la visioconférence, qui a permis de formaliser une présence des gens devant leur tribunal, tout en les préservant eux, les services de police et le personnel de l’administration pénitentiaire. On s’est retrouvé sur des organisations avec des roulements. On ne les avait jamais imaginées. Nous n’avions pas de repères mais maintenant on sait s’organiser face à ce type de situation.
AJ : La justice a-t-elle été assurée de la meilleure des manières ?
M.C. : Il faut rester humble. Vous savez, quand vous êtes obligés de supprimer des audiences parce qu’il faut limiter le nombre de personnes présentes vous renvoyez des procès pour lesquels les gens attendaient leur jugement, pour lesquels les parties civiles attendaient leur réparation. Vous ne pouvez pas dire que la justice a été rendue de la meilleure des manières. On a fait des choix adaptés à la situation, qui s’imposaient à nous et au public. Les personnes ne pouvaient pas sortir de chez elles. Donc, on n’allait pas faire des audiences sans personne. La situation aurait été mauvaise, si nous avions rendu des décisions de notre côté, sans personne. Tout cela en respectant le principe du contradictoire, de publicité de l’audience et de la justice.
AJ : Par rapport à la surpopulation carcérale et à la promiscuité dans les prisons, quelles ont été les consignes du ministère de la Justice ?
M.C. : À situation exceptionnelle, procédures exceptionnelles. Les situations ont été différentes en fonction des établissements. Par exemple à Poissy, la prison reçoit des détenus avec des longues peines. Il n’y a pas de problème d’encellulement individuel et de surpopulation. Avec l’encellulement individuel, les risques de contamination sont faibles. À l’inverse de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, pour moins de 800 places, vous avez plus de 1 000 détenus. Dans cet établissement, il y avait de la promiscuité, avec l’impossibilité de respecter les règles de distanciation. Il a fallu prendre des mesures comme la suppression des parloirs, avec aucune visite de l’extérieur. Ces dispositions ont été prises pour la protection des détenus et des agents. Il a fallu aussi trouver les moyens de diminuer le taux d’occupation des prisons. Il y a eu des mesures exceptionnelles avec l’octroi de remise de peine liée au Covid-19, puis des assignations à domicile. Ces mesures ont été destinées à des personnes en fin de peine avec des critères de sélection. On a aussi fait sortir des personnes avant la fin de leur peine, en évaluant les risques de réitération. Résultat, avant le confinement, à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, il y avait 1 040 personnes en détention. La semaine dernière, on était à environ 720 détenus.
Référence : AJU67690