« Les avocats doivent se positionner comme chefs d’entreprise »
La profession d’avocat, en pleine mutation, pousse les avocats à intégrer la gestion d’entreprise à leur activité. Pour les accompagner dans cette démarche, le conseil de l’Ordre a créé en 2012 le barreau entrepreneurial, un service destiné à aider les avocats dans la création et le développement de leur cabinet. Laurent Samama, directeur du barreau entrepreneurial et ancien membre du conseil de l’Ordre, et Séverine Vieuille, coach certifié et responsable de la coordination du barreau entrepreneurial, nous expliquent son fonctionnement.
Les Petites Affiches – Pourquoi le barreau entrepreneurial a-t-il été créé ?
Laurent Samama – L’idée de base était de placer les confrères dans une dynamique entrepreneuriale. Lorsque vous créez un cabinet d’avocat, vous créez une entreprise. Et qui dit création d’entreprise dit nécessité d’un accompagnement. Or, les avocats n’ont pas nécessairement la formation ni les réflexes spontanés d’un chef d’entreprise. Ils ont encore une difficulté à considérer et admettre que le droit est un marché concurrentiel dans lequel il va falloir se distinguer. Le barreau entrepreneurial a été mis en place sous le bâtonnat de Christiane Feral-Schuhl en 2012 pour offrir aux confrères qui s’installent ou qui se développent des conseils juridiques, comptables et fiscaux leur permettant de pérenniser leur activité. Les bâtonniers qui lui ont succédé ont renforcé et développé les actions du barreau entrepreneurial. Sous le bâtonnat de Pierre-Olivier Sur, nous avons ainsi sollicité des coachs d’entreprise qui sont venus apporter leur contribution en prenant en compte la spécificité de notre métier d’avocat.
Séverine Vieuille – La présence des coachs était nécessaire, car certains avocats se retrouvent trop rapidement en situation d’échec parce qu’ils n’ont pas pu bien concevoir leur projet. Il faut prendre le temps de préparer son « embarcation », construire un business plan, choisir ses locaux, créer son site internet… comme l’exige tout projet d’entreprise.
LPA – Ce barreau entrepreneurial est-il une école après l’école ?
L. S. – Au moment de sa création, le barreau avait en effet été pensé comme une école : à savoir un programme de formation à suivre pendant plusieurs semaines jusqu’à son terme, pour obtenir une attestation de fin de cycle. Nous avons vite remarqué que cela ne convenait pas aux avocats, qui sont avant tout des praticiens très occupés, tiraillés entre la présence à leurs cabinets, l’étude des dossiers, l’attente parfois interminable aux audiences et la gestion de leur cabinet. Bref, ils ne pouvaient pas être soumis comme des étudiants à un lourd programme de formation ! Nous avons donc opté pour une autre formule afin d’offrir des formations courtes et efficaces.
S. V. – Le barreau entrepreneurial propose environ 90 formations par an, qui portent sur des thématiques précises et très variées : comment bien choisir sa structure juridique, comment mieux gérer son temps de travail, développer son réseau, construire son image digitale, s’affirmer en gestion de clientèle, la conquête du client, comment définir un plan d’action à court terme, quelles sont les bonnes clés de répartition des bénéfices entre associés, comment mesurer et améliorer la rentabilité de son cabinet, etc. Toutes ces formations que l’on souhaite interactives sont gratuites, et se tiennent à la Maison du barreau, lieu connu de tous les avocats parisiens. Elles ont lieu le mardi et jeudi de 9 h 30 à 12 h 30, jours traditionnellement privilégiés pour la formation professionnelle pour une durée de trois heures maximum.
LPA – Quelle est la cible du barreau entrepreneurial ?
L. S. – Tous les avocats peuvent suivre nos formations, mais elles s’adressent plutôt à des avocats qui ont déjà quelques années d’expérience. Lorsque l’on est jeune avocat, on commence souvent son parcours en tant que collaborateur. C’est généralement après une ou deux années de pratique que l’on décide de se lancer dans le « grand bain ». Nos confrères s’interrogent alors sur les modalités d’installation et d’association. Il est important que l’Ordre réponde présent à ce moment-là, comme un véritable partenaire à cet accompagnement. Par ailleurs, il n’est pas rare d’avoir plusieurs aventures professionnelles dans une vie d’avocat, et d’avoir besoin de conseils au moment où l’on change de structure. Les avocats qui fréquentent nos formations ont au minimum trois ans de barre, et en moyenne entre dix et quinze ans d’expérience.
S. V. – Nous accueillons entre 1 500 et 2 000 avocats par an depuis 2012. Nous avons la satisfaction de constater que le barreau entrepreneurial est devenu une « place » où les avocats viennent régulièrement, constituant une véritable communauté avec le sens du partage à l’identique des réseaux sociaux. Cette énergie-là est très intéressante. Certains avocats se sont rencontrés chez nous et ont ensuite décidé de s’installer ensemble. C’était aussi le but du barreau entrepreneurial que de favoriser les rencontres professionnelles.
LPA – Comment se passent ces séances de coaching ?
S. V. – En théorie, le coaching professionnel se fait plutôt individuellement, en tête-à-tête. Nous avons toutefois décidé de mettre en place des ateliers collectifs pour en faire bénéficier le plus grand nombre d’avocats. Ils ont lieu également à la Maison du barreau et peuvent accueillir une cinquantaine de personnes au maximum. Les coachs s’adaptent aux contraintes des avocats et nous avons de très bons retours sur ces ateliers. Cette présence des coachs a donné une dimension plus humaine à nos formations et a favorisé les échanges entre avocats.
LPA – Les avocats peuvent-ils recevoir des conseils personnalisés ?
L. S. – Bien évidemment. Nous avons dédié la journée du lundi à une permanence au cours de laquelle les avocats sont reçus individuellement. Ils peuvent bénéficier de conseils sur des points techniques tels que le choix de la structure juridique de leur cabinet ou la cession de clientèle, par exemple. Lors de ces permanences, les avocats sont reçus par Christophe Der Agopian, responsable des structures professionnelles, détaché du pôle de l’Exercice professionnel dirigé par Luc Lauzet. Un représentant d’une association de comptables agréée – telle que l’ANAAFA, l’ARAPL ou l’ARAAC – est également présent lors de ces rendez-vous ainsi qu’un avocat spécialisé sur ces questions si le dossier nécessite une expertise particulière. Cette permanence est accessible à tous les avocats qui le souhaitent en prenant rendez-vous à l’adresse : [email protected].
LPA – Pourquoi les avocats ont-ils des difficultés à se penser comme des chefs d’entreprise ?
S. V. – L’exercice du métier d’avocat, depuis ces dernières années, a connu de profondes mutations. Or l’avocat qui est un technicien du droit n’est pas nécessairement entrepreneur dans l’âme et n’est pas formé à cela. L’EFB a essayé d’y remédier en mettant en place des modules de formations pour sensibiliser l’élève-avocat à cette dimension entrepreneuriale qu’est le cabinet d’avocat. Avec la crise qui sévit depuis quelques années, les avocats n’ont plus tellement le choix : c’est devenu une nécessité de s’impliquer dans cette démarche et de trouver de nouveaux outils.
L. S. – Les demandes du citoyen et du justiciable sont devenues différentes, et poussent les avocats à penser leur structure autrement. La relation entre l’avocat et le client a évolué depuis que nombre d’informations et de contenus juridique sont accessibles sur internet. Il faut désormais aller chercher de nouveaux marchés, « sortir de son bureau », mettre en avant ses domaines de spécialités… Pour cela, il est souhaitable de proposer des articles à des revues juridiques, de donner des conférences, de participer aux débats d’idées sur les réseaux sociaux. Il faut également réfléchir à un nouveau modèle économique pour son cabinet. C’est la raison pour laquelle des cabinets d’un nouveau type sont apparus dans le paysage et ont pris des initiatives audacieuses qu’il faut encourager car ils proposent un nouveau paradigme du métier d’avocat. Ces réflexions, nous les poursuivons avec Jean-Pierre Grandjean, MCO, membre référent du barreau entrepreneurial.
LPA – Cette nouvelle demande implique par exemple de repenser son site internet…
L. S. – Oui, si vous regardez les sites des cabinets d’avocat, vous y trouverez souvent des spécialités aussi différentes que les baux commerciaux, le préjudice corporel, les divorces, le droit des sociétés alors que le cabinet est de petite taille… L’avocat ne veut laisser aucun champ libre et coche toutes les cases des compétences. Cela est souvent une erreur de positionnement. Les clients ne sont pas dupes et savent que l’on ne peut pas être spécialiste de tout. Si le cabinet est de petite taille ou moyenne, les professionnels de la communication et de la stratégie des cabinets d’avocat recommandent d’organiser son site internet autour d’une ou deux spécialités pour marquer un positionnement fort. L’époque est à la spécialité.
LPA – Le barreau entrepreneurial continue d’évoluer. Quels sont ses nouveaux projets ?
S. V. – Cette dynamique d’encouragement à l’entrepreneuriat se poursuit. Le bâtonnier Frédéric Sicard a décidé de lancer un fonds de soutien créatif au travers du barreau entrepreneurial. Ce fonds a pour mission d’inviter les avocats à innover mais également, dans un souci de solidarité, à apporter un soutien à l’amélioration de la gestion du cabinet. Nous sommes aujourd’hui à une période charnière. La profession d’avocat bouge grâce aux initiatives d’avocats jeunes et décomplexés, qui suivent l’exemple des start-up, vont vers de nouveaux modèles économiques, maîtrisent internet et les réseaux sociaux. Le bâtonnier encourage cette dynamique en donnant « un coup de pouce » aux avocats qui cherchent à innover ou améliorer la gestion de leur cabinet.
L. S. – Pour postuler, il suffit de remplir un formulaire en ligne sur le site du barreau www.avocatparis.org. Les projets seront ensuite examinés en commission. Ce fonds de soutien peut proposer une contribution de 3 000 € par projet. Au-delà de l’apport pécuniaire, c’est une manière de donner de la crédibilité à un projet, de le soutenir dans l’intérêt collectif de la profession. On s’enrichit toujours en partageant.