« Les cabinets d’affaires veulent montrer qu’ils s’engagent pour les minorités »
En dépit de son teint halé et de sa mallette aux imprimés enfantins, c’est un homme pressé que nous retrouvons à la fin du mois d’août. À peine rentré de vacances studieuses, « c’est le seul moment de l’année où l’on peut avancer sur ses dossiers sans être assailli par des mails », explique-t-il, son agenda est déjà plein. Depuis qu’il a cofondé l’association française des avocats LGBT en janvier 2018, Florent Berdeaux, avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit de la famille, n’a plus une minute à lui. Entre un dossier urgent à gérer à l’aube et le premier rendez-vous de la matinée, il a néanmoins trouvé le temps de nous présenter l’association et ses principaux projets.
Les Petites Affiches
Comment est née l’association des avocats LGBT ?
Florent Berdeaux
Nous avons fondé l’association à quatre avocats ; trois Parisiens : Émilie Duret, Clélia Richard et moi-même, et une Marseillaise : Catherine Clavin. Nous nous connaissions très bien tous les quatre, et avions d’ailleurs déjà envisagé de monter un cabinet ensemble – ce que nous n’avons finalement jamais fait ! Nous nous sommes rencontrés au sein de l’association de parents et futurs parents gay et lesbiens (APGL). Nous faisions partie de la commission juridique, qui a pour but d’aider les futurs parents, et de participer à des réflexions sur le droit de la famille. Nous avions tous les quatre envie d’élargir notre action, et de militer aussi au sein de notre profession. Voilà pourquoi nous avons créé l’association en janvier 2018. Les statuts ont été signés pendant les états généraux du droit de la famille.
LPA
D’où vous vient cette envie de militer au sein de la profession ?
F. B.
Quand j’ai prêté serment, il y a dix ans, j’avais déjà envie de m’investir au sein de la profession et de monter ce type d’association. Mais à l’époque, j’avais autre chose à faire. Je me suis donc retrouvé à l’APGL, et cela m’a permis, un temps, de combler mon besoin d’engagement. Je fais par ailleurs également partie de l’Institut du droit de la famille, dont je suis le trésorier. Cela m’intéresse de réfléchir au droit de la famille, qui est ma matière de travail au quotidien. Mais J’avais besoin de m’investir dans quelque chose de moins théorique, de militer pour la défense des droits des personnes LGBT, de m’investir pour la profession. Je considère n’avoir jamais été discriminé en raison de mon orientation sexuelle. Mais on vous fait parfois sentir que l’homosexualité ne va pas de soi. Je vais vous donner un exemple. Quand j’ai fait mon premier stage en cabinet, j’étais en train de me séparer de mon ami. J’ai raconté cela un jour de manière anodine, et mon maître de stage m’a repris, me disant « Tu ne devrais pas parler de cela, tu vas souffrir, cela va te porter préjudice ». Il me le disait comme un conseil, pour mon bien. Cela m’avait étonné, je n’avais pas vu les choses comme cela. Je ne me bats pas pour que l’on arrive avec un rainbow flag sur sa cravate. Mon but c’est que les gens cessent d’être obligés de faire des paraphrases et puissent parler de leur vie, comme les autres, à la machine à café. Je ne revendique rien d’autre que d’exister !
LPA
Comment cette nouvelle association a-t-elle été accueillie ?
F. B.
Nous avons lancé un communiqué de presse à une mailing liste d’avocats. Beaucoup de personnes nous on dit : « Enfin ! Il était temps ! Comment se fait-il que ce type d’association n’existait pas encore ? ». Nous avons eu de très bons retours de confrères souhaitant adhérer, d’autres qui, sans adhérer, accueillaient l’initiative avec enthousiasme. L’accueil institutionnel a également été très chaleureux. Le conseil de l’ordre a été très réceptif et a d’ailleurs organisé avec nous un petit déjeuner le 17 mai dernier, pour la Journée mondiale contre l’homophobie. Nous avons également été entendus par le Conseil national des barreaux et par la Conférence des bâtonniers qui nous a fait parvenir une lettre chaleureuse. Cet accueil enthousiaste a été une surprise totale. Pour moi, monter cette association, c’était d’abord répondre à une envie. J’ignorais s’il y avait un besoin, une attente des confrères, ou si on allait se retrouver entre nous à tourner en rond dans notre bureau…
LPA
Le milieu est donc décidé à faire bouger les lignes ?
F. B.
Il y a une ambiguïté. Nous avons écrit aux 164 bâtonniers qui ont été nombreux à nous inviter au conseil de l’ordre, ou à nous dire qu’ils étaient à nos côtés si besoin. Mais s’ils s’accordent à dire que « c’est formidable que cette association soit créée », ils disent tous également que « ces problèmes n’existent pas dans leur barreau ». Pourtant, il y a encore une frilosité de certains cabinets à mettre par exemple leur collaborateur homosexuel en relation directe avec les clients. J’ai souvent entendu dire des choses comme « Je n’ai aucun problème avec l’homosexualité, mais mes clients, eux, pourraient en avoir ». Un genre de remarque qui ne vaut d’ailleurs pas que pour les homosexuels : vous pouvez entendre le même genre de choses au sujet des gros, des moches… l’apparence joue encore beaucoup dans la profession.
LPA
À qui s’adresse l’association ?
F. B.
Nous comptons une cinquantaine d’adhérents. Notre association n’est pas réservée aux personnes LGBT et il ne nous est évidemment jamais arrivé de demander l’orientation sexuelle à un adhérent. Nous sommes dans une démarche totalement inclusive. Nous tenons par ailleurs à être une association nationale. Pour le moment, la majorité des adhérents se trouve à Paris mais nous avons aussi des adhérents dans d’autres barreaux, et jusqu’à Fort-de-France ou aux Maldives ! Les réunions ont pour le moment lieu à Paris, nous attendons qu’un noyau un peu conséquent se forme dans un autre barreau pour délocaliser certaines réunions. On réunit de gros et de petits cabinets, des gens qui sont à l’aide juridictionnelle et nous disent avoir du mal à payer la cotisation de 50 euros par an, d’autres qui viennent des cabinets internationaux les plus prestigieux en droit des affaires. Certains de nos adhérents sont concurrents mais, sur ces questions, avancent main dans la main.
LPA
Quels sont vos objectifs ?
F. B.
Nos trois principaux objectifs, affichés dans nos statuts, sont la convivialité, la solidarité et le soutien aux confrères qui subiraient des discriminations, ou qui, sans aller jusque-là, souffriraient d’isolement. Nous avons désormais huit mois de recul, et pouvons faire un premier bilan.
La convivialité, ça marche. On sent qu’il y a un plaisir à se réunir autour de points communs. Je ne sais pas, en revanche, si le besoin de soutien est réel. On a eu, au début surtout, des témoignages de confrères de la génération précédente qui relataient des petites phrases, des événements désagréables, et regrettaient de n’avoir pas eu, à l’époque, la possibilité de s’appuyer sur une association comme la nôtre. Mais personne, à ce jour, ne nous à écrit pour nous dire : « J’ai un problème avec mon ordre ». Ce qui est étonnant, car on sait par ailleurs que des problèmes existent. Le rapport du Défenseur des droits fait état de situations de discriminations ou de harcèlement à l’égard des avocats LGBT. Est-ce que cette parole demeure difficile à libérer ? Personne n’est en tout cas venu à nous.
LPA
Que dit le rapport du défenseur des droits ?
F. B.
Le rapport montre qu’il y a des discriminations, mais certains chiffres sont pourtant étonnants. Par exemple, les femmes lesbiennes sont moins nombreuses à relater des faits de harcèlement que les femmes hétérosexuelles. Ce chiffre ne peut qu’étonner, et on peut imaginer qu’il y a derrière un phénomène de musellement ou d’autocensure. Celui-ci touche particulièrement les lesbiennes. Nous le voyons d’ailleurs à l’association : la profession d’avocat est majoritairement féminine, mais nous avons plus d’hommes que de femmes parmi nos adhérents. Dans les retombées du rapport, il a été peu fait mention des discriminations subies en raison de l’orientation sexuelle. Les communiqués du CNB et du Défenseur des droits mettaient en avant d’autres discriminations concernant le genre ou l’origine… Les médias ont donc en toute logique davantage repris ces données-là. Au problème de l’autocensure s’ajoute ainsi celui de l’invisibilité.
LPA
Quelle aide pourrait apporter l’association ?
F. B.
On réfléchit. Nous regardons avec un intérêt ce que fait SOS Collaborateur, une association bien identifiée et connue des Collaborateurs, qui est facilement saisie par les avocats concernés. Est-ce qu’on ne pourrait pas aller encore plus loin et intervenir dans les litiges ordinaux ? Aujourd’hui, l’association ne peut pas intervenir dans une procédure civile, car il lui faudrait pour cela 5 ans d’ancienneté. Quant aux procès ordinal, il n’est pas prévu qu’il puisse permettre de faire intervenir une association. Mais peut-être qu’un jour cela évoluera…
LPA
Vous travaillez à l’élaboration d’une charte à faire signer aux cabinets. En quoi consiste-t-elle ?
F. B.
C’est en effet notre principal projet à ce jour. Cette charte aurait non seulement vocation à poser un engagement du cabinet mais l’engagerait aussi sur des process à mettre en place dans le cas où leurs collaborateurs seraient confrontés à des difficultés en raison de leur orientation sexuelle. Nous avons commencé à réfléchir à cette charte, et avons pris conscience que l’association L’autre cercle, qui milite pour l’inclusion des personnes LGBT dans l’entreprise, en avait déjà mis en place une similaire. Les entreprises signataires s’engagent à être inclusives à l’égard des salariés LGBT et à prendre des sanctions en cas de problème. L’autre cercle a pour particularité d’aller voir directement les grandes entreprises et les ministères, et de soumettre leur charte non pas à un numéro 2 ou aux services des ressources humaines, mais au dirigeant de l’entreprise. Cela a fonctionné : ils comptent des signataires tels que Total ou Aventis, mais aussi quatre grands cabinets d’avocats : Clifford Chance, Hogan Lovells, Herbert Smith, Everheld Sutherlands, très importants en droit des affaires. Dès lors, nous n’avions aucun intérêt à rédiger une charte concurrente. Nous nous sommes rapprochés de L’autre cercle et travaillons en étroit partenariat avec eux pour adapter cette charte, pensée pour l’entreprise, à la profession d’avocat. Les principes resteront les mêmes, mais seront adaptés aux spécificités de la profession libérale. Quand elle sera prête, ce qui devrait être fait à l’automne, nous ferons campagne pour la faire signer par un maximum de cabinets d’avocats. Nous espérons donc une vague de signatures de cabinets d’ici quelques semaines. Je rêve de la faire également signer par des institutions comme le CNB ou le conseil de l’ordre, qui s’engageraient ainsi à protéger leurs salariés.
LPA
Comment ont réagi les cabinets parisiens à l’idée de cette charte ?
F. B.
En juin, l’association a reçu des cabinets afin de les sensibiliser à la signature de la charte LGBT. Nous avons eu la satisfaction d’accueillir quelques-uns des dirigeants des plus gros cabinets du barreau de Paris, comme Bredin Prat, Gide, Herbert Smith. Les quatre cabinets qui ont déjà signé la charte de L’autre cercle étaient également présents et à la disposition des autres pour motiver leurs confrères à la signer également. Beaucoup de ces cabinets nous avaient contacté d’eux-mêmes après la naissance de l’association. Dès le début, ils ont proposé de mettre des salles à disposition, de nous aider à organiser des événements. Cela m’avait d’abord surpris, car ils vivent un peu en autonomie par rapport à l’ordre. Ils nous ont expliqué que pour cette raison, ils avaient besoin de relais pour montrer qu’ils s’engagent.
LPA
Vos soutiens les plus actifs viennent donc des milieux d’affaires ?
F. B.
Le monde des affaires, surtout anglo-saxon, est assez investi dans la défense des personnes LGBT. Les cabinets de droit des affaires ont besoin de pouvoir montrer qu’ils s’engagent pour les minorités. Les clients, au moment des appels d’offre, vérifient que les cabinets soutiennent les droits des personnes LGBT, car eux-mêmes vont communiquer là dessus. C’est donc presque une stratégie d’entreprise d’avoir des collaborateurs LGBT. Ils se moquent de perdre un client raciste ou homophobe car ils considèrent qu’ils en gagnent davantage. Les scandinaves et les anglo-saxons sont bien plus avancés que nous. Ils n’ont pas la même culture que nous et sont foncièrement libéraux. Aux États-Unis, la principale association de soutien aux avocats LGBT a été crée dans les années 1980 et réunit des milliers d’adhérents. Quand ils communiquent sur twitter, c’est pour montrer que tel Sénat local a adopté leurs recommandations… on ne joue pas dans la même cour.