Les défis du nouveau procureur de Paris

Publié le 18/01/2019

Le nouveau procureur de Paris a été installé dans ses fonctions le 4 décembre dernier. La cérémonie a eu lieu dans le nouveau tribunal de Paris, en présence notamment du garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et de la maire de Paris, Anne Hidalgo.

S’il est plus lumineux et, sous certains aspects, plus confortable que le Palais de la cité, le nouveau tribunal de grande instance de Paris n’a évidemment pas la solennité de l’ancien. Aux Batignolles, ni plafonds dorés, ni boiseries polies par les années, ni murs chargés de mémoire. Tout y est blanc et de bois blond, neuf, lisse. On y sent encore, 8 mois après l’inauguration, les odeurs de colle et de peinture des bâtiments fraîchement livrés. Du décorum habituel à Paris lors des cérémonies solennelles, ne subsistait le 4 décembre dernier lors de l’installation du nouveau procureur de Paris, Rémy Heitz, que les robes. Néanmoins, l’assemblée des robes rouges et noires ne manquait pas de solennité.

Gouvernance

Une solennité légèrement assombrie par les accidents survenus ces dernières semaines dans le nouveau tribunal. Ce n’est pas un hasard si le président du TGI, Jean-Michel Hayat, a évoqué au premier rang des défis que Rémy Heitz aurait à relever avec lui dans ses nouvelles fonctions, celui de la gouvernance. La tentative de suicide d’un jeune migrant, survenue le 23 novembre dernier, est venue illustrer de manière tragique les craintes des professionnels de la justice que ne se produise un drame. Les salles d’audience sont installées en effet au-dessus de l’atrium du 1er au 6e étage. Un garde-corps de 1,40 m entoure les coursives. Certes, il a été rehaussé par rapport à la norme qui est de 1,10 m, mais visiblement ce n’est pas assez. De même, les escalators qui desservent les étages ne sont pas protégés par rapport au risque de chute. Or, dans un tribunal, on peut se battre. On peut aussi vouloir se suicider. Il se trouve que la gouvernance du bâtiment n’est pas étrangère à la survenue de cet accident. Juridiquement, c’est le président, Jean-Michel Hayat qui exerce la mission de chef d’établissement. Mais dans le cadre du partenariat public privé (PPP), conclu pour construire le nouveau palais, c’est le partenaire privé justement Arelia, qui est en charge de la maintenance, en coopération avec la Chancellerie qui est signataire du contrat. Le magistrat n’est donc pas seul décisionnaire. Difficulté à laquelle s’ajoute le fait que malgré ses multiples demandes, il n’a pas eu communication des différents contrats conclus avec le prestataire et qui définissent ses missions et obligations. Déjà à la suite de l’incendie survenu le 28 juin sur la terrasse du 29e étage, le président Jean-Michel Hayat avait regretté cette absence de communication. Voilà pourquoi dans son discours, il a succinctement dénoncé « une lourdeur accrue dans la prise de décision liée à la multiplicité des acteurs ».

Grands procès

Le deuxième défi est lié au terrorisme. Plusieurs affaires sont en fin d’instruction et vont être jugées. Or elles sont d’une taille exceptionnelle et vont mobiliser un grand nombre de magistrats sur de longues périodes. Ce qui va imposer à la juridiction de gérer cette situation sans pénaliser le civil, tandis que parallèlement le président s’attend également à une forte montée en charge des juges d’application des peines dont l’activité a plus que doublé en 4 ans, tant en raison du terrorisme que de la réouverture prochaine de la maison d’arrêt de la Santé. Toujours au chapitre de la gestion des moyens, la tenue imminente de plusieurs procès hors normes va constituer également un défi. Le président, Jean-Michel Hayat, a cité à ce sujet un juge d’instruction du pôle de santé publique qui, dans un nouveau dossier, vient d’adresser 750 avis à des victimes et a ordonné 300 expertises médicales. « Nous voyons bien que, tant dans la phase d’instruction que dans la phase de jugement, il nous faut radicalement changer de braquet pour répondre à la demande de centaines, voire de milliers de victimes, face à de multiples prévenus, personnes physiques ou personnes morales qui s’épuisent également dans des procédures sans fin », a souligné Jean-Michel Hayat. Cela va nécessiter à ses yeux des simplifications de procédure et la création d’équipes renforcées et polyvalentes autour du juge. « Or si la loi ne vient pas prochainement consacrer la notion de secret partagé entre le juge pénal et le juge civil permettant à ce titre l’échange d’informations et des passerelles entre ces deux types de procédures l’une visant à identifier des responsabilités pénales l’autre à garantir une indemnisation d’un préjudice, la confusion s’installera », a prévenu Jean-Michel Hayat. C’est pourquoi, il a indiqué attendre avec impatience la seconde partie de la mission confiée à Chantal Bussière. La première partie du rapport évoqué, qui porte sur l’indemnisation des victimes du terrorisme, a été remise à la Chancellerie le 15 mars dernier. Il est notamment à l’origine de la création du JIVAT (juge de l’indemnisation des dommages corporels des victimes de terrorisme). Un autre défi va consister à renforcer la politique « partenariale », notamment avec le barreau de Paris, dont le président Jean-Michel Hayat a brocardé la nostalgie du palais de la cité et le fait qu’il ait refusé de signer la charte des relations avocats magistrats « qui aurait pu aplanir bien des difficultés ». Ce projet de charte définissait en effet des bonnes pratiques censées organiser les relations entre magistrats et avocats dans l’esprit du nouveau tribunal, c’est-à-dire fondées désormais sur des prises de rendez-vous dans le cadre d’un univers cloisonné où les magistrats ne sont plus aussi accessibles qu’avant. Une situation que dénoncent les avocats, lesquels n’apprécient guère d’être considérés comme des étrangers voire des indésirables dans le nouveau palais. D’où le refus du barreau de Paris de signer cette charte.

Un parquet de 130 magistrats et 351 fonctionnaires

Autant dire qu’entre le nouveau paquebot à piloter, les futurs énormes procès à venir, la menace terroriste et les relations parfois musclées avec les avocats, le nouveau procureur Rémy Heitz prend ses fonctions dans un contexte compliqué. Contrairement à son prédécesseur, François Molins, aujourd’hui procureur général à la Cour de cassation, Rémy Heitz n’est pas un pur magistrat du parquet. Il est passé d’une fonction à l’autre, et a présidé notamment le TGI de Bobigny ainsi que la cour d’appel de Colmar. Il a également exercé à la direction des affaires criminelles et des grâces et à la sécurité routière. Se gardant de fixer un programme d’action alors qu’il prend seulement ses fonctions, il a en revanche indiqué dans son allocution, quel procureur il souhaitait être. Le parquet qu’il va piloter comprend 130 magistrats et 351 fonctionnaires. Une énorme machine qui traite chaque année 350 000 procédures. Si le terrorisme demeure la préoccupation première, Rémy Heitz a indiqué vouloir également mettre l’accent sur le traitement de la délinquance du quotidien. Une lutte qu’il conçoit en étroite concertation avec les parquets des trois tribunaux périphériques, Bobigny, Nanterre et Créteil. Évoquant le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, il a salué une « opportunité de faire bouger les lignes (…) en recentrant chacun, davantage qu’il ne l’est aujourd’hui, sur son cœur de métier ». Pour en faciliter la mise en œuvre, il a annoncé dès le vote de la loi, la mise en place d’ateliers, « associant magistrats, du parquet comme du siège, policiers et avocats qui seront chargés d’étudier et de proposer les modalités pratiques d’application des très nombreuses mesures contenues par ce texte ».

L’indépendance selon Pierre Truche

Le procureur de Paris est, on le sait l’un des postes les plus sensibles en raison de l’importance des dossiers qu’on y traite. Rémy Heitz a livré sa vision de l’indépendance qu’il emprunte à Pierre Truche : « Plutôt que de se proclamer sans cesse indépendant comme par exorcisme, être lucide sur ses propres dépendances : envers soi-même, envers ses convictions personnelles qui, devenues préjugés, empêchent de juger, envers son savoir dont les insuffisances peuvent limiter la compréhension ; envers les autres, qui, au-dessus et alentour, invoquent la dimension politique ou arguent du droit à l’information pour orienter. Au milieu de cette agitation, faire son choix dans l’immobilité de son cœur et de son esprit ». Et Rémy Heitz d’ajouter : « Je veillerai à ce qu’inspirés par ces lignes de conduite, nous puissions agir dans la sérénité, à l’abri des pressions et soucieux d’éviter toute instrumentalisation de notre activité ». Il a souligné également qu’il serait attentif au respect de la présomption d’innocence et qu’il se montrerait « très ferme envers les éventuelles violations du secret de l’enquête ou de l’instruction, un secret auquel l’ensemble de ceux qui concourent à la procédure pénale sont tenus ». Quant aux relation qu’il envisage avec le barreau, il les conçoit ainsi : « Nous travaillerons désormais ensemble à la poursuite de relations empreintes de considération et de confiance réciproques, toujours mus par le seul intérêt qui vaille, celui de l’humain ».

Rémy Heitz a achevé son discours sur une déclaration qui intéressera les avocats, mais aussi l’OIP et toutes les associations en lien avec la pénitentiaire. La réouverture de la maison d’arrêt de la Santé en janvier va représenter 1 100 places supplémentaires. Pour le procureur de Paris, cela doit permettre de soulager Fresnes, Fleury-Merogis ou Villepinte. « L’objectif n’est pas d’incarcérer davantage. Si cette augmentation de capacités se traduisait par une hausse corrélative et dans les mêmes proportions de la population pénale en Ile-de-France, ce serait un échec, un échec collectif. L’histoire de nos prisons est riche d’enseignements à cet égard. Je serai très vigilant sur ce point ». Beaucoup de spécialistes affirment en effet que plus on construit et plus on incarcère, de sorte que bâtir de nouvelles prisons n’améliore jamais le sort des détenus. Il sera intéressant d’observer dans les mois à venir si cette règle se confirme ou non.

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