Les difficiles relations magistrats-avocats

Publié le 11/04/2018

Opposés par le débat judiciaire, les magistrats et les avocats voient parfois leurs échanges devenir conflictuels. Pour en débattre, le Conseil national des barreaux et l’École nationale de la magistrature ont organisé un colloque le 9 mars dernier, à Paris. Pour Manuel Ducasse, avocat à Bordeaux et président de la commission de formation professionnelle CNB le propos était très proche de la réalité de leurs relations, avec des visions différentes mais aussi convergentes !

Sur le thème « Éthique de la relation judiciaire : magistrats et avocats », l’École nationale de la magistrature (ENM) et le Conseil national des barreaux (CNB) ont organisé un colloque le 9 mars dernier, au tribunal de grande instance de Paris. Cette session d’une journée proposait, par des regards croisés, de réfléchir aux valeurs partagées et à la réalité des relations entre avocats et magistrats. Elle faisait suite à un autre colloque de la Cour de cassation le 30 novembre 2017, consacré à une réflexion sur les problèmes posés au quotidien par des déontologies croisées dans les juridictions et la manière de les faire évoluer.

Durant le débat judiciaire, les avocats et les magistrats deviennent adversaires, chacun avec des règles déontologiques et disciplinaires propres à sa profession. Il arrive parfois que ces relations dégénèrent ainsi que la qualité de leurs échanges alors qu’ils concourent à un objectif commun, celui de contribuer au bon exercice de la justice. La question était également de savoir si les évolutions récentes, architecturales et numériques, ont eu un impact sur les fondements traditionnels de leur dialogue. Le colloque s’est ouvert avec les deux allocutions d’Olivier Leurent, directeur de l’École nationale de la magistrature et de Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, qui ont exprimé les visions de chacune des professions. « Il y a eu une participation importante avec un échange vivant qui prouve que ce thème correspond à un souci partagé des avocats et magistrats », affirme Manuel Ducasse, avocat à Bordeaux et président de la commission de formation professionnelle du CNB.

LPA 

Quel était l’objectif de ce colloque ?

Manuel Ducasse 

C’était une journée fort intéressante, l’idée était de permettre aux avocats et aux magistrats de confronter leurs expériences dans la mise en œuvre de cette relation privilégiée dans l’activité judiciaire. Celle-ci, ancienne et permanente, doit être régulièrement interrogée pour faire le point sur ce qui se passe. Cela permet d’œuvrer à une amélioration lorsqu’on constate des points de tension et de nous expliquer sur un certain nombre de sujets. Ainsi, l’éthique de ce lien est à la base de notre réflexion ! Les allocutions d’ouverture d’Olivier Leurent et de Christiane Féral-Schuhl ont posé les données du problème avec des visions différentes mais convergentes. Au-delà des relations qui sont globalement satisfaisantes, il y a des sujets qui nous interrogent, notamment dans la pratique pénale. La mise en œuvre de la mission de défense pénale de l’avocat qui n’en fait pas l’auxiliaire du magistrat, le place en position de conflit assumé.

LPA 

Quelles sont les sources de conflit ?

M.D. 

Nous ne sommes pas en position similaire car les magistrats ont une place institutionnelle bien précise et le rôle des avocats n’est pas celui d’être au service des magistrats. L’avocat doit assumer son rôle de représentation de son client et, en matière pénale, les obligations de la défense peuvent parfois entraîner des prises de position qui sont mal vécues par les uns ou par les autres. Parfois, les magistrats voient, face à leur autorité, la mise en œuvre de systèmes de défense qui ne leur conviennent pas. Cependant, c’est la loi qui donne cette mission à l’avocat dont il ne peut pas se départir même si c’est au prix de conflits locaux et temporaires avec certains magistrats. Bien sûr, il y a aussi le lot inévitable des rapports humains avec des différends dans certaines juridictions ou avec certaines personnes… Mais à l’arrière plan, cette différence de situation procédurale génère des prises de position du magistrat d’une part, et de l’avocat, d’autre part. Cependant, ce sera le juge, à travers la décision judiciaire, qui aura le dernier mot.

LPA 

Comment les échanges traditionnels ont-ils évolué ?

M.D. 

Un des éléments qui modifie les échanges, c’est celui de l’organisation des palais de justice. Pendant longtemps, le palais de justice a été le lieu privilégié de l’échange avec la salle des pas perdus. Les avocats et les magistrats bavardaient sous la foi du palais, c’est-à-dire l’assurance que la confidentialité serait conservée par votre interlocuteur, quel qui soit. Mais les impératifs de sécurité, portés par la ministre de Justice, détruisent cette liberté d’échanges avec des accès contrôlés, voire interdits… Dans le nouveau palais de justice de Paris, les avocats auront une carte d’accès. Ailleurs, ce n’est pas aussi simple et ça donne lieu à des tensions. Les avocats ne comprennent pas qu’ils soient écartés de certaines parties du palais de justice, plus sécurisées, notamment les cabinets d’instruction. De plus, les emplois du temps des uns et des autres sont plus contraignants, les dossiers s’entassent, cela laisse moins la possibilité d’échanger dans la salle des pas perdus ou ailleurs.

LPA 

Y-a-t-il un impact du numérique qui réduit les échanges ?

M.D. 

Est-ce que le numérique entraîne une déshumanisation de la relation avocat-magistrat ? C’est partiellement vrai, notamment dans les procédures civiles de mise en état, au tribunal de grande instance. Pour ma part, je ne suis pas convaincu que ce soit un réel problème. Le numérique nous évite de perdre du temps dans la mise en état des dossiers qui se fait par échanges de mails maintenant. Nous sommes moins obligés d’aller au palais mais cela ne va pas au-delà.

LPA 

Quelles sont les solutions pour réduire les tensions existantes ?

M.D.

Il s’agit de reprendre un certain nombre de pratiques qui existent déjà et d’essayer de les systématiser. Par exemple, on règle 90 % des frictions éventuelles au niveau institutionnel, grâce aux relations indispensables entre le bâtonnier et le chef de juridiction. Il semble que cela fonctionne bien et c’est nécessaire à la bonne organisation des juridictions. L’idée est donc de renforcer cette relation institutionnelle et même d’augmenter la fréquence des rendez-vous pour prévenir les conflits.

Nous avons aussi abordé l’expérience de la justice restaurative à Lyon qui est un exemple de collaboration plus active entre le magistrat et l’avocat. Cette forme de justice, pratiquée en matière pénale, rétablit la relation entre la victime et l’auteur de l’infraction avec l’intermédiaire d’un tiers. C’est intéressant car cela va au-delà des règles procédurales entre magistrats, avocats du prévenu et avocats de la partie civile.

Enfin, la solution serait aussi de renforcer les formations communes qui sont des lieux de rencontres. Il y a déjà des élèves-avocats qui participent aux directions d’études de l’EMN et les auditeurs de justice suivent trois mois de stage dans des cabinets d’avocats. Une formation strictement commune n’est pas à l’ordre du jour en France mais cela n’empêche pas de se retrouver sur des thèmes qui nous concernent tous dans nos exercices professionnels respectifs. Durant la journée, il a également été décidé qu’il y aurait au moins un colloque commun par an ENM/CNB ce qui illustre cette volonté.