Installation de Rémy Heitz : les relations entre avocats et magistrats en passe de se réchauffer ?

Publié le 27/09/2021

Rémy Heitz a été installé dans ses fonctions de nouveau procureur général près la Cour d’appel de Paris ce lundi 27 septembre, en présence notamment du garde des sceaux Eric Dupond-Moretti et de l’ancienne ministre Nicole Belloubet.

Installation de Rémy Heitz : les relations entre avocats et magistrats en passe de se réchauffer ?
Installation de Rémy Heitz, lundi 27 septembre, dans ses fonctions de Procureur général près la Cour d’appel de Paris, à la première chambre  (Photo : P. Cabaret)

Etrange ambiance au palais de la Cité, ce lundi 27 septembre. Alors que le procès des attentats du 13 novembre 2015 fait relâche le lundi, la cour d’appel a profité d’un allègement tout relatif de l’activité et du dispositif de sécurité pour organiser l’installation de Rémy Heitz à son nouveau poste de procureur général. Il occupait jusque-là les fonctions de procureur de Paris, poste où il avait succédé en novembre 2018 à François Molins. Dans ce palais à demi condamné et quasiment désert, les invités se pressaient dans la première chambre comme avant la crise sanitaire. Une ambiance nettement plus chaleureuse qu’à la dernière rentrée solennelle où quelques chaises éparses et placées à bonne distance les unes des autres accueillaient à peine 10% du public habituel.

« Entretenir l’esprit des états généraux de novembre 2019 »

On dit de Rémy Heitz qu’il mène sa carrière la vitesse de l’éclair. Cette nomination confirme un parcours qualifié par ses pairs d’exceptionnel

On dit aussi que c’est un homme doux et courtois. En cela, il tranche avec celle qui l’a précédé, Catherine Champrenault, dont la rigidité en particulier avec les avocats fut à l’origine des tensions autour de l’affaire Nioré, mais aussi des dissensions avec l’ancienne patronne du Parquet national financier Eliane Houlette qui ont éclaté au grand jour à l’occasion des auditions devant l’assemblée nationale menées par le député Ugo Bernalicis. Avant son départ le 30 juin dernier, Catherine Champrenault a fait appel de la décision de l’ordre de Paris blanchissant l’ancien délégué aux perquisitions des accusations qu’elle portait contre lui. Vincent Nioré  demeure à ce jour convoqué le 18 novembre prochain devant la cour.

Alors que la tension entre avocats et magistrats est encore montée d’un cran à la suite de l’affaire Sollacaro, le renoncement du nouveau Procureur général  aux poursuites contre celui qui sera le vice-bâtonnier de Paris à compter du 1erjanvier prochain constituerait un geste d’apaisement. Il serait d’autant plus bienvenu que le gouvernement a pour sa part renoncé aux poursuites contre le magistrat d’Aix-en-Provence qui avait expulsé Me Sollacaro manu militari de la salle d’audience puis jugé les prévenus sans leurs avocats. Quitte à effacer une ardoise, autant les effacer toutes. Le bâtonnier de Paris Olivier Cousi était présent à la cérémonie, de même que la future bâtonnière Julie Couturier, et les anciens bâtonniers de Paris Marie-Aimée Peyron et Pierre-Olivier Sur. Mais pas Vincent Nioré, dont on murmure qu’il n’aurait pas été invité.  Un regrettable oubli certainement. Rémy Heitz n’a abordé le sujet des tensions entre avocats et magistrats lors de son discours qu’indirectement en soulignant que tout le monde était en  quête « de sérénité, d’équilibre et de mesure ». Il a invité les professionnels de justice à se concentrer sur ce qui les rassemble, l’éthique et la déontologie, et à « entretenir l’esprit des états généraux de novembre 2019 ».  Ces derniers avaient été réunis à la suite de l’expulsion brutale par les forces de l’ordre d’une avocate hors du bureau d’une magistrate….Depuis lors, la situation ne s’est pas réellement améliorée.

Installation de Rémy Heitz : les relations entre avocats et magistrats en passe de se réchauffer ?
Jean-Michel Hayat, premier président de la Cour d’appel de Paris (Photo : P. Cabaret)

Concernant les dossiers relatifs au fonctionnement de la Cour qui attendent Rémy Heitz,  le premier président Hayat, toujours pragmatique,  a profité de la cérémonie pour évoquer les travaux les plus urgents. Il est ainsi prévu d’accroitre la performance de la chambre de l’instruction dont les délais de traitement ralentissent les neuf tribunaux du ressort avec la création d’une 8e section et la réduction des vacances de postes. Un « énergique plan d’action » doit être mis en œuvre « sans délai », a prévenu Jean-Michel Hayat qui se dit soucieux de rendre tout son sens à l’expression de « délai raisonnable ». Autre chantier au programme, la création d’un bureau d’exécution des peines « qui permettra au 15 chambres correctionnelles d’avoir la certitude de la mise en exécution de leurs décisions » a précisé le premier président.  Enfin, il a évoqué l’engorgement des assises qui constitue une « préoccupation majeure de l’ensemble du ressort ». « Nous sommes passés de 313 procédures criminelles en attente de jugement en 2019 à 477 au printemps 2021. C’est une hausse vertigineuse » a insisté  Jean-Michel Hayat. Or, la situation va s’aggraver car plusieurs dossiers de crimes contre l’humanité sont en passe d’être clôturés.  Cela imposera des sessions d’assises en continu en 2022. D’ores et déjà, il est prévu deux nouveaux postes de présidents d’assises qui seront donc 22 l’an prochain. Il a également signalé la nécessité d’envoyer des renforts d’effectifs à Créteil et Evry les deux étant « clairement sous-dimensionnés ».

Installation de Rémy Heitz : les relations entre avocats et magistrats en passe de se réchauffer ?
Rémy Heitz à l’issue de la cérémonie en compagnie du ministre de la justice Eric Dupond-Moretti  (Photo : ©P. Cabaret)

Si la charge de procureur de Paris est sensible, celle de procureur général est lourde. La cour d’appel de Paris traite 10 000 procédures par an. Son ressort comprend  9 tribunaux judiciaires, ce qui représente 1500 magistrats dont 400 parquetiers, 3650 greffiers et fonctionnaires de greffe pour un budget de près de 500 millions d’euros. Rémy Heitz connait les tribunaux du ressort, en particulier celui de Bobigny qu’il a présidé durant 5 ans.  Ce n’est pas non plus sa première cour d’appel puisqu’il a exercé les fonctions de premier président à Colmar. Tout au long de sa carrière, le nouveau procureur général a fait des aller-retour réguliers entre l’administration centrale, en particulier à la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et les juridictions. Parmi ses faits d’armes, ceux qui le connaissent citent son action très engagée lorsqu’il était délégué interministériel à la sécurité routière de 2003 à 2006 pour faire baisser le nombre de blessés et de morts sur la route. Concernant les points les plus controversés, il y a sa nomination à Paris que l’on dit avoir été téléguidée par Emmanuel Macron et sa gestion de la crise des gilets jaunes, jugée excessivement répressive par certains qui l’accusent d’avoir entravé la liberté de manifester.

Préserver l’indépendance et l’autonomie de décision du parquet

A propos de ses nouvelles fonctions, Rémy Heitz a rappelé qu’au terme du code de procédure pénale, le rôle du procureur général  consiste à décliner la politique pénale et harmoniser les pratiques des parquets. Un exercice d’autant plus complexe que le ressort de la cour d’appel de Paris est si vaste qu’il englobe deux régions administratives, l’Ile-de-France et la Bourgogne Franche-Comté. Des marges de progression importantes ont été relevées dans le rapport de l’inspection générale de la justice concernant le fonctionnement du parquet général, Rémy Heitz a entendu la leçon. Il entend travailler notamment sur l’amélioration du traitement des violences faites aux femmes, la justice de proximité, la cybercriminalité, ou encore les délits économique et financier. Et il veut le faire en lien avec ses collègues du siège pour « faire émerger des projets de cour et de juridiction ». A titre d’illustration des problèmes concrets à résoudre, les bracelets anti-rapprochement sont encore très peu utilisés dans le ressort de la Cour comparé à d’autres juridictions. Un des chantiers va consister à identifier les blocages et les lever. Convaincu que certaines politiques pénales doivent être pensées au niveau de l’Ile-de-France, le nouveau chef du parquet général est décidé à réactiver les travaux à cette échelle, notamment en coopération avec Versailles. Enfin, au chapitre des sujets sensibles, Rémy Heitz n’a pas éludé la délicate question des remontées d’informations vers la Chancellerie. Le lien entre les parquets et ministère n’est pas aisé car il suscite « suspicion, critiques, fantasmes ». Rémy Heitz s’est engagé à ce que cette charge puisse s’exercer sans que jamais ne soient remises en question l’indépendance et l’autonomie des magistrats du parquet dans la prise de décision.

La cérémonie s’est poursuivie par un cocktail non pas comme il est d’usage dans la salle des pas perdus, transformée en forteresse pour le procès des attentats du 13 novembre, mais au premier étage de la Cour. Et pour la première fois depuis des mois, la vie judiciaire a semblé reprendre comme avant la crise sanitaire, y compris dans ses traditions de rassemblement si précieuses à la bonne entente entre professionnels de la justice.

 

Installation de Rémy Heitz : les relations entre avocats et magistrats en passe de se réchauffer ?
Nicole Belloubet et Eric Dupond-Moretti échangent à l’issue de l’audience d’installation (Photo : ©P. Cabaret)

 

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