L’heure de l’IA et de la blockchain a sonné dans le milieu notarial
La quatrième édition du forum Technologies et Notariat, TechNot’, était organisée le 17 juin dernier à Paris. Après 15 mois d’une crise inédite, qui a bouleversé les activités des métiers du notariat, professionnels et porteurs de projets digitaux se sont rencontrés pour échanger sur les enjeux et perspectives du numérique dans l’écosystème notarial. Marc Cagniart, notaire à Paris, et premier vice-président de la chambre des notaires de Paris, a participé à l’organisation du forum.
Actu-juridique : Quel bilan dressez-vous du forum Technologies et Notariat « TechNot’ » 2021 ?
Marc Cagniart : L’événement était à l’image de ce que l’on vient de traverser, inédit. Il s’est tenu en phygital. Il y avait ainsi 950 inscrits, avec une grande partie des participants qui a suivi à distance cette journée d’échanges et de débats. Une quarantaine d’exposants étaient, quant à eux, présents au Pavillon Cambon dans le Ier arrondissement de Paris, pour exposer leurs services et échanger avec les professionnels.
Le forum a été l’occasion de tirer les premières leçons de la crise sanitaire pour le monde du notariat et notamment la révolution numérique qu’elle a engendré. En l’espace de quelques jours, en mars 2020, nous sommes passés à un exercice de nos professions entièrement à distance. La dématérialisation des dossiers et la signature des actes électroniques se sont développées à grande vitesse. Nous avons ainsi pu échanger, durant toute une journée, sur les effets de ces bouleversements sur nos métiers.
AJ : Plus globalement ce forum, dont c’était la quatrième édition, a pour objectif d’appréhender les enjeux technologiques pour l’activité des notaires et leurs clients…
M.C. : En effet, les enjeux technologiques ne sont pas nés de la crise. Cela fait plus de 20 ans que notre profession se digitalise. Dès 2000, la loi française autorisait la signature de l’acte authentique par voie électronique. Les notaires ont d’ailleurs une avance certaine sur le sujet par rapport aux autres professions du droit.
En 2018, la chambre des notaires de Paris s’est dotée d’un « fonds d’innovation » doté de plus de six millions d’euros pour développer de nouveaux outils numériques, en lien avec l’intelligence artificielle et la technologie blockchain, avec pour objectif d’améliorer nos services. Ainsi, plusieurs chantiers ont été lancés récemment et certains ont été présentés lors du TechNot’.
Je pense par exemple à l’application Automated Valuation Model (AVM), outil d’évaluation de prix des logements en Île-de-France, fondé sur un algorithme très performant. Cette application, très ergonomique, nous permettra, dès la rentrée 2021, à nous notaires, mais aussi à nos clients, d’avoir instantanément une idée de la valeur d’un bien immobilier. Nous pourrons, par exemple, alerter beaucoup plus efficacement un client, dans le cadre d’une succession, que la valeur indiquée de son bien est surévaluée et qu’il prend des risques fiscaux à ce propos.
Nous travaillons également en ce moment au projet « VictorIA », un chantier innovant d’intelligence artificielle (IA) au service de la pratique notariale. Actuellement, lors de la cession d’un actif immobilier important, type immeuble, les notaires doivent traiter et classer des quantités très importantes de documents : permis de construire, certificats de superficie, plans, baux, assurances, etc. C’est un travail fastidieux, chronophage, qui représente un défi organisationnel pour le quotidien des notaires. Le recours à l’IA nous offre l’opportunité de développer un outil innovant d’identification, de classification, et d’extraction automatiques des documents essentiels. Et d’envisager ainsi un gain précieux en termes de sécurité juridique, de temps et de productivité pour nos métiers. Pour parvenir au développement opérationnel de cet outil, il faut bien sûr apprendre à la machine à connaître et à reconnaître tous les types de documents que traitent habituellement les notaires. C’est un défi immense, qui mobilise de nombreux notaires et collaborateurs de la compagnie. À terme, « VictorIA » permettra d’optimiser considérablement le traitement de données au sein des offices.
AJ : L’image d’un métier aux lourds process n’est donc plus d’actualité ?
M.C. : Non, cette image peut encore coller à la peau du notaire, mais elle est erronée. Quand j’ai commencé mon activité, dans les années 1990, j’ai évidemment exercé un métier juridique, mais j’ai aussi appris à devenir informaticien et chef d’entreprise. Les capacités offertes par l’informatique, par exemple, ont été très vite exploitées dans les études de notaires, bien avant d’autres professions. Aujourd’hui, dans toutes les études, les outils numériques sont de très haut niveau. Les notaires ne sont pas les représentants d’une profession arc-boutée dans un autre temps. Ils sont inscrits dans leur époque et bien souvent en avance sur d’autres professions du droit.
AJ : Les processus développés lors des confinements, et notamment la signature électronique d’actes authentiques, perdureront-ils après la crise ?
M.C. : Les comportements des notaires, collaborateurs et des clients ont profondément changé ces derniers mois. Certains n’ont qu’une envie, c’est de revenir dans les études pour travailler ou y signer des actes. Et pour d’autres, les avantages acquis avec les outils numériques restent l’option la plus utile ou la plus pratique. Ces approches sont je pense, complémentaires. La visioconférence est-elle utile quand on est distants de quelques centaines de mètres seulement ? A contrario, doit-on attendre des semaines pour signer un acte quand les parties concernées sont séparées par des centaines de kilomètres ? Il faut donc user des deux approches, avec bon sens. C’est ce qui perdurera dans le temps. Si le mode de la visioconférence accélère des procédures il paraît évident de l’utiliser, si ce n’est pas le cas, le présentiel paraît alors justifié.
C’est aussi cette réflexion qui a conclu les échanges que nous avons pu avoir avec les participants du forum TechNot’ sur le télétravail. L’écosystème notarial évoluera vraisemblablement vers un modèle hybride, combinant travail à la maison et en office.
AJ : Des professionnels ont parfois exprimé leur inquiétude quant à l’expansion dans votre activité de l’IA et plus généralement des outils numériques, notamment pour la sécurisation des données. Est-ce un sentiment partagé par beaucoup de vos confrères ?
M.C. : Il est difficile de répondre à cette question, néanmoins les positions de chacun évoluent à ce sujet. À titre personnel, il y a peu encore, les termes de blockchain notariale ou d’intelligence artificielle me semblaient nébuleux. Le temps passant et grâce à ma fonction de premier vice-président de la chambre des notaires de Paris, ou encore du rôle que je peux avoir dans l’organisation du forum TechNot’, j’ai appris à mieux appréhender ces sujets et à saisir tous leurs enjeux. De la même façon, les notaires, à mesure qu’ils exploitent ces nouveaux outils, comprennent mieux les bénéfices qu’ils peuvent en tirer. Les réticences sont moindres aujourd’hui, elles le seront encore bien moins demain.
AJ : L’an dernier, les notaires du Grand Paris ont annoncé le lancement de la blockchain notariale. De quoi s’agit-il ?
M.C. : La blockchain notariale – l’autre grand chantier ouvert grâce au fonds d’innovation – est une source d’innovation et de développement pour l’ensemble des métiers du notariat. Avec la blockchain notariale, nous affirmons le positionnement de la profession en tant que tiers de confiance numérique pour l’enregistrement, la conservation et la restitution des preuves. Les usages sont multiples. À commencer par la création d’un « registre » qui permet la traçabilité des mouvements des actions des sociétés non cotées. La blockchain notariale permet de garantir la non-altération des transactions et l’intégrité de tout document échangé. C’est notamment le cas pour notre service d’échange de fichiers volumineux qui comptabilisent en moyenne 15 000 envois de documents par jour. Son fonctionnement technique s’appuie sur Paris Notaire Services, qui gère l’infrastructure technique, et sur un réseau privé de « notaires mineurs ». Le tout est piloté par l’Autorité de confiance numérique notariale dont sont membres les présidents des cinq chambres des notaires d’Île-de-France. Les cinq présidents ont signé, il y a un an, la politique de confiance de la blockchain notariale pour encadrer les pratiques en son sein. La blockchain notariale est ainsi tout à fait sécurisée.
Référence : AJU001e8