Essonne (91)

Me Ibrahima Boye, bâtonnier de l’Essonne : « Il faut passer d’un tropisme parisien à un localisme essonnien » !

Publié le 05/09/2023

Après une carrière militaire au Sénégal, Ibrahima Boye a déménagé en France pour y construire une carrière dans le droit et devenir avocat. Cela fait maintenant 25 ans qu’il a prêté serment, le 22 avril 1998. Bâtonnier de l’Essonne, élu pour le mandat 2023-2024, il est guidé par le souci d’être utile aux autres. Rencontre.

Actu-Juridique : Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir avocat ?

Ibrahima Boye : Pour être honnête, c’est un hasard. J’ai réalisé toutes mes études secondaires et universitaires dans des institutions militaires au Sénégal : Prytanée militaire Charles N’Tchoréré à Saint-Louis, Centre de perfectionnement des cadres militaires (CPCM), École nationale des officiers d’active (ENOA). Initialement, je devais faire une carrière d’officier de l’armée de terre. Après le bac, j’ai suivi en parallèle des études militaires et de droit (relations internationales) pour devenir éventuellement attaché militaire d’ambassade ou d’organisations internationales. Lorsque j’ai quitté l’armée, un oncle qui avait fait du droit en France m’a conseillé de me réorienter en droit des assurances. J’ai été retenu par l’université de Poitiers en maîtrise de droit privé option assurances. J’ai ensuite complété mon cursus universitaire à Aix-Marseille 3 (DESS Droit maritime et droit des transports et doctorat en assurance-transport) et Paris 12 (DESS droit de la responsabilité et des assurances).

AJ : Votre installation à votre compte date de 2007. Qu’avez-vous fait entre-temps ?

Ibrahima Boye : J’ai travaillé surtout dans la gestion des maisons de retraite. Un jour, j’étais avec un ami qui m’a demandé : « Pourquoi ne pas devenir avocat ? ». J’ai décidé de préparer le certificat d’aptitude à la profession d’avocat sur un coup de tête. C’était en 1995. Dans le cadre de ma formation à l’école des avocats, j’ai effectué un stage dans le cabinet Jean-Michel Scharr à Sainte-Geneviève-des-Bois. Cabinet dans lequel j’ai travaillé en qualité de juriste puis d’avocat collaborateur à la suite de ma prestation de serment le 22 avril 1998. Le 1er novembre 2017, je me suis installé à mon compte à Évry.

AJ : Dans quels domaines exercez-vous ?

Ibrahima Boye : Du point de vue universitaire, j’ai une spécialisation en droit des assurances et droit des transports. En pratique, j’ai surtout des dossiers en droit pénal, en droit de la sécurité sociale et en droit de la famille. Je m’adapte en fonction de la clientèle, mais j’aurais préféré surtout intervenir en droit des assurances, comme pendant ma période au cabinet Scharr à travers notamment des dossiers de dommages corporels, droit des transports et droit de la sécurité sociale.

AJ : Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier?

Ibrahima Boye : La logique. Qui dit logique, dit réflexion. Quand j’étais à Dakar, j’avais un copain qui me disait que le droit c’était du « par cœur ». Il est resté trois ans en première année parce qu’il pensait qu’il fallait restituer machinalement les cours. Il faut avoir une logique pour comprendre le sens de l’essentiel.

AJ : Des affaires vous ont-elles marqué ?

Ibrahima Boye : Il y a deux affaires de saisie immobilière qui m’ont marqué. J’ai le souvenir d’une mère et de sa fille, toutes les deux déficientes mentales. À l’époque, pour 12 000 francs de dettes, leur appartement a fait l’objet d’une procédure de saisie. Cela s’est finalement bien terminé.

L’autre, c’était une infirmière qui s’est cognée avec un chariot en distribuant des médicaments. Elle est devenue paralysée et a perdu son bien immobilier. C’est quelqu’un qui pendant au moins dix ans était au service des autres et qui s’est retrouvé par la suite toute seule. Je suis allé la voir quelques années après, elle habitait quasiment dans un cagibi, à Paris. C’était horrible. Ce sont des dossiers du début de ma carrière, qui se sont passés la même année. Je me suis rendu compte à ce moment-là de la fragilité de la vie et de l’importance de l’humain dans notre activité.

AJ : Pourquoi cette envie d’avoir votre propre cabinet ?

Ibrahima Boye : À un moment, je me suis dit que la rémunération n’était pas proportionnelle aux efforts fournis. Par ailleurs, je voulais à l’origine faire une carrière d’officier. Fatalement, je devais être responsable de mon destin. Quand on est officier, on nous apprend à diriger les hommes, à être chef. Tôt ou tard, il fallait que je dirige mon cabinet.

AJ : C’est aussi ce qui a motivé votre envie de bâtonnat ?

Ibrahima Boye : J’ai quitté mes parents à 12 ans pour aller dans une école militaire. J’ai vécu dans des groupes et les gens m’ont toujours fait confiance. Aussi, en devenant avocat, je pensais au bâtonnat.

Au mois de mars 2022, un ancien bâtonnier m’a laissé un message à propos des élections fixées au mois de juin 2022. J’ai appelé une avocate au sujet d’un dossier et elle m’a dit que je devrais être candidat au bâtonnat. J’ai pensé à ce proverbe africain : « Le hasard est un destin en cours de réalisation », et je me suis dit que c’était l’heure de se lancer.

AJ : Quels étaient les thèmes de votre campagne ?

Ibrahima Boye : D’abord, j’ai toujours considéré que « l’orgueil d’être différent ne doit pas empêcher le bonheur d’être ensemble » (citation de Léopold Sédar Senghor) et surtout de travailler ensemble. Chacun a sa personnalité, mais il faut accepter de travailler collectivement. Ensuite, en tant que soldat, je suis un homme de terrain. L’idée est de pouvoir travailler avec des gens différents, l’objectif étant que les choses s’améliorent dans l’intérêt de tous. Ce qui m’intéresse, ce sont les personnes qui ont le sens pratique. C’est ensemble que la convivialité, la solidarité, la fraternité, la prospérité de nos cabinets peuvent devenir réalité.

AJ : Qu’espérez-vous pour votre bâtonnat ?

Ibrahima Boye : Notre barreau a de fortes potentialités en termes de jeunesse, de compétence, de situation dans un département tourné vers l’innovation, en termes de développement économique et social… Mon idée est de dire : on est dans un département dont le slogan est « Essonne, terre d’avenirs ». Nous avons de nombreux projets, notamment à Saclay, le tissu économique généré par la gare TGV de Massy et demain par d’autres gares TGV à Juvisy, Brétigny, etc. Il faut que les acteurs économiques de l’Essonne, privés ou publics, passent d’un tropisme parisien à un localisme essonnien. Mon ambition est de montrer aux acteurs économiques essonniens que les avocats de l’Essonne ont les compétences pour les accompagner dans leurs activités. Mon défi, dans les mois à venir, est de fructifier les contacts avec les acteurs publics, mais aussi d’en nouer avec le secteur privé. Il faut qu’on soit un barreau d’avenir.

AJ : Vous souhaitez également lutter contre les déserts juridiques. Comment ?

Ibrahima Boye : Nous devons être plus proches des clients et tenir compte du télétravail qui permet de toucher une nouvelle clientèle. Les campagnes sont devenues des cités de travail et de stabilisation. Mon idée est de dire : comment faire pour que les avocats puissent s’installer dans des endroits auxquels on ne pense pas (au cabinet Scharr, je me suis occupé de la gestion quotidienne de cabinets dans des villes de l’Essonne rurale, la Ferté-Alais et Ballancourt dans les années 1990). Alors, pourquoi ne pas s’installer au plus près de la clientèle ? Les rapprochements dans le cadre de communautés de communes peuvent libérer des locaux, pourquoi ne pas en profiter ?

AJ : Vous êtes membre de la Commission du droit des enfants depuis 2000 sans que ce soit votre spécialité. Pourquoi cet engagement ?

Ibrahima Boye : Quand je me suis mis à mon compte j’ai commencé à pratiquer de manière soutenue le droit pénal, notamment à travers les permanences. Malheureusement, la délinquance juvénile est importante dans notre département. Dans cette commission, je fais toujours passer un message. Chaque fois que j’ai en face de moi des jeunes, j’attire leur attention sur la chance qu’ils ont d’être en France et d’avoir beaucoup d’opportunités (instruction, formation, etc.).

Un jour, j’étais à pieds, quelqu’un se gare avec une belle voiture, c’était un de ces jeunes, il était devenu ingénieur en Norvège. J’ai la faiblesse de croire que la jeunesse même confrontée à des difficultés peut avoir l’espoir de s’en sortir.

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