Notaires : quel métier en 2030 ?

Publié le 10/01/2018

Comme dans toutes les professions liées au droit, les évolutions rapides ayant trait à l’exercice du notariat, interrogent ses représentants. Comment les notaires perçoivent-ils leur métier à l’horizon 2030 ? Quel visage aura alors le notariat ? L’assemblée de Liaison des notaires de France vient de tenir sa 68e session et signé un rapport intitulé : « Notaires à vision 2030, à nous d’écrire l’avenir ! ».

« Nous sommes un think tank, un réservoir à idées, un lanceur d’alerte du notariat sur les problématiques d’ordre professionnel » a précisé Philippe Clément d’emblée, lors de la 68e assemblée de Liaison des notaires de France. Le président de l’assemblée a ainsi bien rappelé la nécessité « d’étudier et de réfléchir sur l’application de notre métier et notre façon de l’exercer ». Un moyen, sans doute, de réaffirmer le notariat comme un corps de métier bien ancré dans la société et ses problématiques.

En 2016, l’assemblée de Liaison des notaires de France s’intéressait à la question de la gouvernance. Les deux éditions 2017 et 2018 aborderont, en deux temps, la thématique de l’avenir de la profession en 2030. Si 2018 fera un focus sur l’émergence du numérique, l’édition de cette année s’est penchée sur le statut de notaire (entre officier public et professionnel libéral), le besoin de sécurité juridique, la stratégie de développement, l’amélioration de la formation ou encore le développement des nouveaux domaines de l’activité notariale. Suite à cette 68e édition de l’assemblée de Liaison, treize propositions et sept propositions libres seront transmises au Conseil supérieur du notariat pour étude par ses commissions et ses instituts.

Michel Maumelat, notaire à St Tropez, auteur du rapport : « Notaires à vision 2030, à nous d’écrire l’avenir ! », en collaboration avec Fanny Dassonville-Riberty, notaire à Grasse, et Stéphanie Martin-Aloï, notaire exerçant à Marseille, s’est plongé avec enthousiasme dans cette thématique ardue. « Il est difficile de prédire l’avenir, mais il est vital de le construire, dès à présent », a-t-il déclaré. Conscient des enjeux impliqués par le recours croissant de l’intelligence artificielle ou à la blockchain (mais qui attendront 2018 pour être précisément abordées, NDLA), il a évoqué la « tourmente » dans laquelle est plongée actuellement la profession, préoccupation également soulignée par Philippe Clément dans son discours d’ouverture. Mais ce ne sera pas la première fois : récemment, les notaires ont été « malmenés » avec le rapport Attali, qui estimait que les notaires représentaient des freins à l’économie, sans oublier, plus récemment encore, le rapport Darrois qui chercha, en 2009, à créer une grande profession du droit en voulant abandonner les spécificités de la profession notariale.

La loi Macron est l’objet de toutes les inquiétudes. « Nous sommes dans l’impatience de connaître les dernières évolutions de l’application de cette loi et de ses décrets concernant les nouveaux notaires à la française, nommés par tirage au sort ! », a reconnu Philippe Clément. Michel Maumelat a fait état lui aussi de ses réticences, arguant que « la loi Croissance a résolument pris un parti libéral, voire ultra-libéral, qui remet en cause ce à quoi nous sommes attachés : la réglementation, la régulation, qui sont nos raisons d’être ». Mais même dans le cas d’un libéralisme encouragé par la directive Bolkenstein au niveau européen, « peut-on envisager un système sans État ? ». Dans tous les cas, « le libéralisme doit plus ou moins être encadré par un État qui définit les règles de droit », a-t-il rappelé. Michel Maumelat a su se saisir d’un exemple des plus frappants : « Un professeur de Harvard n’a-t-il pas déclaré que s’il y avait eu des notaires en 2008, il n’y aurait pas eu la crise des subprimes, car les notaires auraient constitué un contre-pouvoir à la financiarisation de la société ? ». Cela aurait évité les errements connus en Europe. Pour ce faire, « il faut travailler à faire que notre rôle soit mieux connu », a-t-il également ajouté. Une meilleure connaissance du métier est d’ailleurs l’une des priorités fixées à la suite des deux journées de discussions. « Cette meilleure connaissance de notre profession permettra d’augmenter notre influence. Pour ce faire, nous souhaitons participer davantage à la vie politique en comptant plus d’élus de la République et plus de participations à des think tank », ce qui est souligné dans la proposition 12.

Le notaire, outil de lutte contre l’évasion fiscale ?

Les notaires de l’assemblée de Liaison se sont demandé comment développer au mieux la confiance vis-à-vis de ses clients et de l’État. Réponse : « En offrant une meilleure connaissance des services que l’on peut rendre à l’État. Au cœur de ces services, la question de l’évasion fiscale », sujet hautement médiatisé depuis les Paradise Papers. Michel Maumelat a clairement affirmé la position de ses pairs. « En France, contrairement à l’Allemagne, les actes de l’entreprise sont privés. Notre proposition est d’offrir notre collaboration à l’État, en proposant l’authenticité des actes en ce qui concerne le droit des sociétés. Nous avons limité l’acte authentique au droit des sociétés à prépondérance immobilière, ce qui correspond à une première étape vers une diminution de l’évasion fiscale. Les Pays-Bas, l’Italie ou l’Allemagne connaissent déjà ce régime ». Et Philippe Clément d’ajouter : « Nous voulons laver plus blanc que blanc, alors pourquoi les GAFA (géants du web, NDLR) ne seraient pas soumis aux mêmes règles que les autres ? », a-t-il souligné. La proposition de l’assemblée de Liaison des notaires s’inscrit dans la logique des chiffres impressionnants évalués par le Sénat et l’administration fiscale : « L’évasion fiscale coûte entre 20 et 36 milliards d’euros, voire, en fourchette haute, entre 50 et 80 milliards. À titre comparatif, le trou de la sécurité sociale correspond à 13 milliards d’euros, a rappelé Michel Maumelat. À l’échelle de l’Europe, ce sont 1 000 milliards d’euros qui sont perdus annuellement ». Selon Philippe Clément, « puisque l’État se positionne au plan européen, il doit choisir des outils pour réduire l’évasion fiscale également en France, et l’acte authentique est un outil évident », les notaires étant assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment d’argent (et notamment en lien avec Tracfin). Les notaires proposent ainsi (proposition n° 1) « que le Conseil supérieur du notariat suggère aux pouvoirs publics que l’ensemble des actes juridiques relatifs aux sociétés et au droit de l’entreprise, tels que les statuts de sociétés, cessions de parts ou actions ou fonds de commerce, soient obligatoirement établis par acte authentique, comme dans la plupart des pays européens, à tout le moins ceux relatifs aux sociétés à prépondérance immobilière.

La loi Croissanceet ses conséquences

Cette édition 2017 s’est tenue sous le sceau d’un premier bilan de la loi Croissance qui bouscule le fonctionnement du notariat. Fanny Dassonville-Riberty, l’une des deux rapporteuses du rapport, rédigé par Michel Maumelat, souligne que la fin d’habilitation fixée à 2020 va impliquer un nombre pléthorique de notaires salariés nommés. « Cette multiplication risque d’engendrer une majorité de notaires salariés. C’est un statut hybride, au sein de notre instance. Les notaires salariés ne sont pas à même de voter les questions de budget aux assemblées générales de nos compagnies », a-t-elle rappelé. Ainsi, l’assemblée de Liaison (proposition n° 3) propose que « dans le cadre d’une réforme du statut du notaire salarié, d’ici le 1er janvier 2020, soit remplacée la règle « deux notaires salariés par notaire titulaire » par celle « un notaire salarié par notaire titulaire », afin d’éviter que le statut du notaire officier public et professionnel libéral ne devienne majoritaire, demain ». Aujourd’hui, « à la Chambre de Paris, on compte 40 % de notaires salariés, la mutation est en marche », estime-t-elle.

Autre rapporteuse, Stéphanie Martin-Aloï, a abordé un point différent, celui de la sortie du Code du commerce demandée des notaires (proposition n° 7), en réaffirmant que : « Nous ne sommes pas prestataires de services. Nous estimons que nous n’avons pas notre place dans le Code de commerce, d’où notre demande de sortie du Code du commerce pour rejoindre un code de profession juridiques réglementées (qui ne regrouperait que des professionnels du droit, indépendant du monde des financiers). Aujourd’hui, l’Autorité de la concurrence peut contrôler toute profession du Code de commerce, on ne connaît pas leurs moyens d’investigation : en ayant accès aux actes, la question du secret professionnel se pose. Par ailleurs, nous ne sommes pas préparés aux contrôles inopinés, nous avons demandé la mise en place d’une assistance ». Les contrôles des offices nationaux devront d’ailleurs se faire après « la création par la profession d’un guide de conduite à tenir en cas de contrôle inopiné d’un office notarial par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (proposition n° 6).

Une formation à améliorer

Michel Maumelat a insisté sur la formation, actuellement en cours, avec une fusion entre la formation professionnelle et la formation universitaire, afin d’obtenir une formation initiale d’excellence. « Il faut faire face à des complexités (juridiques et fiscales) et à une formation pratique : il faudra que le stage soit plus long (5 ans) pour permettre d’englober une formation plus complète (langue, éthique, droit international…).

Par ailleurs, avec 10 000 diplômés notaires par an, la profession ne peut pas intégrer tous ces postulants. La question est donc posée de penser plus par « excellence » ou moins de diplômés ? Ainsi l’assemblée de Liaison propose que « la profession impose, pour l’accès aux fonctions de notaire d’un stage d’une durée minimum de cinq années, ainsi qu’une formation sur les questions de déontologie et d’éthique, une formation spécifique au conseil, ainsi qu’au droit international, à la fiscalité de l’entreprise et en langues ». Autre proposition (n° 9), celle d’une « formation continue réformée, afin que chaque notaire bénéficie chaque année d’une formation spécifique sur un domaine particulier ».

Une fois diplômés et leur stage effectué, les primo-installants ne seraient pas laissés à l’abandon, mais « le Conseil supérieur du notariat [pourrait mettre] en place, outre le guide d’installation, une proposition de parrainage d’une durée de deux ans » (proposition n° 10).

D’autres sujets comme la mutualisation des moyens (proposition n° 11), en créant « au sein de la profession, un groupement de moyens et de services (…) destiné à fournir aux offices une assistance ponctuelle pour la fourniture et la gestion de leurs besoins en personnels et en matériels », ou encore la nécessité de mieux faire connaître la valeur ajoutée que la profession apporte à la société, par une stratégie d’influence, des budgets spécifiques dédiés (proposition n° 13) ont aussi été abordés. Cette dernière proposition ne manquera pas de rendre plus visibles les notaires, bien décidés à être moteur du changement plutôt que le subir.