« Nous devons réfléchir à la prévoyance »
L’avocat Christophe Pettiti a été élu en décembre dernier pour un mandat de deux ans à la tête de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), qui gère le régime des retraites des avocats. Il espère améliorer le régime d’indemnisation des arrêts maladie et d’invalidité.
Les Petites Affiches : Pouvez-vous vous présenter ?
Christophe Pettiti : Je suis avocat depuis 1986, spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale. J’ai par ailleurs une activité spécifique en droit international des droits de l’Homme. J’ai rejoint la CNBF il y a 16 ans, et je suis depuis lors membre du conseil d’administration. J’ai également été membre du bureau à plusieurs reprises, à différentes époques. J’ai pris mes fonctions de président le 1er janvier dernier.
LPA : Pourquoi avoir rejoint la caisse, alors même que vous étiez jeune avocat ?
C.P. : Quand j’étais jeune, je ne me préoccupais pas beaucoup de ma retraite.
Je suis conseil d’entreprise. Faisant beaucoup de droit du travail pour mes clients, je traitais également de questions de retraites pour des entreprises ou pour des cadres dirigeants en fin de carrière. J’ai eu envie de me présenter aux élections à la caisse de retraite pour voir comment cela fonctionnait en interne.
LPA : Quel est le rôle de la CNBF ?
C.P. : Les avocats ont leur propre caisse de retraite avec un régime de base et un régime complémentaire. La caisse gère ces deux régimes de manière autonome. La CNBF est une caisse mono-professionnelle avec un public restreint. Il y a environ 73 000 avocats actifs affiliés à la caisse et 18 000 retraités de droit direct ou par le biais des pensions de réversion. Cela représente en tout 91 000 personnes : une très faible part de la population en regard du régime général qui couvre 33 millions de personnes. La profession d’avocat est jeune, et a un ratio démographique très favorable. Elle compte 4,1 actifs pour un retraité, contre 1,4 actif pour un retraité dans le régime général, et la moyenne d’âge des actifs est d’environ 43 ans. Cela ne va pas changer rapidement puisque plus de 3 500 jeunes avocats entrent dans la profession chaque année. Ce sont des atouts pour notre caisse de retraite et nos régimes.
LPA : Pourquoi les avocats ont-ils un régime autonome ?
C.P. : Après-guerre, l’idée était de faire un régime universel. Comme on n’a pas pu couvrir l’ensemble des professions, les professions libérales, les commerçants, ont créé progressivement des régimes autonomes. Les avocats furent d’abord rattachés au régime des professions libérales créé en 1948. En 1954, ils ont créé leur propre caisse. En 1979, le régime complémentaire a été créé au sein de la CNBF.
LPA : Quelle est votre ambition pour cette mandature qui s’ouvre ?
C.P. : Ces deux dernières années, les objectifs de la présidente ont été bouleversés par l’actualité sociale marquée d’abord par le projet de réforme du régime universel, puis par la crise sanitaire.
Mais dans un contexte normal, les avocats se préoccupent peu de leur retraite. Il s’agit alors pour la caisse d’améliorer le service rendu aux affiliés, et de s’assurer que l’équilibre financier des régimes à long terme soit des meilleurs. Aujourd’hui c’est un peu différent, la profession a pris conscience qu’elle avait un régime de retraite particulier et solidaire qu’il fallait défendre. Il n’est pas merveilleux, le montant des retraites est relativement bas (à l’exception de la retraite de base qui représente 17 300 € par an) par rapport à une retraite de cadre, mais l’avocat cotise moins. C’est un régime très bénéficiaire, qui vit à très long terme, et qui est très solidaire. Ce dernier point est très important. C’est la raison pour laquelle les avocats sont attachés à leur régime.
LPA : En quoi ce régime est-il solidaire ?
C.P. : Dans le régime de base, la prestation est identique quels que soient les revenus que vous avez eu pendant votre période d’activité professionnelle. Pour un nombre d’années d’exercice équivalent, un avocat va avoir la même retraite de base, qu’il ait gagné 30 000 € annuels ou 291 000 €, montant maximum pour lequel on peut cotiser. En plus de percevoir une prestation de base identique, les avocats versent pour partie des cotisations identiques. La cotisation forfaitaire est en effet la même pour tous les avocats à partir de la 6e année (1 555 € par an). Seuls les jeunes avocats qui ont moins de six ans de pratique ont une tarification réduite. À côté du régime de base, il y a une retraite par points, liée exclusivement aux revenus perçus par l’avocat.
LPA : Comment se porte la CNBF ?
C.P. : Notre vision est qu’il faut toujours améliorer les régimes, notamment le régime de base. La quasi-totalité des systèmes de retraite sont en déficit. Le nôtre est en très bonne santé. Dans le régime de base l’épuisement des retraites est fixé à 2061. Cela veut dire qu’à cette date, le montant des cotisations ne permettrait pas de verser l’intégralité des prestations. Pour un avocat qui entre aujourd’hui dans la profession, on ne peut pas théoriquement à ce jour lui garantir le paiement intégral de sa retraite dans 45 ans. L’objectif de la caisse est donc toujours de travailler à très long terme pour repousser cette échéance, comme cela a été fait par le passé. C’est ce que l’on appelle le pilotage des régimes qui permet de repousser ces dates de fragilisation.
LPA : Craignez-vous que la réforme des retraites ne vienne perturber votre mandat ?
C.P. : Je suis plutôt optimiste sur cette question. Lorsque la loi a été votée en première lecture en 49.3, les avocats étaient intégrés dans le régime universel. Nos régimes et notre caisse de retraite étaient appelés à disparaître à moyen terme, à un horizon de 10 ans environ. La crise sanitaire est survenue, poussant le président de la République à suspendre l’examen du projet. Officiellement, le texte est toujours en cours d’adoption, mais on n’imagine pas que la loi puisse être adoptée en 2021, ou en 2022, car il semble peu probable que la majorité présidentielle remette ce débat sur le tapis avant la prochaine élection. Nous ne devrions pas être intégrés dans ce projet de réforme universelle pour le moment. Cela ne veut pas dire que le projet ne renaîtra pas d’une manière ou d’une autre. Soit on finance les régimes de retraite par le déficit, qui, depuis la crise sanitaire, est de l’ordre de 22 Md€ en 2020 pour les régimes (hors CNBF), soit on répond aux déficits par des réformes. Si la réforme du régime universel ne se réalise pas, on peut avoir une réforme par l’âge ou par le nombre de trimestres. Les avocats travaillant au moins jusqu’à 65,4 ans en moyenne, cette dernière option ne gênerait pas beaucoup la profession et améliorerait en outre les comptes positifs de la caisse de retraite.
LPA : Quels sont donc les sujets qui vous mobilisent ?
C.P. : La crise sanitaire a démontré que nous devons réfléchir à la question de la prévoyance. La caisse de retraite s’occupe de l’invalidité à partir du 91e jour de maladie ou d’invalidité. La prestation d’invalidité est très faible : 61 € par jour seulement. Le régime d’invalidité est autonome, financé par une cotisation spécifique et les CARPA. Si on veut améliorer la prestation, la cotisation devrait être augmentée. Il faut trouver un équilibre entre une augmentation raisonnable des cotisations et une indemnisation plus conséquente. Il faut également envisager le mi-temps thérapeutique. Celui-ci est possible exceptionnellement pour certaines maladies. Il faudrait l’étendre à d’autres pour que les avocats puissent travailler tout en bénéficiant de l’indemnité invalidité.
En ce qui concerne la période des trois premiers mois d’arrêt qui ne sont pas gérés par la CNBF, les modes de financement et la durée des prestations varient selon les barreaux. À Paris, les avocats sont indemnisés seulement à partir du 31e jour. La profession a refusé d’être intégrée dans le régime général pour les 90 premiers jours comme le lui proposait le gouvernement. Les organisations représentatives ont estimé avec raison qu‘ayant été consultées au dernier moment, elles n’avaient pas eu les éléments nécessaires pour se prononcer. Un travail doit donc être fait par la profession pour harmoniser ces régimes. Les confrères souhaiteraient que les courts arrêts, évidemment plus nombreux, soient indemnisés. Il faudrait en tous cas que les avocats puissent bénéficier du même traitement, pris en charge à partir du même nombre de jours et indemnisés de la même manière. Il faut absolument trouver une solution en 2021.
LPA : La crise sanitaire a-t-elle modifié votre activité ?
C.P. : Nous avons appliqué à tous les avocats actifs, quelle que soit leur situation, une baisse de la cotisation forfaitaire du régime de base. Nous avons débloqué 60 M€ pour aider à trois reprises dans l’année ceux qui avaient des revenus inférieurs à 40 000 €, soit environ 45 % de la profession, et qui avaient une baisse de leur chiffre d’affaires liée à la crise sanitaire. 9 500 avocats ont bénéficié de ces aides spécifiques en plus de la baisse des cotisations.