« Nous voulons sécuriser la transmission de l’information de façon digitale »
Le 16 juin dernier, les présidents des cinq chambres des notaires franciliennes composant les Notaires du Grand Paris signaient la politique de confiance de la blockchain notariale (BCN) et mettaient en place l’autorité de confiance numérique notariale. Rencontre avec Stéphane Adler, notaire et vice-président de la chambre des notaires de Paris, en charge des nouvelles technologies.
Les Petites Affiches : Comme toutes les professions, les notaires ont aussi dû adapter leurs pratiques professionnelles aux contraintes du confinement. Peut-on faire un bilan ? Cette période a-t-elle mis un coup de pouce à la numérisation du notariat ?
Stéphane Adler : On ne peut pas dire les choses autrement, en effet. Nous nous sommes rendu compte de la nécessité, comme de la possibilité, de travailler à distance, tant avec nos collaborateurs qu’avec nos clients. Nous avons pu pratiquer la signature électronique, qui devra s’arrêter au 10 août, alors qu’elle s’est révélée utile en cette période. Même si nous avons dû faire face à des difficultés, cela a fonctionné dans les grandes lignes. La situation n’est toujours pas revenue à la normale, notamment pour les clients à l’étranger qui ne peuvent toujours pas sortir de leur pays et qui, néanmoins, ont pu signer avec nous. Dans ces cas-là, la signature électronique constitue un outil assez extraordinaire. Additionnée à la visioconférence, nous avons vu que nous pouvions travailler à distance. Les clients avaient presque le sentiment d’avoir leur notaire sous les yeux, comme s’ils étaient dans notre bureau, ce qu’ils ont apprécié.
LPA : Les clients ont-ils été satisfaits du traitement numérique de leurs affaires ? Certains ont-ils montré une forme de réticence ?
S.A. : Je crois que cela dépend des personnes et non de leur âge. J’ai eu l’occasion de le voir pas plus tard qu’il y a trois semaines, lorsque j’ai finalisé à distance un acte de donation d’une personne de 80 ans. Elle s’est débrouillée et elle a réussi à le faire ! Certes, je l’ai assistée, mais elle était très contente de ne pas avoir à se déplacer, et elle était soulagée d’avoir pu réaliser l’acte qu’elle souhaitait faire. Je ne dis pas pour autant qu’il n’existe pas des cas de figures qui ont été des échecs, mais ils étaient liés à une société, prestataire de services, censée assurer la vérification de l’identité des personnes à distance. Elle a d’abord été décimée par le Covid-19, ce qui rendait difficile le travail d’identification avec des filiales à l’étranger, puis quand elle est revenue à flots, elle a été victime de son succès et s’est retrouvée en sous-effectif par rapport au nombre de demandes d’authentification. Le notariat a compris qu’il avait aussi les capacités de remplir cette mission, sinon mieux, au moins aussi bien.
LPA : Regrettez-vous l’arrêt de la signature électronique le 10 août prochain ?
S.A. : Oui car cette signature électronique nous a bien aidés. C’est comme un service auquel vous avez goûté et qui a été réellement utile. Il faut maintenant expliquer à nos clients qu’on est sorti de cette période compliquée et qu’il va falloir se déplacer à nouveau. D’autant que, comme je le disais, certains pays n’ont pas encore rouvert leurs frontières. Cette tranche de population sera en difficulté.
LPA : Quel bilan dressez-vous du confinement et de la numérisation accélérée ?
S.A. : En réalité, les gens veulent toujours aller très vite, à distance, sans se déplacer. Cela permet de gagner du temps. Mais il faut être vigilant et veiller à ne pas perdre le lien avec ses clients et garder à l’esprit que cela fonctionne jusqu’au jour où il y a un problème. Et là, le notaire apparaît comme un garant de la sécurité juridique.
LPA : C’est-à-dire ?
S.A. : Voici un exemple classique : dernièrement, le représentant d’une société me faisait savoir qu’il réalisait quotidiennement des signatures à distance apposées sur des contrats de plusieurs millions d’euros. Il m’expliquait ne pas comprendre toutes les précautions que je prenais de mon côté. Mais moi je veux absolument m’assurer que la personne qui signe est bien celle qu’elle dit être. C’est la différence. Ils signent des contrats, mais sans vérifier que la personne avait bien le pouvoir de le faire. C’est la difficulté du digital. En réalité, sur le papier, avec la personne en face, on connaît le conseil qu’on a prodigué. Avec le digital, la signature peut être simplement apposée, envoyée et ensuite, on passe à autre chose. La sécurisation à apporter au digital est nécessaire. D’où l’emploi de la blockchain notariale.
LPA : Justement, pouvez-vous nous expliquer le but de cette démarche ?
S.A. : Par la mise en place de la blockchain notariale (BCN), nous souhaitons sécuriser tout ce qui est digital, du plus petit fichier aux informations pourtant capitales à l’ensemble du dataroom, ce qui peut représenter des milliers de documents. Prenons l’exemple du marché immobilier parisien, celui que je connais le mieux. Normalement, on arrête un prix au mètre carré, adossé à un mesurage fait par un diagnostiqueur ou un géomètre. La blockchain va permettre de s’assurer que le diagnostic ne sera pas trafiqué. En effet, le diagnostiqueur va mettre en ligne son document sur la blockchain, et on saura que le document qui ressortira dans trois semaines ou le moment venu, sera bien le document initial. Il n’a aucun intérêt à le modifier, car cela engage sa responsabilité. Or si le document passe de mains en mains, il est facile de trafiquer un PDF, et de l’envoyer à l’acquéreur en gonflant de quelques mètres carrés. Cela peut représenter une certaine somme. Grâce à la blockchain, nous allons pouvoir sécuriser la transmission de l’information de façon digitale. Et son application est très variée puisque de plus en plus de sociétés sont intéressées par cette technologie, autant pour des contrats de travail que des bulletins de paie.
LPA : La signature du 16 juin dernier est l’acte fondateur du premier dispositif de blockchain notariale qui va désormais se déployer dans diverses applications métiers ou clients concrètes. Quelles seront les prochaines étapes ?
S.A. : Ce que nous avons signé est la charte de gouvernance, c’est-à-dire la politique que l’on souhaite appliquer à cette blockchain, qui doit répondre à une éthique notariale, centrée autour de la sécurité juridique digitale apportée à nos clients. En somme, si je peux métaphoriser de cette manière, nous avons construit le moteur, mais nous ne pouvons pas l’installer sur n’importe quel châssis. À l’avenir, cet outil pourra servir à bien d’autres applications. Nous travaillons déjà sur certaines d’entre elles. Par exemple, le répertoire des sociétés non cotées. En théorie, chaque société doit tenir un registre. Or en pratique ce n’est pas toujours le cas. Lors d’un transfert de titres de propriété, cela pose problème. Certains experts-comptables doivent recréer le registre de A à Z, parce qu’il n’a jamais été tenu. Désormais, chaque mouvement de titre sera enregistré par la blockchain et on aura la preuve qu’il sera bien mis à jour. À ce titre, la blockchain sera un outil moderne, qui ne nécessitera plus de papier. Nous saurons qui a enregistré quoi et quand. Pour une société, c’est un outil incroyable. Cette idée vient d’un confrère, Hubert Mroz, notaire à Roubaix, qui a gagné le prix de l’innovation TechNot (en décembre 2019). Nous nous sommes rapprochés de lui car nous avons estimé qu’il fallait le faire. Nous présenterons sans doute cette innovation à notre prochain congrès.
LPA : Chez les notaires eux-mêmes, remarquez-vous certaines réticences à la numérisation ? Y a t-il des freins technologiques pour une partie de la profession ?
S.A. : Je ne crois pas trop à ces difficultés. Soit une personne est hermétique aux outils, soit elle ne l’est pas. Les applications se mettront sur la blockchain notariale. Une fois que le notaire sera devenu « mineur » (le professionnel doit signer au préalable la « charte des mineurs » avant de configurer le serveur de minage avec ses données d’identification, NDLR), le serveur sera installé dans son office et enregistrera les mouvements. Il suffira de glisser le document et il en ressortira une empreinte spécifique. C’est grâce à cette empreinte que vous vérifierez que c’est bien le document mis en ligne. Si vous savez écrire un mail, vous saurez utilisez la blockchain. C’est plus l’utilisation des applications, comme le répertoire des sociétés non cotées, à laquelle il faudra s’habituer.
Par ailleurs, nous allons adosser la blockchain à l’espace notarial. Cela sera particulièrement pertinent pour de grosses opérations, qui durent sur plusieurs mois ou même plusieurs années. Nous souhaitons nous assurer que le document mis en ligne ne soit pas modifié entre le moment où il est enregistré et le moment d’une signature. Grâce à l’empreinte, on pourra le garantir. À la moindre virgule changée, l’empreinte sera différente. L’empreinte permet de sécuriser les données numériques mises en ligne. Pour les notaires qui font beaucoup de droit des sociétés, c’est une vraie avancée, moderne, utile pour conquérir de nouveaux marchés.
LPA : À quoi sert le fonds d’innovation ?
S.A. : Il est très orienté sur l’intelligence artificielle parce qu’on pense qu’on a beaucoup de choses à y gagner. Le confinement nous a permis de continuer les chantiers débutés il y a déjà plusieurs mois. Pour l’instant, nous en sommes à la phase 1, qui consiste à reconnaître la documentation juridique mise en ligne. La phase 2 portera sur comment la classer, et la phase 3 nous permettra de commencer un pré-audit. Nous avons constaté que certains résultats ont été très rapides, d’autres demandent d’être plus patients. Cela fonctionne très bien sur les titres de propriété, un bail commercial : l’intelligence artificielle les reconnaît très rapidement. Pour certains types de documents, l’intelligence artificielle a un peu plus de mal, elle n’a juste pas encore assez d’entraînement, car nous manquons de documents. C’est le cas de l’état descriptif de division volumétrique, qui est encore confondu avec l’état descriptif de division et le règlement de copropriété. Mais en tant que notaires, c’est notre avantage, nous avons énormément de données, donc nous n’avons qu’à ouvrir les robinets. Pour la déclaration de travaux, devenue déclaration préalable de travaux, c’est difficile aussi car le nom a changé. Mais ce sont juste des ajustements à apporter.
La plus-value de l’intelligence artificielle porte aussi sur les avis de valeurs et l’expertise en ligne que nous pouvons fournir. Là-dessus, nous avons de la donnée, qui peut être croisée de façon multiple. Certes, cela ne remplacera jamais une expertise humaine sur le terrain pour voir l’état de l’appartement, on est d’accord, mais nous pouvons néanmoins fournir une donnée enrichie (nombreux paramètres) par rapport aux données de l’État. Par exemple, sur le taux de luminosité dans chaque pièce. Si l’on prend un premier étage classique, on peut dire que la luminosité baisse de 20 % en moyenne. Mais si l’appartement est face à un jardin plein sud, sa luminosité peut être équivalente à celle d’un 6e étage et aura donc la même valeur. Sans oublier les paramètres classiques, sur la présence de professions libérales, d’écoles ou encore de transports. Enfin, nous pouvons croiser nos informations avec les annonces immobilières publiées sur le bien en question et additionner des données que nous n’avions pas (comme par exemple une salle de bain refaite à neuf). C’est ce que l’on appelle l’automated valuation model (AVM), qui offre l’intermédiaire entre l’expertise humaine et un prix au mètre carré dans tel secteur.
LPA : Enfin, l’espace notarial sera complètement refondu. Dans quel but ?
S.A. : En effet, il va être refondu afin d’être plus ergonomique, plus dans l’air du temps, plus facile. Étant donné que la blockchain va prendre place sur l’espace notarial, nous ferons en sorte que tout soit le plus simple possible. De la même manière, notre coffre-fort électronique, qui existe depuis douze ans, a un peu vieilli et son mécanisme est devenu un peu archaïque. Nous allons le refondre également, afin de rendre son utilisation plus simple pour tout le monde.