Nuit du droit : le grand public découvre la CNDA
Pour la deuxième édition de la Nuit du droit, la Cour nationale du droit d’asile organisait pour la première fois une soirée porte ouverte. L’occasion, pour une foule de curieux, de découvrir cette cour, première juridiction administrative et pourtant méconnue du grand public.
Une foule disparate se pressait dans les couloirs de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), exceptionnellement ouverte pour la Nuit du droit. Des jeunes carnets de notes à la main, des voisins, des curieux venus en famille pousser la porte de ce bâtiment moderne et sans charme particulier situé dans un quartier résidentiel de Montreuil. On y trouvait un agent de la Cour, nouvellement employé après une carrière d’informaticien, venu faire admirer à sa mère son nouveau lieu de travail. Un couple de badauds prenant la pause pour un selfie à peine passé le portail de sécurité. Une jeune femme étrangère profitant des portes ouvertes pour se renseigner auprès d’un agent sur la procédure de l’asile. Une stagiaire du Conseil d’État, étudiante appliquée, curieuse d’en savoir plus sur le fonctionnement de cette institution.
Ces visiteurs furent répartis en petit groupe et pris en charge par les agents de la Cour, venus bénévolement encadrer les visites et présenter leur métier. La manifestation tenait sur les salles d’audience du rez-de chaussée. La première était consacrée à une exposition de l’activité de la Cour. Des panneaux très pédagogiques expliquaient le fonctionnement de la juridiction. À travers quelques chiffres et courbes, on y voyait résumée la place de la CNDA dans le contentieux de l’asile. La Cour accorde une protection dans 16,8 % des affaires jugées. Son activité a explosé ces dernières années. En dix ans, le nombre des recours qu’elle traite a plus que doublé, passant de 22 676 en 2007 à 53 581 en 2017. Les schémas montraient également que les nationalités les plus représentées parmi les requérants étaient — en tête, les Albanais, les Haïtiens et les Bangladais, qui sont loin d’être les plus protégés (les Afghans, les Somaliens ou les Syriens ayant, quant à eux, bien plus de chances d’obtenir une protection). Une jeune femme, chef de chambre à la Cour, accompagnait notre visite. Elle explicitait les panneaux tout en expliquant son rôle : relire les décisions prises par les formations de jugement et en contrôler la procédure et la cohérence géopolitique.
Deux salles étaient consacrées à des projections de films, dans lesquels les magistrats témoignaient de leur expérience personnelle de juge de l’asile. Les propos avaient beau être forts, ils ne retenaient pas longtemps l’attention du public, préférant se rendre directement au bout du couloir, dans les salles d’audience. Là, on pouvait écouter les membres d’une formation de jugement. Assesseur, président, rapporteur : chacun expliquait son rôle, revenant sur la spécificité de cette justice mêlant droit et géopolitique. Au bout du couloir, des avocats spécialisés en droit des étrangers rendaient compte de leur métier jusque dans ses aspects les plus concrets. « Travailler le récit, c’est le gros du travail de l’avocat », expliquait ainsi une jeune femme devant un auditoire captivé. « Je leur demande de faire des schémas des scènes qu’ils racontent. Où se trouvaient-ils quand ils ont assisté à l’assassinat de leur père ? Dans leur tête, ce n’est pas toujours clair, et c’est normal que cela ne soit pas clair. Mais la vérité à l’audience se jauge en fonction de la précision du récit » !
Ces portes ouvertes ont duré deux heures. C’est bien le minimum pour se faire une idée sur cette justice si particulière, qui mêle comme aucun autre droit, relations internationales, et destinées humaines. À cette occasion, nous avons pu rencontrer Dominique Kimerlin, présidente de la Cour nationale du droit d’asile, qui nous révèle son vœu le plus cher : « Mon souhait est de développer la communication à destination du grand public afin de mieux faire connaître l’activité de la Cour ». Entretien.
LPA
Quel bilan faites-vous de cette journée du droit ?
Dominique Kimerlin
Ça a été une réussite, la soirée a rencontré un vif succès. Nous avons eu plus de 150 visiteurs. Comme c’était la première fois que nous participions à cette manifestation, je ne savais pas à quoi m’attendre. J’ai été très heureuse de constater qu’il y avait autant de monde, et que le public était très diversifié. Il n’y avait pas qu’un public d’étudiants, beaucoup de personnes de tous âges et de tous horizons m’ont dit avoir découvert quelque chose qu’ils ne connaissaient pas. Ce moment a permis à ce public très large de dialoguer avec des juges de l’asile, des rapporteurs, des secrétaires de séance, des avocats, et de découvrir très concrètement ce que c’est au quotidien que d’exercer des fonctions de juge de l’asile c’est-à-dire de juger du bien-fondé de recours présentés par des demandeurs d’asile qui se sont vus refuser la protection par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
LPA
Quelle est l’origine de cette soirée ?
D. K.
L’année dernière, le Conseil constitutionnel avait organisé pour la première fois la Nuit du droit le 4 octobre, jour anniversaire de la Constitution de la Ve République. Mais cette manifestation n’était pas ouverte aux juridictions. Cela se passait dans les locaux du Conseil constitutionnel. Pour la première fois cette année, la Nuit du droit a été ouverte à toutes les juridictions. Le Conseil constitutionnel a voulu y associer le plus possible d’acteurs du droit. Le Conseil d’État, qui est notre gestionnaire, a souhaité y adhérer. De mon côté, j’ai évidemment répondu présente. À chaque fois que j’ai l’occasion d’expliquer ce que fait la Cour, je la saisis. Je trouve important que la Cour, qui fait un énorme travail, s’ouvre au public et présente son activité.
LPA
Comment avez-vous préparé la soirée ?
D. K.
Nous avons fait appel au volontariat et avons eu énormément de réponses, bien plus que nécessaire ! Les agents se sont mobilisés pour préparer cette soirée et l’animer, ainsi que les présidents vacataires ou les assesseurs qui ne sont pas membres permanents de la Cour et viennent siéger ici deux à trois fois par mois. Nous avons informé le public par communiqué de presse, et nous nous sommes inscrits sur le portail de « La Nuit du droit » qui présentait les différentes manifestations. Lors de la prochaine édition, nous élargirons notre campagne de communication. Nous sommes en tout cas décidés à renouveler l’expérience !
LPA
La CNDA manque-t-elle d’occasions de communiquer ?
D. K.
Nous entretenons des relations avec le réseau international des juges de l’asile, nous avons beaucoup de magistrats permanents qui participent à des colloques et à des manifestations internationales rassemblant des représentants de hautes cours de justice. Seulement, ces coopérations se déroulent dans un contexte juridique de partage d’expériences et ne sont pas accessibles au grand public. Nous avons cependant développé des outils de communication à destination des non-juristes. Sur notre site internet le public peut découvrir la jurisprudence, l’activité et la vie quotidienne de la Cour. On y publie des communiqués de presse réguliers présentant les grandes décisions rendues par la Cour. Mais les occasions de rencontres physiques comme celle offerte par la Nuit du droit sont rares, et mon souhait est de les développer. Cela dit, les audiences à la CNDA sont publiques et tout le monde peut venir y assister.
LPA
La CNDA est-elle mal connue ?
D. K.
Je pense que notre activité commence à être connue. Il faut rappeler que la CNDA est une juridiction : en tant que telle, elle est chargée d’appliquer la loi et n’a pas à participer au débat public. En revanche, en tant qu’institution publique, elle doit présenter son activité car elle occupe une place importante parmi l’ensemble des acteurs qui traitent des demandes d’asile. La Cour n’intervient que lorsqu’elle est saisie par un requérant qui veut contester la décision rendue par l’OFPRA, qui soit a rejeté sa demande, soit lui a accordé un niveau de protection qu’il juge insuffisant. Il y a donc des demandeurs d’asile qui ne saisissent pas la CNDA. La Cour examine environ 50 000 recours par an. C’est important que les citoyens sachent qu’une juridiction exerce un contrôle sur la politique publique de l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile.
LPA
Quelle est la spécificité de la Cour ?
D. K.
La CNDA est une juridiction administrative spécialisée qui ne traite que d’un contentieux : celui de l’asile. C’est en soi une originalité dans le paysage judiciaire français. C’est une mission qui est complexe et nécessite une préparation approfondie de l’audience. Ce travail est effectué par le rapporteur, qui rédige un rapport présentant une analyse juridique et géopolitique du recours et le présente à la formation de jugement qui va au cours de l’audience vérifier la crédibilité du récit à travers les questions qu’elle pose. C’est donc un travail juridictionnel très particulier.
LPA
L’organisation de la Cour est également particulière…
D. K.
Nous avons 22 salles d’audiences qui fonctionnent 5 jours par semaine et seulement 17 magistrats administratifs permanents. C’est trop peu pour présider toutes les audiences. La Cour fait donc appel à un certain nombre de personnes extérieures. Une formation de jugement, ce sont trois personnes : un président, qui peut être vacataire et être magistrat administratif, judiciaire ou financier, et deux assesseurs, l’un nommé par le délégué français du Haut commissariat aux réfugiés, l’autre nommé par le Conseil d’État. Les assesseurs sont des personnes qui connaissent bien les questions géopolitiques pour avoir effectué une partie de leur carrière à l’international. Ce sont ces trois personnes qui sont les juges de l’asile de la CNDA. Elles sont recrutées pour leur expérience professionnelle et formées à leur arrivée à la Cour, ainsi que tout au long de leur mandat, au contentieux de l’asile. Nous avons ainsi plus de 300 formations de jugement possibles. Que les membres des formations de jugement aient des expériences variées contribue à la richesse et à la qualité du travail des formations de jugement.